Le coronavirus nous parle de nous. Si le confinement est protecteur, il sous-tend le rejet instinctif de l’Autre. Le coronavirus n’a pas de passeport nous dit le Président Macron, mais pour une grande partie de la population, il en a un. Il a pu porter la photo du Chinois coupable, et rencontrer les aspirations à la fermeture des frontières exaltée par l’extrême droite.
Il vient encore nourrir le rejet du Parisien qui nous vient, pull négligemment jeté sur l’épaule, oreille attentive sur le cac 40, et bâton de marche à la main pour arpenter en groupe nos côtes bretonnes, si tôt débarqué à Brest, Nantes ou Lorient, malgré le confinement. Il n’y a rien de mieux pour répandre le virus que le déferlement de troupeaux d’individus, nous disent les Italiens en songeant à ces maudits Milanais, expatriés en masse vers les autres contrées d’Italie.
Je bats ma coulpe mais si je succombe facilement à ce rejet-là, je me soigne. Les Jean Edouard du 16e ne sont peut-être pas pires que nous, au fond. Ils ont juste dix fois plus d’argent.
Ce qui me gêne, c’est que lorsque le tsunami déferlera, -et il déferlera nous disent les médecins- la Bretagne sera , comme en toute matière, la variable d’ajustement. Je fiche mon billet que les lits manqueront plus ici qu’ailleurs, et nos élus et préfets tireront fierté de notre altruisme légendaire. Nous avons l’habitude.
Au-delà du « chacun pour soi » , le covid19 nous ouvre un autre possible. Une autre société que celle qui produit en masse et pollue comme l’ont montré les photographies satellitaires d’une autre Chine, dégagée des affres de la pollution.
Une société des hommes capable de mettre un terme à cette course suicidaire, à coups de pillages, de destructions de forêts et de production de carbone. Et si ce nouveau monde était possible ? Il semblerait que la déforestation ne soit pas étrangère à la propagation du virus.
Le virus nous ramène à ce que nous sommes, de fragiles créatures menacées de finir notre vie, dans un triste hôpital, les poumons chargés de miasmes, en Chine, à Mulhouse ou en Californie. Il nous ramène à notre finitude, le virus, et nous rappelle que nous sommes tous égaux devant la mort. Car lorsque nous irons voir là-haut, nous ne serons pas beaucoup plus avancés que les autres. Nous passerons et plongerons dans le même oubli, ce « linceul des morts. » « Tremen ra »
J’en retire une seule conclusion dont je sois vraiment sûr : l’unité du genre humain. C’est l’unité viscérale du genre humain qui nous fait espérer un autre monde possible, capable de surmonter ses peurs, les appétits de richesse et de puissance. C’est l’unité du genre humain qui s’exprime dans ces gestes symboliques consistant à célébrer les soignants en tapant sur des casseroles à 20 H le soir.
Le covid 19 nous donne espoir et nous montre à quel point le vrai virus est ailleurs.
L’appétit de richesse et le besoin de puissance sont en nous depuis toujours mais contre cela, il n’est pas d’immunité collective.
Le besoin de richesses c’est l’œil jeté en permanence sur le cac 40 qui explique bien des atermoiements dans la réponse collective au virus, et le renoncement politique dont nous faisons aujourd’hui les frais : ces masques et ces lits qui manquent cruellement et qui provoquent l’écoeurement des soignants.
Et comme on n’est pas fier, et bien on nous ment. Normal en temps de guerre. On nous dit que les masques ne sont pas utiles, puis ensuite qu’ils le sont. Que si les Allemands ont moins de morts, ce n’est pas parce qu’ils ont mis en place une vraie politique de dépistage et de soins, non, c’est parce que c’est difficile de comparer statistiquement des données si différentes que le poumon d’un teuton et celui d’un gaulois-latinisé. Nous prendrait-on pour des cons ? Mais non, ce ne sont pas des mensonges, ça s’appelle de la comm. C’est différent bien sûr et surtout, c’est pour notre bien. Il ne faut pas désespérer Billancourt !
Le besoin de puissance s’exprime à plein dans le souverainisme absolu et viscéral de l’Etat français et de ses principaux partenaires. On lui doit ces langues qui disparaissent, ces peuples non reconnus par le droit et incapables de protéger leur environnement, ces politiques néo-colonialistes en Afrique, qu’elles prennent l’appellation de lutte contre le terrorisme ou pas. Rien n’a changé depuis la guerre d’Algérie. Les photographies présentent même une troublante analogie. Ce sont les Occidentaux qui sont les premiers responsables de l’anomie du Sahel avec le soutien aux régimes corrompus. La montée du djihadisme se nourrit de la désespérance des peuples.
Le souverainisme absolu est la pire totalité. Il brise l’unité du genre humain et le promet à l’extinction. A quoi bon parler de partage d’un Pouvoir dont le but est de demeurer troisième exportateur d’armes au monde ?
Mais le souverainisme français se découvre géant aux pieds d’argile. Il devient clair que la politique de grandeur se mène au dépend de l’essentiel : la santé, l’environnement, le bien-être des individus. La France n’est plus une grande puissance lorsque sa superbe repose sur l’endettement et qu’elle en est réduite à mendier des masques.
Quelque chose me dit qu’il y aura un avant et un après le tsunami viral. Une révolution dans les têtes, si ce n’est dans la ville. Mais ce seront moins les hommes et les politiques qu’il faudra changer que la structure même du Pouvoir. Un Pouvoir enfin partagé, si l’on ne veut plus qu’il fasse n’importe quoi. Si Paris est incapable de s’occuper de notre santé, il faudra bien s’en charger nous-mêmes.