Il y a des modes dans l'art de bâtir, et si l'entrée de ville des années 90 était « brut de raw » , panneaux publicitaires en distribil, tenues maraîchères plus ou moins égarées en ville et autres façon plus ou moins brutes de repousser tout le laid de la ville contre la campagne, aujourd'hui, il faut des entrées de villes.
Entrée de ville, c'est-à-dire que l'automobiliste doit s'apercevoir qu'il est sorti de la cambrousse où il pouvait rouler à cent à l'heure et qu'il entre dans un espace urbain hostile au tout-voiture, ou dans un village tortueux et dense où il ne dépassera pas l'allure du piéton, et encore, avec la grande magnanimité du bourgmestre de ladite bourgade. Une entrée de ville, c'est tout un art défini par des urbanistes de Paris, une fois pour toutes et pour l'édification de la province, pas pour l'usage de la capitale où de toute façon la place manque. Une entrée de ville c'est le respect. Des piétons (méga-trottoirs), des vélos (pistes cyclables très étroites que les vélos n'utilisent pas du reste), et un beau rond-point bien rond et bombé, bien gros mais pas trop, pour que surtout les camions et les bus chargés de desservir ce village perdu aient le plus grand mal à le prendre sans pouvoir non plus couper le fromage.
Entrée de ville, c'est partout pareil. Une route, un rond-point pour desservir l'inévitable lotissement de sortie de village, puis un autre pour le supermarché et son parking, ou le collège, et un autre enfin juste avant d'entrer dans le bourg. 18.000 ronds-points en France, la majorité dans les régions de l'Ouest, un chapelet de ronds-points sur nos routes et dans nos bourgs. Héric, Fay ou les banlieues de Nantes, c'est toujours pareil, une file de ronds-points à 500.000 € pièce fleuris ou sommés de pots, éventuellement d'écluses (Blain), de chaumières (Saint-Lyphard), d'ajoncs (Nantes) ou de la maisonnette de l'ancienne gare (La Plaine sur Mer).
Et maintenant Pleurtuit, 5455 habitants, près Dinard. Une église, deux chapelles restent encore à cette commune qui a donné naissance au Minihic-sur-Rance en 1849, à la Richardais en 1880. Aménagement de l'entrée sud, le meilleur endroit pour mettre le rond-point est pile sur l'ancienne voie ferrée, promue voie verte. Comme ça, si le train revient un jour entre Dinard et Dinan sous forme de tram-train, il aura déjà son rond-point à traverser, comme à Nantes. La voie verte sera du reste déviée pour traverser le rond-point dans les conditions optimales de sécurité d'après la société qui en assure la conception, GCA ingénierie. Pour installer l'œuvre d'art urbanistique, il a fallu raser une maison de garde-barrière. Puis se débarrasser en prime d'un lourd et épais quai en béton pentu de 100x20 m installé là par les Allemands en 1941 afin de décharger le matériel amené par voie ferrée et transbordé vers les chantiers de constructions de blockhaus environnants. Coût de l'opération : 800.000 €. Pour une réalisation dont la copie conforme existe sûrement à Pithiviers (Loiret), Mulhouse (Haut-Rhin), Lunel (Hérault) ou Pont d'Ain. Encore quinze ans d'entrées de villes, et elles seront plus efficaces que les instituteurs et les préfets de la 3e République…
Louis-Benoît GREFFE