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La justice est aveugle et armée
La justice est aveugle et armée
- Chronique -
Réflexions sur ce que nous appelons terrorisme
Expliquer ou donner du sens aux choses : un dilemme moderne
Jean-Pierre Le Mat Par JPLM le 3/04/18 9:39

Depuis la Renaissance, dans un monde où la religion donnait à toute chose une signification théologique, des esprits rebelles ont tendu leurs regards vers la recherche d’explications rationnelles. En France et dans une grande partie de l’Europe, le mouvement vers les explications, au détriment d’une recherche de significations, a volé de victoires en victoires. Ce n’est plus l’hérésie, mais la démarche scientifique, qui est devenue la rivale de la religion. La science a conquis progressivement tous les territoires, celui de l’astronomie avec Galilée, de la biologie avec Darwin, de la psychologie avec Freud. Ernest Renan, en se penchant sur la vie de Jésus, a plongé le fer de l’explication dans le sanctuaire de la signification.

Le signifiant, rudement bousculé, a néanmoins survécu. Il correspond à une nécessité. Il a muté. En France, la laïcité est devenue le signifiant de la pensée des Lumières. Une religion républicaine s’est instituée, concurrente de la religion chrétienne. Les républicains ne l’ont pas inventée ; elle était déjà en germe chez les légistes de Philippe le Bel et les gallicans des siècles suivants.

Parallèlement à cette mutation du signifiant, le mouvement vers l’explication a étendu son domaine. L’école publique marque le combat, puis l’hégémonie de l’explication sur la signification. Le mouton est un animal herbivore ; il broute l’herbe et ses trois estomacs en permettent la digestion. A l’école confessionnelle, l’agneau est certes un herbivore, mais pas seulement. Il reste le symbole du Christ immolé pour le salut de l’humanité.

Le pic de tension entre soif d’explications et soif de significations a aussi été son dénouement. C’est l’émergence et la chute des deux totalitarismes du XXe siècle, semblables dans leurs dévastations, mais opposés dans leur moteur.

Le nazisme a donné ses signifiants pour permanents et obligatoires. Il emprunte logiquement ses images aux Croisés et aux chevaliers Teutoniques. Ce sont là des guerriers qui combattent au nom d’une signification totalisante. Pour eux, le sens de la vie individuelle et collective est l’avènement du royaume de Dieu. Pour les nazis, c’est l’espace vital du peuple allemand.

Un signifiant n’est pas un concept qui s’explique, mais qui se révèle. C’est une force qui inspire, qui transcende et qui s’impose. Dire que, pour un nazi, la vie d’un juif n’avait aucun poids est inexact ; elle n’avait pas pour eux une bonne signification.

Le communisme stalinien a donné ses explications pour obligatoires et englobantes. Il explique l’histoire humaine, même ses remous les plus incertains, par la science marxiste. Lyssenko explique la génétique végétale et rejette les travaux de Mendel comme réactionnaires. Kondratieff, dont les observations sur les cycles économiques ne correspondent pas aux explications préétablies, meurt en déportation. Contrairement aux purges nazies, les purges staliniennes exigent des accusés qu’ils contribuent à l’explication.

La victoire des deux alliés, libéralisme et communisme, face au nazisme, a été la victoire de l’explication sur la signification. Mais cette victoire était celle des armées de Pyrrhus face aux Romains. Les nazis avaient ressuscité à leur manière l’ancien monde, saturé de significations, de violence et d’arbitraire. Face à eux s’est coalisé le monde moderne. Mais celui-ci, saturé d’explications, se révèle triste et glacé. Les derniers penseurs des Lumières, Camus, Cioran, sont les penseurs de l’absurde et du désespoir.

Le mythe de Sisyphe, enchaîné à une tâche sans signification, n’est pas plus attirant que celui d’Œdipe, enchaîné à un destin sans explication.

Aujourd'hui, les terroristes… Champions des puretés religieuses, idéologiques, morales, de tout ce qui peut donner un sens à la vie… Le juge ne leur demande rien d’autre que des explications. Ils en manquent.

La brutalité fait partie de la nature. L’humiliation n’en fait pas partie. Dans un monde devenu aveuglant à force de Lumières, le jugement public, rationnel, définitif, a valeur de damnation. La défaite, lorsque l’explication la touche, devient intolérable. Le rapport du fort au faible se transforme en un rapport du fort au fou.

Avilir ou salir le fou est impossible ; l’explication ne trouve pas de prise. Dans les conflits sociaux, politiques ou religieux, le défi à la raison est une stratégie diaboliquement efficace. Elle est ingérable par la raison du plus fort.

Comment se construit l’identité du fou ? Ceux qui ne croient pas suffisamment en eux-mêmes s’en sortent par l’autodestruction, la dérision ou l’extravagance. Les alcooliques et les camés meurent en silence. Les médias fourmillent de satiristes. Les réseaux sociaux grouillent d’exhibitionnistes.

Les autres fous, les plus énergiques, les plus conscients d’une identité forte, usent de cet atout à travers la force violente et aussi la force créatrice. C’est bien connu, le génie côtoie la folie.

L’enjeu, pour le monde qui vient, n’est pas de forcer le fou à s’expliquer. L’enjeu est de ne pas lui laisser un monopole : celui de donner un sens à la vie.

La Bretagne peut en donner un. Contrairement aux folies qui mènent au terrorisme, il n'est ni universel, ni missionnaire. Paganisme ?

Voir aussi :
Vos 4 commentaires
Lheritier Jakez Le Mardi 3 avril 2018 18:16
Terroristes:
Les résistants,combattants contre les Nazis et les milices de Pétain étaient désignés par le terme terroriste,
Les combattants Algériens pour la liberté de leur pays étaient désignés par les gouvernements Français comme terroriste,fellagha.
Beaucoup ont payé de leur vie.,pourtant leurs combats étaient glorieux.
Par contre on ne peut pas accepter que des "terroristes" s'en prennent aux civils,pour moi ce sont des ASSASSINS et leurs chefs,présidents doivent être pourchassés,jugés pour leurs crimes
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Fañch Le Mercredi 4 avril 2018 13:54
Le terrorisme le plus puissant est le terrorisme d'État pratiqué par des pseudo démocraties comme la France qui pratique la terreur massive contre les populations extérieures (hier lors des guerres de colonisation ou décolonisation et aujourd'hui en Libye, Syrie, Mali dans ce que l'on appelle guerres ou interventions par droit d'ingérence - néo-coloniale -)
Le terrorisme d'État se pratique aussi par la terreur contre les populations intérieures :
- Margaret Thatcher contre les manifestants ; ou en Irlande du nord.
- la France contre les Peuples Breton, Basque et Corse ou contre les Alsaciens lors des dernières guerres- Contre les Kanaks lors des élections de 1988 (19 morts) enjeu des présidentielles dont Mitterrand comme Chirac étaient les donneurs d'ordre.
Le terrorisme fait par les individus n'est que la réponse au terrorisme d'État. Il parait plus violent car il est utilisé par les États dans les médias aux ordres.
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Naon-e-dad Le Jeudi 5 avril 2018 21:16
Cher Jean-Pierre, Yann-Bêr kaez,
"Ce n’est plus l’hérésie, mais la démarche scientifique, qui est devenue la rivale de la religion.", écrivez-vous. Je me demande souvent, surtout à l'époque actuelle, ce que peut bien signifier le terme - assez confus - de "religion". Je préfère parler de Foi, ce qui présuppose d'élargir son "regard", de l'étendre au-delà des limites improbables de la matière, au-delà du domaine de l'instrumentation scientifique et des mesures.
Bref, aucun des trois noms emblématiques cités - Galilée, Darwin, Freud -, chacun pointant vers une gamme de disciplines, ne menace ou ne concurrence la foi (chrétienne). Il n'y a pas deux raisons, une pour le matérialiste athée et une autre pour l'homme de foi.
Cela dit, De Gaulle, qui s'y connaissait en matière d'hommes, avait résumé la question dans une formule aussi concise et puissante qu'élégante: "La seule querelle qui vaille est celle de l'homme".
Comme je voudrais que tout le monde arrive à bien poser la question. Pour le reste, à chacun sa réponse. Et son choix.
Gant ma vefe savet ar gudenn e doare reizh. Da c'houde, da bep hini kaout e respont hag ober e choaj dezhañ...
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Françoise Sioc'han Le Samedi 7 avril 2018 16:15
http://7seizh.info/2018/03/30/une-deputee-lrm-compare-lenseignement-des-langues-regionales-au-terrorisme/
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