@ Tous,
Réaction au propos de Michel LE TALLEC (17/01/2017) concernant l’inauguration des plaques de rues bilingues français-breton dans le centre historique de Nantes :
« Ou de l'art d'enfumer les bons sauvages (bretons), tels les premiers colonisateurs des continents Américains et africains, qui offraient bijoux de pacotilles et étoffes multicolores, aux indigènes, afin de se concilier leurs bonnes grâces... Je ne suis pas sûr que l'émancipation du peuple breton vient de faire un grand pas en avant avec la pose de ces plaques bilingues, mais je suis sûr que ceux qui ont le pouvoir à Paris (et à Nantes) savent tout de la manière de le garder... En offrant, de temps en temps, comme ils viennent de le faire, quelques hochets aux grands crédules que nous sommes, nous Bretons, depuis des générations... Désolant. »
Entièrement d’accord !
Certes, on ne peut que se féliciter de cette petite victoire. Cependant à y regarder de plus près, ce n'est pas glorieux. En effet, en 2017, nous en sommes à nous réjouir de cet acte symbolique, une miette de ce qu'on nous doit légitimement. La maturité de la conscience politique d'une nation, longtemps insoumise (6), dont les cerveaux ont été passés au mixeur de l'idéologie républicaine jacobine française (1) résumé en une photo. Un échec total. En 2017, la Bretagne est toujours amputée d'un cinquième de son territoire (plus de 30% de son P.I.B.), elle n'a aucun pouvoir politique autonome, elle est privée de sa fiscalité et ne gère aucun budget digne de ce nom. Pendant ce temps les Bretons Kymriques pour une population de 3 millions d’habitants (2011) et une superficie de 20779 km2, gère un budget de 8 milliards de livres et disposent d'un Parlement autonome depuis 1999. Quant à nos cousins Écossais, pour une population de 5,2 millions d’habitants et une superficie de 78772 km2, PIB par habitant 39121€ (2012), gère un budget de 43 milliards (2007) et dispose d'un Parlement autonome depuis 1999… (2)
Tous les paradigmes de ce que l’on appel pompeusement « l’emsav » sont à revoir :
1) L’Histoire : Le véritable axiome _ le seul pertinent_ pour initier une conscience politique _ en l’occurrence une conscience politique nationale _ faisant prendre conscience d’une communauté de destin à l’ensemble des Bretons, c’est celui de la transmission de notre Histoire.
L’axiome historique en tant qu'axiome identitaire est beaucoup plus fédérateur, selon moi, car il concerne tout le monde (les Bretons de Basse et de Haute Bretagne), ceux qui parlent la langue, comme ceux qui ne la parlent pas, ceux des campagnes comme ceux des villes, ceux qui n'ont pas d'origines bretonnes mais qui sont convertis à la Cause etc. C'est cet axiome là, qu'a choisi l'Écosse (3).
C’est le seul qui puisse faire prendre conscience et faire tomber le tabou selon lequel nous sommes plus qu’un peuple : nous sommes UNE NATION (4) !
De la transmission de notre Histoire découle tout le reste, dont celui de l’intérêt porté à la langue (ou à nos langues : bretonne et britto-romane).
Cette focalisation obsessionnelle de « l’emsav » sur la langue de Basse-Bretagne est une catastrophe pour la Bretagne.
Le choix de celle-ci comme mètre-étalon identitaire quasi unique de la bretonnité, depuis des décennies, est une immense erreur stratégique (En même temps, ce n’est pas un scoop, force est de constater que si la Bretagne avait des génies en matière de stratégie politique, nous n’en serions pas là…).
2) La Fiscalité : Il nous faut réclamer un réaménagement de la fiscalité, en faisant savoir aux Bretons ce dont bénéficient déjà d’autres populations en Europe occidentale, parfois moins riches et moins nombreuses mais disposant de beaucoup plus d’autonomie fiscale que nous [!!!] pour leur faire comprendre ce à quoi ils peuvent légitimement prétendre :
Actuellement 46% seulement des recettes fiscales provenant des Bretons restent en Bretagne. Nous devons exiger que ce taux atteigne 60%. Il n'y a là rien ni de scandaleux ni d'impossible : c'est le niveau qu'on observe au Pays basque espagnol, l'Euzkadi. Sur ce même terrain fiscal, nous devons exiger la gestion en direct des fonds européens, comme c'est le cas en Alsace. Il faut également que s'établissent de nouveaux rapports avec Bercy et il est indispensable de créer en Bretagne une direction budgétaire autonome, analogue à celle qui existe dans chaque Land allemand.
3) Traîtres : Établir une liste des élus traîtres à la défense des intérêts de la Bretagne :
Établir une liste des élus traîtres à la défense des intérêts de notre nation (anti réunification, anti langue bretonne etc.) et la faire connaître sur les réseaux sociaux, les blogs, les sites internet, citations et votes (quand cela est possible) et dates à l’appui. → Il nous faut un site de référence que chaque breton pourra consulter avant d’aller voter pour éviter d’élire des élus français en Bretagne. Lors des élections, si aucuns élus ne convient, inciter au vote blanc.
4) Travail de repères conceptuels et idéologique : Travail de définitions à faire au sein de l’emsav et auprès des Bretons sur les questions de sémantique relatives à la « Bretagne », la « France », « l’État français », « la République ». Mais aussi sur les concepts de « nationalité » et celui de « citoyenneté » sciemment confondus en « France ». Une autre piste : la distinction que l’on devrait faire entre « élus français en Bretagne » et « élus bretons en Bretagne ».
5) Ethnocide : Il faut que les Bretons sachent qu’ils ont été victime du plus grand ethnocide du XXe siècle en Europe occidentale et que celui-ci est toujours en cours. Ils ont servis de chairs à canon (en première ligne de "préférence"...) dans les guerres françaises. Leur langue à été interdite, ainsi que leurs prénoms (cf. pour l’illustrer l’affaire Le Goarnig). Leurs coutumes, leur culture ont été dévaluées, méprisées. Leur Histoire est censurée et exclue. Leur territoire est amputé. Leurs impôts, fruit de leur labeur, en grande partie confisqués etc.
Le plus invraisemblable après ça, c’est qu’ils votent encore pour des partis politiques français en Bretagne et qu’aucun parti politique breton n’ait pu émerger.
Les Bretons ont oubliés ce que Max Weber (économiste et sociologue allemand, considéré comme l'un des fondateurs de la sociologie : 1864-1920) résume à la fin du propos suivant :
« (…) Le projet politique est également un travail de légitimisation : « l’expérience montre qu’aucune domination ne se contente de bon gré de fonder sa pérennité sur des motifs ou strictement matériels ou strictement affectuels ou strictement rationnels en valeur. Au contraire, TOUTES LES DOMINATIONS CHERCHENT À ÉVEILLER ET À ENTRETENIR LA CROYANCE EN LEUR LÉGITIMITÉ. » (…) » (Source : Pentecouteau Hugues, « Devenir Bretonnant. Découvertes, apprentissages et réappropriation d’une langue », Éditions P.U.R., 2002, p. 196).
Certes, une fois l’habitude établie, l’état de servitude ne se perçoit même plus…
Comme le disait pertinemment Milan Kundera :
« L’aliénation, c’est être l’allié de ses propres fossoyeurs. »
Il faut en finir DÉFINITIVEMENT avec cette croyance très ancrée chez les militants bretons qui consiste à croire que sous prétexte que notre cause est juste, notre "adversaire" (ou notre "ennemi", ce qui n'est pas la même chose) finira par l'admettre. L'emsav idéologiquement très à gauche (et intellectuellement très assimilé) est dans sa bulle de bisounours. Pour que la Bretagne ait un avenir, il faut un retour au réalisme.
L’État français ne prend en considération qu’un certain type de rapport de force.
La méthode « douce » est une impasse.
Il risque de couler encore beaucoup d’eau sous les ponts en Bretagne avant que les Bretons (s’il en reste) se résolvent à l’admettre (5).
« Ὁρῶ γὰρ ἅπαντας πρὸς τὴν παροῦσαν δύναμιν τῶν δικαίων ἀξιουμένους. »
Δημοσθένης.
« J’observe en effet que tous les êtres humains obtiennent le respect de leurs droits en proportion de la force dont ils disposent. » (6)
Démosthène (-384-322 av. notre ère).
Notes :
(1) Pendant 228 ans mais de façon intensive depuis 135 ans [Lois Jules Ferry 1881-1882].
(2) Par comparaison la Bretagne (5/5) : population de 4 millions d’habitants et une superficie de 34281 km2 [Région Bretagne administrative (4/5) : population de 3,2 millions d’habitants et une superficie de 27208 km2] ; PIB par habitant 24443€ (2007) ; budget du Conseil régional de la région Bretagne administrative (4/5) 982 millions d’euros ; budget des 5 Conseils généraux bretons 3,9 milliards d’euros (2007) et ne dispose plus de Parlement autonome depuis 1789 et n’a aucun gouvernement disposant d’un pouvoir exécutif et législatif.
Exprimé autrement :
- PIB du Pays de Galles en milliards d’euros : 60
- PIB de la Bretagne (5/5) en milliards d’euros : 105 [PIB de la Bretagne (4/5) en milliards d’euros : 78]
- PIB de l’Écosse en milliards d’euros : 130
(Source : Insee, Eurostat. Ouest-France, jeudi 4 décembre 2008).
(3) En effet, si le SNP (Scottish National Party) avait choisi le gaëlique comme mètre-étalon identitaire de la scotticité, jamais la dévolution n’aurait été possible, jamais il n’aurait été au pouvoir en Écosse et jamais il n’y aurait eu de référendum sur l’autodétermination le 18 septembre 2014 etc.
(4) Cette incapacité à nommer par le Breton lambda, ce dont il fait partie et ce qu’est vraiment la Bretagne est certainement le fruit d’un tabou. Nous sommes intellectuellement et narcissiquement émasculés. Tant que ce tabou ne tombera pas et que cette conscience ne sera pas présente de façon transversale dans la société bretonne, il n’y a rien à espérer. Tant que nous ne serons pas capables d’affirmer que nous sommes une nation, le plus naturellement du monde dans une conversation avec des membres de sa famille, des amis, des collègues, des inconnus dans la rue ou sur internet, la Bretagne pourra continuer de crever.
La nation bretonne armoricaine est pourtant l’une des plus anciennes nations d’Europe occidentale. 851 : Création du Royaume de Bretagne. (Sa gestation remonte au Ve siècle
minimum : Pour comparaison, l’an 843 marque la création du Royaume d’Écosse… (Argouarch Philippe, « On parlait déjà de nation bretonne 400 ans avant la Révolution », www. abp.bzh
, 02/10/14 → La transmission de notre Histoire (de Bretagne et des Bretons, qui elle est beaucoup plus ancienne) au plus grand nombre et notamment à la jeune génération, est un véritable enjeu.
(5) Pourtant, nous sommes dans une situation inédite. La « France » vit une crise politique institutionnelle (d’ordre structurelle) et identitaire majeure, qui ne va que s’amplifier. La démocrature française arrive en fin de cycle. Il n’est pas inintéressant de savoir qu’en chinois le graphème pour « crise » est composé de celui qui signifie « opportunité ». Si la « France » n’est pas capable de se réformer (et ce sera le cas), c’est à nous Bretons de saisir cette opportunité pour faire valoir nos droits légitimes (cf. Démosthène...). C’est maintenant qu’il faut penser tout ce qui précède pour pouvoir proposer un projet politique alternatif qui donne envie aux Bretons, en nous fédérant contre le système français. (Si nous ne sommes pas capables de faire ça, il y aura bien un gland qui nous proposera un projet de VIe République française où les Bretons se feront encore enfumer…).
(6) « Juste » pour la mémoire :
« Les Bretons, avaient horreur de la servitude comme ils voyaient qu’elle régnait en France. Ils aimaient mieux mourir en guerre que de se mettre, eux et leur pays, en servitude avec leurs descendants. »
Guillaume de Saint-André, conseiller du duc Jean IV de Bretagne et chroniqueur à la fin du XIVe siècle.