Frank Darcel, né le 26 septembre 1958 à Loudéac, est un écrivain, musicien et producteur de musique breton. Engagé politiquement, il est co-fondateur du parti politique Breizh Europa qui demande une véritable Europe fédérale et la reconnaissance des anciennes nations qui la constituent. Son dernier livre intitulé Vilaine Blessure où "Vilaine" est un clin d'oeil à Rennes où se situe principalement l'histoire, est un polar breton de 600 pages publié par Le Temps Éditeur. A travers ce texte, Frank explore les "vilaines blessures" sentimentales de l'enquêtrice mais aussi les aspects les plus sombres, les plus "vilains" de la violence inhérente à l'espèce humaine. L'homme est aussi un animal, un mammifère évolué, et certains individus sont toujours dotés de la capacité d'éprouver du plaisir sans aucune empathie de la souffrance de l'autre, ce qui est la norme chez l'animal. Les Bretons ont toujours été de grands explorateurs, et avec la prolifération du polar breton, du roman noir, ils continuent l'exploration, intérieure, celle du cerveau et de son anormalité occasionnelle. Ils racontent. Frank Darcel raconte un "voyage au bout de la nuit".
[ABP] Vous dirigez un parti politique breton, Breizh Europa, vous êtes aussi un musicien très actif en tant que guitariste co-fondateur de Marquis de Sade , et un producteur de musique, comment trouvez vous le temps d'écrire des romans et même une Encyclopédie du rock breton ?
[Frank Darcel] IL se trouve que j’entretiens d’une certaine manière un rapport passionnel à la Bretagne, la musique et l’écriture. Cela facilite d’autant le fait de s’investir : quand on aime on ne compte pas... Ce qui est par contre tout aussi chronophage mais beaucoup moins gratifiant, ce sont les activités annexes, telles les taches administratives liées à la production musicale par exemple : pour ça il faut absolument que je puisse déléguer dans les mois à venir. Mais le label musical pour lequel je travaille, LADTK, les amis du Tuchenn Kador, devrait bientôt embaucher, ce sera donc plus facile pour moi. Au coeur de Breizh Europa, il y a une équipe d’une quinzaine de personnes très active, cela facilite grandement les choses. Pour le reste, cela fait plusieurs années que j’associe mes vacances à des déplacements professionnels, et que je ne considère pas le dimanche comme un jour de repos. J’espère que dans un an, après les élections municipales, quand le nouveau disque de Marquis de Sade sera sorti, et quand j’aurai fini la promotion de Vilaine Blessure, je pourrais prendre quelques semaines sabbatiques.
[ABP] C'est déjà votre 4e roman, vos livres se classent-ils dans le genre très prolifique chez nous du polar breton ?
[FD] Pas spécifiquement non. L’action du roman se déroule principalement à Rennes, avec des échappées vers Nantes et Brignogan il est vrai, donc on peut dire que ça se passe en Bretagne, mais il y a aussi quelques scènes situées à Paris, et également au Pérou. On évoque la Bretagne bien sûr, mais ce n’est une obsession pour aucun des personnages. J’aime installer une certaine distance entre mes différentes activités, ainsi les personnages principaux du livre n’écoutent pas non plus beaucoup de musique, et pas du tout celle que j’écoute moi. En fait, si j’ai choisi Rennes, c’est parce que c’est la ville que je connais le mieux. Comme les intrigues du récit s’imbriquent et impliquent de nombreux personnages, il valait mieux prendre pour décor une ville que je connais très bien. Sans compter que j’ai fréquenté un certain nombre de policiers rennais pour écrire cette histoire, il était donc logique de valider cet ancrage local.
[ABP] Comment expliquez-vous que les Bretons écrivent autant de romans policiers ? Le story telling, que cela soit dans la chanson ou le roman, les gwerzioù ou même le rock celtique est-il inhérent à l'esprit des Celtes dont les bardes furent les premiers producteurs d'histoires à conter ?
[FD] La tradition joue certainement : cette envie de raconter le monde, de se l’approprier d’une certaine manière, remonte en effet à longtemps chez nous. Il ne faut pas oublier par ailleurs que de nombreux Bretons ont été des pionniers dans différents genres narratifs ou mouvements littéraires. Ainsi Chateaubriand est-il incontournable pour le romantisme, quand Victor Segalen est un des fondateurs du roman anthropologique. Ensuite, le surréalisme doit beaucoup aux Nantais Benjamin Perret et Jacques Vaché, à André Breton bien sûr, sans oublier Yves Tanguy dans l’approche picturale de ce mouvement. Le Brestois Alain Robbe-Grillet est lui un des fondateurs du nouveau roman. Et si on élargit, on note que le Breton d’origine Jack Kerouac est un des instigateurs de la Beat Generation, et que Céline, un nouveau mouvement littéraire à lui seul, vouait un véritable amour à la Bretagne, où il avait quelques origines. Sans compter nos poètes, tels Max Jacob, Angela Duval, Xavier Grall, Paol Keineg, Yvon Le Men, Jean-Pierre Calloc’h, Eugène Guillevic, Tristan Corbière et bien d’autres.
Cette terre est donc propice aux raconteurs du monde c’est certain, mais aussi aux novateurs, tant sur le fond que pour le style. N’oublions pas non plus Théodore Hersart de La Villemarqué qui, avec le Barzaz Breiz, est responsable d’un travail monumental de conversion de l’oral vers l’écrit, salué dans toute l’Europe. Ou encore JMG Le Clezio, prix Nobel de littérature, qui n’oublie jamais ses lointaines origines bretonnes. Il y en a tant d’autres. Et rappelons-nous surtout qu’Arthur était breton, qu’il soit un mythe ou non n’y change rien, et qu’il est le personnage central du roman le plus connu issu du monde occidental. Après la bible diront certains... (rires)
Il ne faut pas oublier non plus, et c’est très important, tous ces auteurs qui sont venus en Bretagne pour chercher l’inspiration, des rapports humains différents autant que certaines lumières, alors qu’ils n’étaient pas bretons. La liste est longue, et je citerai juste Jullien Gracq, Georges Perros, Saint-Pol-Roux, Kenneth White, ou encore Ferré et Brassens.
Ce qui est certain, c’est que, si la Bretagne avait un tant soit peu son destin en main, elle aurait, en littérature, comme en peinture, un background culturel immense à assumer et à faire vivre, et de quoi baptiser rues et avenues du nom d’aînés glorieux, créatifs, pacifistes pour la plupart, et parfois géniaux !
Pour ce qui est de la tradition du roman noir en Bretagne, qui est il est vrai très vivace, je pense que c’est parce que le roman noir est devenu, en dehors de cet aspect ludique qui fait partie de son ADN (devinez qui a tué ?), un des vecteurs littéraires les plus pertinents pour analyser ou critiquer une société. En effet, c’est quand tout craque, et que des personnes passent à l’acte, l’acte irréversible et définitif, qu’il est le plus aisé de mettre en relief les affres d’une société, les défauts d’une organisation étatique, ou encore la vanité et l’inanité de certaines lois ou règlements. Le roman noir permet d’aller au fond des choses.
De fait, les Bretons aiment à se poser des questions, tout en racontant des histoires ; le roman noir est donc le media idéal.
[ABP] Vilaine blessure est donc un roman noir. Le but de la littérature est-il comme le cinéma de faire émerger le pire et le meilleur des individus ?
[FD] Oui, comme je viens de l’évoquer, à mon avis, une histoire dans laquelle on a des personnages forcément plus transgressifs que la moyenne, permet de mieux comprendre les mécanismes qui déterminent nos sociétés, de mieux évaluer cette distance ténue entre ce qui est autorisé et interdit, ce point d’équilibre fragile. Cela permet également de mettre à jour ces pensées morbides ou mortifères que nous partageons tous, sans heureusement tous passer à l’acte... (rires).
[ABP] Le marquis de Sade, patronyme de votre groupe, est aussi présent via le sadisme à travers certains de vos personnages de Vilaine blessure ». Certains individus semblent ne pourvoir obtenir du plaisir qu'à travers la souffrance des autres, comment la société peut-elle se protéger de ces prédateurs ? Si un gène responsable est un jour identifié quelles seront les options offertes à la société ?
[FD] Deux personnages du livre sont effectivement de véritables sadiques, des criminels centraux pour l’intrigue. Mais le livre évoque aussi les « vilaines blessures » qu’ont subies certains autres personnages au cours de leur enfance, telle la lieutenante Jouan. Ces traumatismes non létaux, perpétrés dans le cercle rapproché parfois, sont le fruit d’un sadisme qui est lui quotidien, chronique et fait rarement la Une des journaux.
Le livre évoque donc, au travers de conversations entre les policiers et un psychiatre, le profil de certains psychopathes, extrêmement dangereux, et par ailleurs la différence entre le tueur en série solitaire, et le tueur de masse, tel le nazi ou le membre de Daesch. Mais le récit se fait également l’écho de ces autres formes de sadisme, plus quotidiennes, moins spectaculaires, mais dont les conséquences pour la société sont tout aussi graves au final.
En ce qui concerne les prédateurs ultimes, je ne suis pas un adepte de l’eugénisme bien sûr, et je ne crois pas au monde parfait. Un monde dans lequel on n’aurait plus de source d’inspiration pour les romans noirs (rires)... Je pense que quelqu’un qui, après avoir commis des actes atroces et irréparables, serait considéré comme irrécupérable par les psychiatres, ne peut pas être remis en liberté. Mais ces cas-là sont rares.
Je crois surtout à des sociétés mieux organisées, avec des services sociaux auxquels on donne des moyens et dont on exige en retour plus d’efficacité, à une psychiatrie et à une justice auxquelles on redonne des moyens également, ce qui n’est plus le cas en France depuis longtemps. Sans compter que la France, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, s’est investie dans une politique de santé psychiatrique quasi répressive, ce qui ne fonctionne pas. Je pense aussi que les comportements criminogènes se nourrissent des vilaines blessures, ici et là, contractées lorsque l’on est encore jeune, quand le cerveau est encore en formation, comme le souligne le docteur Bielski dans le livre.
Cela n’excuse rien, pour autant, et il y des comportements criminels qui sont également déterminés par la génétique, de nombreuses études le prouvent. Mais je crois que dans une société irriguée de rapports apaisés, avec des moyens décents consacrés à la justice, à la psychiatrie et aux servies sociaux, on repère d’autant mieux les véritables dangers publics, mais aussi les brimades quotidiennes, et on se donne les moyens d’agir. C’est déjà ça, car le monde parfait n’existe pas, mais on peut faire beaucoup mieux c’est sûr.
[ABP] Merci !
3 avril rencontre lecture médiathèque Loudéac (22)
5 avril Brest, Nadoz Vor, 17 herues
6 avril Perros-Guirec, Tom librairie, le matin
26 avril Saint-Brieuc, Nouvelle Librairie, 17 heures
27 avril Guingamp Mots et Images, le matin
3 mai Marseille, librairie Maupetit
4 mai Lyon, option bal des ardents
10 mai Redon, Libellune
11 mai Quimper, Ravy
16 mai, Bruz, librairie Page 5
18 mai, fête de la Bretagne, Bruz
20 mai salon du livre de Saint-Jouan des Guérets