Nous continuons cette semaine le cycle consacré aux patrimoines bretons en péril, menacés de démolition, de délaissement ou d'altération, par un article dédié aux paysages et patrimoines naturels de Bretagne menacés.
Étant donné le nombre de cas, nous ne pouvons faire l'inventaire exhaustif de tous les éléments de cette catégorie menacés et nous nous limiterons donc aux cas et aux luttes actuelles les plus représentatives. Nous laisserons aussi de côté l'épineuse question des algues vertes, qui à elle seule mérite plusieurs livres. Nous privilégierons une présentation thématique qui suivra l'exposé des problèmes généraux pour l'ensemble de la Bretagne.
La Bretagne historique comptait en 2007 4,4 millions d'habitants, 3,1 en Bretagne administrative et 1.3 en Loire-Atlantique. En 2040, avec 1.630.000 habitants en Loire-Atlantique et 4,1 millions dans la patrie administrativement désignée, la population bretonne s'approchera des six millions d'habitants. Il est hautement naïf de supposer que cette augmentation, si elle se poursuit selon le rythme et les pratiques actuelles, ne causera pas des atteintes irréversibles à l'environnement breton, qui est une part de l'identité de notre pays et de son patrimoine. Cette croissance sera propulsée par la Haute-Bretagne, mais n'épargnera pas la Basse-Bretagne et les terres agricoles du centre.
Accroissement, c'est-à-dire lotissements à tout va, mitage des terres agricoles (même si les PLU se concentrent maintenant sur le comblement des « dents creuses », par exemple les champs oubliés en pleine ville) et difficultés de gestion de cet accroissement. Combien de communes peuvent-elles faire comme BOUVRON (44) qui longtemps n'a accordé aucune construction de lotissement après avoir, une fois seulement, construit un grand lotissement à l'ouest du bourg dans les années 1970 ? Le cas est plus ardu encore dans les communes littorales, par exemple à MOËLAN sur MER (29) où un projet de lotissement au Brigneau a été arrêté en 2005 suite à l'intervention de l'association des amis des chemins de ronde puis repris, et où la construction continue à ce jour. Accroissement en zone littorale, cela veut aussi dire multiplication des mobil-homes, dont la SPPEF dénonce la prolifération dans l'estuaire de la Rance dans les Côtes d'Armor. Accroissement, cela veut dire construction ou augmentation d'infrastructures, et notamment le passage en 2x3 voies de la RN 165 vers SAUTRON. Le nœud routier de SAVENAY (44) où la RN 165 (vers Vannes) s'écarte de la RN 171 (vers Saint-Nazaire) s'étire maintenant sur plusieurs kilomètres. Et la déviation de la RN 171 à travers les terres agricoles de LA GRIGONNAIS, BLAIN et BOUVRON n'a pas fini de faire parler d'elle.
En Haute-Bretagne, la population de certaines communes s'accroît de 25 % entre deux recensements (entre 1999 et 2007 par exemple). Cela est sans commune mesure avec la normale en France (des communes stagnantes, en diminution ou en légère augmentation), c'est pourquoi les maires bretons sont un peu seuls pour faire face à la gestion de l'afflux de gens et à la natalité locale. Cette croissance a priori sans limite donne des ailes aux promoteurs, comme à ceux du golf-château de Rimaison en BIEUZY (56) qui ont imaginé la construction de onze villages de golfeurs pour 400 logements en tout ( voir notre article ). Alors même que le golf reste un sport qui peine à décoller, et qui dévore à la fois des terres arables et de l'eau alors que le besoin s'en fait le plus cruellement sentir. Dans le même genre, le projet pharaonique de Notre-Dame des Landes dont l'utilité peine toujours à être justifiée. Pour faire face à l'accroissement de sa population, la Bretagne manque de terres.
Le besoin de granulats pour les routes et de graviers pour les bétons pousse les propriétaires de carrières à en ouvrir de nouvelles. Ainsi la Bretagne connaît, comme à la fin du XIXe, un boom de demandes d'ouvertures en tous genres, qui rencontrent l'opposition des riverains. Ainsi, à LE SAINT l'extension d'une carrière de granit pour la taille (4.000 T/an) en une carrière de granulats d'une production estimée à 100.000 T/an fait grincer des dents. Mais le cas le plus emblématique reste celui d'ARZANO (29) où le groupe PIGEON veut ouvrir une carrière de granulats et creuser, à 360 m de la zone Natura 2000 de la rivière de l'Ellé, une excavation qui atteindra 36 m au bout de 30 ans. L'association Collectif contre la carrière recueille 5.183 signatures grâce à une pétition, une autre association, Ellé vivante, réunit les élus pour plusieurs manifestations, la mobilisation est importante et huit registres vont être remplis pendant l'enquête publique. Le commissaire enquêteur pointe « la rédaction du dossier » en indiquant qu'« il n'est pas normal qu'autant d'erreurs, d'omissions et d'inexactitudes soient relevées ! » pour justifier son avis défavorable au projet ( voir notre article ) aussi justifié par la présence de vestiges archéologiques romains dont la mention est omise sur le dossier du demandeur, l'affleurement de la nappe à 6,65 m sous le niveau du sol, l'opposition massive au projet, les risques non évalués pour le village de Saint-Adrien dont les maisons, posées directement sur la roche, sont sans fondations et que les tirs de mines peuvent fissurer et l'étroitesse des voies d'accès. Le projet attend maintenant la décision du préfet : il semble que l'on soit dans le même cas que le projet des Carmes chez nos voisins d'outre Couesnon : un projet très impopulaire, dont les justifications sont sujettes à controverse ( voir notre article ), au cœur d'un débat politisé et sur lequel le préfet est appelé à se prononcer à quelques mois des élections : on peut donc s'attendre à ce que la réponse du préfet vienne après l'apaisement des débats électoraux.
Dans son rapport, le commissaire enquêteur estime qu'actuellement, les carrières de Bretagne administrative peuvent produire une fois et demie les besoins de granulats des quatre départements. Si on ajoute les capacités de production en Loire-Atlantique (Barel en Guenrouët, le Grand Betz en Campbon, la carrière d'Herbignac…), la Bretagne est largement excédentaire en graviers et granulats… ce qui ne devrait pas décourager les ouvertures de carrière. Pourtant, si l'on se penche sur une aire géographique précise où les carrières sont nombreuses, par exemple autour de BLAIN (44), l'on peut constater à travers les âges, c'est-à-dire depuis le XIIe siècle pour les plus anciennes (Saint-Roch ou La Rabatelais) l'impact que les carrières ont sur le paysage. A Mespras, Peslan, La Barre, Barel, au Pont de Barel, au Bois de Beaumont, en forêt de La Groulais, etc., le paysage est tavelé par des carrières (de surface) anciennes ou en cours d'exploitation. Doit-on en arriver, pour certains lieux de Bretagne, à la situation de SAINT-MALO de PHILY (35) où on a l'impression nette que la carrière de sable mangera le bourg près duquel elle creuse ? http://patrimoine.region-bretagne.fr/main.xsp?execute=show_document&id=MERIMEEIA35008436
Une population qui augmente, même si elle recycle, nécessite aussi, parce qu'elle produit plus de déchets ménagers et électro-ménagers, des centres d'enfouissement plus nombreux. C'est ainsi que si une décharge a été évitée de justesse sous le champ de bataille de SAINT-AUBIN-du-CORMIER (35) en 2001, d'autres projets de décharges fleurissent, si l'on ose dire. Alors même que la gestion des anciennes décharges est problématique. Exemple celle de l'ancienne décharge de Peslan en GUENROUËT (44) sur laquelle un livre est sorti, disponible en mairie de Guenrouët, et dans laquelle des mâchefers de fonderies auraient notamment été déversés.
Le groupe Guy Dauphin Environnement monopolise l'attention en ce moment même en Bretagne. Par son projet de PLOURAY, une méga-décharge près de la rivière l'Ellé et du point de captage de l'agglomération de Quimperlé (12.000 habitants), rivière dont les saumons sont menacés ( voir notre article ) Le projet devait occuper 150 hectares de terres agricoles, recevoir 150.000 tonnes de déchets annuels, et voir circuler 150 camions par jour http://www.abp-tv.com/index.php?video_id=504&play=go. Le dossier présentant des faiblesses et se heurtant à une forte hostilité locale, le groupe a préféré faire marche arrière en mars 2011 ( voir notre article ) … pour faire planer le risque ailleurs en Bretagne, sur 65 hectares de terres agricoles au lieu-dit Fry, entre MASSERAC et GUEMENE-PENFAO (44) où les maires et le député de Châteaubriant se sont émus du manque de transparence de la part du groupe http://www.journal-la-mee.org/224003-dechets-a-guemene-l-opacite-du. Une pétition circule localement depuis le début de l'été 2011 ( voir notre article ) pour collecter des signatures contre le projet et « tuer dans l'œuf » toute tentative de méga-décharge dans le nord du 44, qui compte déjà le centre d'enfouissement de TREFFIEUX. La gestion des décharges existantes comme l'« Ecopôle » NOYAL-PONTIVY (56) est déjà à prendre en compte car ces sites doivent être surveillés et aménagés pour ne pas faire barrage à la biodiversité.
Mais deux questions restent à envisager et à régler, en élaborant une stratégie commune à tous les acteurs et collectivités bretons : le recyclage des déchets informatiques et électro-ménagers (une entreprise s'en occupait pourtant à Issé, C.E.D.R.E, mais elle a fermé) et l'endroit où il faudra bien mettre les déblais, parfois radioactifs, de Brennilis qu'il n'est pas envisageable d'exporter hors de Bretagne, au centre de la France ou dans le tiers monde, loin des yeux, loin du cœur.
On aura assez parlé des porcheries, dont la Bretagne est saturée. L'extension d'une porcherie à PLOUVORN a mis en exergue les positions des uns et des autres à ce sujet ( voir notre article ) mais depuis les agriculteurs ont commencé à se rendre compte du déficit d'image que cette saturation cause pour la Bretagne et les problèmes tendent à se raréfier. Même si les éleveurs de porc continuent à faire parler d'eux http://www.letelegramme.com/ig/generales/regions/bretagne/entre-terre-et-mer-un-phare-qui-eclaire-le-porc-a-plouvorn-27-07-2011-1382299.php, il ne faut pas oublier que l'agroalimentaire est au cœur de la force économique de la Bretagne qui est quasiment auto-suffisante sur bien des produits de son alimentation et même nettement exportatrice. Le problème de l'épuisement des sols disponibles et du manque de place pour l'avenir mérite cependant d'être posé.
La porcherie est aussi l'arbre qui cache la forêt des élevages avicoles. Un exemple parmi d'autre, l'extension de l'élevage avicole de GLOMEL contre lequel bataille l'association B.A.G.N.E présidée par Jean Kergrist, association qui pointe le risque de voir cet élevage rejeter dans l'air quelques 525.000 m3 de gaz divers chaque heure ( voir notre article ). Enfin il y a, brochant sur le tout, le problème des bâtiments agricoles anciens et abandonnés, hangars en tôle, ou couverts de fibrociment amianté. Pour un agriculteur, le coût de la destruction d'un bâtiment de ce genre se monte à 5.000 €, plus encore s'il le fait réaliser par une entreprise spécialisée, note la SPPEF pour le cas des Côtes d'Armor.
Ces dernières années, le fait que la Bretagne soit une région ventée est enfin devenu une qualité. Aux yeux des exploitants comme des pouvoirs publics, qui couvrent la Bretagne de « zones de développement de l'éolien » (ZDE) et implantent un peu partout des moulins du 3e millénaire.
Mais les opposants à l'éolien invoquent, à l'appui de leur opinion, des arguments qui ne manquent pas de sens. D'une part, l'éolien met à mal les trames bleues (réseau des étangs, rivières, zones humides) et verte (espaces boisés) que le Grenelle II vise au contraire à protéger pour pallier la perte de la biodiversité. Idéalement, il faut que les espèces vivantes puissent s'ébattre sur un territoire donné sans rencontrer de barrières, telles que les routes à grand trafic, voies ferrées électrifiées, des barrages électriques et leurs retenues ou encore… les éoliennes dont le gigantisme et le bruit font fuir les animaux. Ces trames sont occultées pour l'implantation des ZDE, comme celle de JOSSELIN dont le périmètre est en pleine forêt de Lanoue, ou celle de KERFOURN à 500 m du bourg. Pire encore, les documents censés guidés les autorités administratives pour juger de l'opportunité de l'implantation des ZDE au regard de la protection de la nature établissent une classification des paysages selon leur intérêt… interdite par les directives européennes ! ( voir notre article ) comme l'Atlas des Paysages du Morbihan récemment sorti le fait, en définissant des paysages protégés car ayant une forte valeur touristique et identitaire (Golfe du Morbihan) et des « poubelles à éoliennes » comme le plateau de Pontivy.
Dans les régions littorales, le problème est aggravé par des infractions possibles à la loi Littoral, ainsi des éoliennes de Frossay http://www.i-pornic.com/actualites_headerframe.php?id=-3. Que dire aussi des projets d'éoliennes off-shore comme celui de douze éoliennes longtemps prévu sur le plateau de la Banche devant LA BAULE, heureusement enterré mais remplacé depuis par le projet titanesque du plateau du Four devant LE CROISIC : 100 à 115 éoliennes de 150 m de haut, produisant l'équivalent d'une tranche nucléaire (750 MW), un milliard d'investissements. Des chiffres qui laissent à penser que cela soit un énième projet pour la gloriole, car personne ne dit dans quelles conditions seront installées ces éoliennes, et surtout comment elles seront remplacées quand elles viendront à point grâce aux tempêtes hivernales, embruns salés et autres coups de tabac. Des éoliennes cinq fois plus grandes que les phares, dont les feux rouges clignotants seront vus à 30 km à la ronde la nuit et qui perturberont la plaisance comme la pêche côtière ; seuls apports positifs : la création – éventuelle – d'une filière industrielle à Saint-Nazaire et de 450 emplois.
Actuellement, le vent souffle pour l'abandon des projets éoliens en covisibilité avec les Monuments Historiques et les sites naturels les plus emblématiques : l'Atlas des Paysages du Morbihan suggère clairement de faire la paix au Golfe du même nom, donc on peut espérer que le parc prévu à LANGONNET en covisibilité avec les Montagnes Noires ne se fera pas. De même, l'impact des éoliennes commence enfin à être pris en compte dans la protection des abords des monuments bretons, qu'ils soient emblématiques comme le MONT-SAINT-MICHEL http://ventdubocage.net/ ou tout simplement importants comme le château de Goulaine à HAUTE-GOULAINE (44) près Nantes. C'est pourquoi on a toutes les raisons d’espérer que la raison finira par triompher pour BANNALEC (29) où des éoliennes doivent être implantées à deux kilomètres d'une église classée du XVIe, d'une autre du XVe et d'une chapelle, de trois clochers donc dont les abords vont être troublés par les mâts des éoliennes. Mais l'implantation des éoliennes remet aussi en cause les périmètres de protection des monuments : 500 m ne sont plus rien par rapport à des éoliennes visibles à des kilomètres. Par exemple, celles du Séry en CAMPBON sont visibles à dix kilomètres à vol d'oiseau.
Le problème est du reste sensiblement le même avec les centrales solaires ( voir notre article ). Solaire ou éolien apparaissent aujourd'hui comme des énergies dont l'avenir est incertain et flouté par les dispositifs de subventions et le lobby dont leur développement dépend fortement, si ce n'est entièrement. Ainsi, l ex-tarif de rachat de l'énergie photovoltaïque par EDF, à raison de 55 centimes d'€ au kilowatt/heure, quatre fois plus cher que l'énergie issue des centrales nucléaires, était clairement une subvention déguisée à la filière et la maintenait dans une bulle spéculative dont elle ne pouvait se départir, et à cause de laquelle elle s'est effondrée, entraînant avec elle des milliers d'emplois avortés de la « croissance verte ».
Toutes ces subventions typiques du modèle économique français qui s'évertue à nier la mondialisation depuis la IIIe République pour mieux garder le contrôle sur ses citoyens, détournent les efforts d'énergies renouvelables ou semi-renouvelables qui, elles, pourraient assurer l'avenir tout en tirant parti des caractéristiques de la Bretagne, telle qu'elle est et non telle que les penseurs de Paris ou de Copenhague voudraient qu'elle devienne. La Bretagne a beaucoup de forêts et de bois, si ceux-ci devenaient une ressource énergétique comme BESANÇON l'a osé http://www.enerzine.com/6/7085+le-grand-besancon-se-chauffe-au-bois-energie+.html, il y aurait enfin une raison d'en assurer une gestion cohérente et respectueuse de la bio-diversité tout en créant des centaines d'emplois liés au bois, à sa transformation en granulés (à forte valeur énergétique) et à la gestion de la bio-diversité forestière. Quant à la bio-masse, oubliée des énergies renouvelables, elle permettrait de tirer parti des nombreuses exploitations agricoles bretonnes ; rappelons qu'en Allemagne, 6.000 fermes ont des installations utilisant cette énergie, c'est-à-dire celle que produisent leur fumier ou leurs animaux.
On ne peut permettre le gaspillage du patrimoine naturel breton, parce que plus que tous les autres, il n'est pas renouvelable et se trouve au cœur de l'attrait qu'exerce la Bretagne sur le monde, au cœur de son identité. C'est pourquoi il faut que chacun soit attentif à l'environnement dans lequel il vit, aux atteintes qui peuvent y être faites, comme à celles qui peuvent être faites à la richesse des paysages et de la diversité de la nature bretonne. C'est aussi pour cela qu'il est de plus en plus urgent de réunir l'ensemble des partenaires pour que la Bretagne réponde enfin aux défis que lui posent l'accroissement de sa population et le XXIe siècle. Alors que d'autres persévèrent dans des affrontements stériles et artificiels, la seule perdante est la Bretagne.
Nous achevons ce dossier par l'étude du petit patrimoine menacé, du patrimoine paysan, tels que four, croix de chemin, bâtiments de ferme, moulins, ponts... le petit patrimoine qui est près de chez vous et qui est en péril. Signalez-nous les éléments du patrimoine que vous savez en mauvais état ou risquant la démolition en cliquant sur « Ecrire à l'auteur » en bas de cet article !
Louis BOUVERON, avec l'aide précieuse de Fanny CHAUFFIN et d'Anne-Marie ROBIC.