Manque de vision, lisibilité insuffisante, résultats a minima... La première partie de mandat de Jean-Yves Le Drian appelle un jugement pour le moins mitigé de la part de Bruno Joncour. Le conseiller régional et maire de Saint-Brieuc s'interroge sur les ambitions déçues et les carences d'une « équipe disparate » . Il fait part de son inquiétude sur la gestion des sujets d'identité bretonne, pourtant l'un des étendards de la politique du candidat Le Drian. Le chef de file du MoDem en Bretagne délivre ici une critique mesurée et ajustée.
Ronan Le Flécher - Quel bilan tirez-vous de l'action de Jean-Yves Le Drian depuis 2004 ?
Bruno Joncour - On n'est pas au rendez-vous de l'ambition affichée et des attentes suscitées. Les résultats ont été a minima. Sur un plan personnel, Jean-Yves Le Drian a assez bien identifié la Bretagne par la façon dont il a conduit les affaires. Aujourd'hui, il ne viendrait à l'idée de quiconque de dire : qui est Le Drian ? Mais, ça ne suffit pas. Il faut qu'il y ait du concret derrière.
Et il n'y en a pas ?
Je reconnais qu'en quatre ans il y a eu des avancées. C'est bien que le Conseil régional soit allé au-delà de ses compétences légales en s'impliquant par exemple dans les domaines du logement ou du sport. Mais, je constate un peu de cafouillage et un vrai manque de lisibilité sur plusieurs politiques régionales. La politique de développement économique aurait pu être plus efficace. En matière d'aménagement du territoire, les partenariats passés avec les pays au détriment des agglomérations font un peu fouillis. Je trouve aussi qu'on en fait trop sur le dossier de l'établissement foncier. Ce n'est pas la panacée, mais juste un outil parmi d'autres.
Comment expliquez-vous ce décalage entre l'ambition affichée et les résultats ?
Il aurait fallu donner une impulsion dans des grands domaines. D'une manière générale, la vision globale fait défaut. Il n'y a pas par exemple de stratégie pour la langue bretonne malgré de louables objectifs. Sur le dossier emblématique de la région historique, on fait du surplace. Toutes les initiatives n'ont sans doute pas été prises.
Résultats mitigés sur l'identité bretonne
La réunification de la Bretagne n'a-t-elle pas avancé en quatre ans ?
Pas de manière significative. Pourtant, le Président de la Loire-Atlantique semblait plutôt en phase avec le Président du Conseil régional et sa majorité. On perçoit même un certain fatalisme. Il aurait fallu aller au-delà de simples initiatives. On a souvent parlé d'un référendum. On peut organiser cette consultation des habitants de Loire-Atlantique, même si elle n'a pas de caractère décisionnel. Ce n'est pas à nous de décider pour eux. L'ambition affichée sur le dossier de l'identité bretonne était forte, mais les résultats sont plus mitigés. Lorsqu'on affiche une telle ambition, on s'en donne les moyens.
La télévision régionale est un sujet sur lequel Jean-Yves Le Drian intervient peu alors que France 3 subit la centralisation et la disparition d'une partie de ses programmes régionaux et risque même de disparaître sous quelques années. Qu'en pensez-vous ?
L'idée d'avancer sur cette question est séduisante. Une télévision régionale correspondrait assez bien, je crois, au souhait des Bretons. C'est sûrement le moyen d'affirmer une identité régionale. Cela justifie en tout cas une réflexion et une étude, car une énorme mobilisation de financement est nécessaire pour arriver à un résultat concluant.
Aujourd'hui, la Bretagne est-elle respectée, écoutée, entendue ?
Moins qu'à une époque. La Bretagne doit se mobiliser et se rassembler sur des grands enjeux de développement comme elle a su le faire dans les années 60. A l'époque du Célib, elle parlait d'une même voix, savait se faisait écouter et se faire respecter. On doit le développement de la Bretagne aux Bretons, à leur volonté, à leur caractère. Pour que la Bretagne puisse peser fort et lourd, il faut qu'elle puisse exprimer dans son unité et dans sa diversité. Elle peut peser de son poids aujourd'hui pour le TGV, mais ce n'est pas le seul grand enjeu. C'est important car la Bretagne est une réalité historique, mais aussi une réalité de demain.
Une équipe disparate
Quel jugement portez-vous sur l'équipe menée par Jean-Yves Le Drian ?
Son équipe apparaît disparate. Cela joue sur la cohésion de la majorité et par conséquent sur la cohérence du projet. Plusieurs dossiers ont souffert d'un certain immobilisme en raison de convictions divergentes au sein de l'exécutif. Leurs avis se neutralisent. L'absence d'actions vraiment fortes en matière de développement économique, d'environnement ou d'agriculture est sans doute liée aux différences d'appréciation d'élus de la majorité.
Quels élus se sont-ils particulièrement illustrés durant ce mandat au sein du Conseil régional de Bretagne ?
Je n'en vois guère, hormis Gérard Lahellec qui est en charge du TGV et plus généralement du désenclavement de notre région. Il se trouve qu'il est briochin et secrétaire fédéral du Parti Communiste des Côtes d'Armor. C'est un type compétent et sérieux qui suit bien ses dossiers. Il en a fait la brillante démonstration sur l'un des dossiers les plus importants pour la Bretagne.
Vous sentez-vous plus proche de Jean-Yves Le Drian ou du chef de file de l'opposition UMP Dominique de Legge ?
J'ai plutôt une approche constructive qui n'exclut pas d'être ferme, voire sévère dans certains cas. Aussi, quand la politique menée par Le Drian semble bonne, je le dis. Quand elle ne me semble pas assez ambitieuse, je le dis aussi. J'ai toujours été contre l'opposition systématique. Que s'opposer soit la seule l'ambition d'un élu, je trouve cela triste et vraiment négatif
Fidèle à Bayrou et au MoDem
Vous avez été réélu facilement maire de Saint-Brieuc alors que le climat national était plutôt favorable à la gauche. Comment l'analysez-vous ?
J'ai toujours souhaité que cette élection municipale se situe sur des enjeux locaux. Une fois tous les six ans, la population a le droit de discuter de développement, d'aménagement, de cohésion sociale de la ville avec d'autres Briochins candidats à la prise en charge de responsabilités de la collectivité. Il semble que la population ait été intéressée par cette approche qui n'était ni politicienne et ni partisane. Ma liste n'était pas de droite. J'ai constitué ma nouvelle équipe dans cet esprit local en rassemblant des diversités de convictions et de compétences.
Restez-vous fidèle à François Bayou ?
Ma fidélité en amitié et à des convictions ne s'est jamais démentie dans les faits et dans mes relations avec Bayrou. Je suis en accord avec ses convictions et son discours de dépasser des clivages complètement ringards, dépassés. J'ai illustré localement ce que voulait faire Bayrou nationalement et réuni des gens différents sur une liste pour les faire travailler ensemble. Il se trouve que j'appartiens à la famille du Mouvement Démocrate. Mais, ce n'est pas le Mouvement démocrate qui a gagné à Saint-Brieuc.
Dites-nous où en est le MoDem en Bretagne.
Le MoDem s'identifie assez bien à la sensibilité modérée bretonne. Ce qui justifie le score de Madame Royal en Bretagne et qui fait que le discours clairement positionné à droite de Sarkozy n'ait pas séduit. Lorsque j'étais tête de liste de liste lors des élections régionales de 2004, j'ai mesuré combien la sensibilité centriste était profondément ancrée en Bretagne. Tout ceci pourrait se confirmer lors des prochaines élections régionales, sauf si des esprits un peu tordus nous négocient un mode de scrutin favorisant la bipolarisation et nous rendent les choses encore plus difficiles qu'elle ne le sont.
Propos recueillis par Ronan Le Flécher