La quasi-totalité des Princes qui nous ont gouvernés ont subi la Malédiction. A partir de ce constat simple, l'érudit Étienne Gasche nous livre l'Histoire de Bretagne avec les yeux – la caméra, plutôt – de Sergueï Eisenstein, lequel débat, Hé oui !, avec Saint-Corentin afin de choisir les meilleurs plans, les meilleures scènes.
La quasi-totalité des Princes qui nous ont gouvernés ont subi la Malédiction. A partir de ce constat simple, l'érudit Étienne Gasche nous livre l'Histoire de Bretagne avec les yeux – la caméra, plutôt – de
Sergueï Eisenstein, lequel débat, Hé oui !, avec Saint-Corentin afin de choisir les meilleurs plans, les meilleures scènes.
Saint-Corentin l'a choisi, et l'a donc ressuscité pour ce voyage à travers le temps, car il attend de lui "
non pas un film, mais un chef d’œuvre". Les dialogues entre ces deux protagonistes, d'apparence si différents, l'un très catholique, l'autre sûrement très proche au début d'idées léninistes, voir son fameux
Le Cuirassé Potemkine, avant d'être voué aux gémonies staliniennes, entre autres suite à sa caricature discrète des tyrans dans
Alexandre Nevski (film). Gasche prend position sans ambiguïté contre les heures sombres du catholicisme, telles celles des Croisades, et bien entendu ne cache pas ses idées anti-staliniennes. Par ailleurs, il sait se moquer très gentiment de Jésus et de Marie-Madeleine, Mado lui va mieux.
Après Shakespeare, Eisenstein
Après son inoubliable
Tragédie de Anne de Bretagne, où l'on voit les réflexions du meilleur des tragédiens britanniques :William Shakespeare
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Étienne Gasche s'est lancé dans l'exercice périlleux de rédiger une biographie de la plus emblématique de nos duchesses, deux fois reine de France. Exercice duquel il se sort à merveille. Cette biographie, axée sur les sentiments présumés, les ressentis de chacun des protagonistes, est juste émouvante, haletante.
, Étienne Gasche frappe encore un grand coup faisant intervenir Saint-Corentin et Sergueï Mikaïlovitch Eisenstein pour cette description chronologique, mais ô combien vivante, de la malédiction subie par quasiment tous les princes de Bretagne.
Le livre, entrecoupé de schémas généalogiques précieux, est par ailleurs alerte, grâce à l'humour et au plaisir non dissimulé de l'auteur, s'amusant des anachronismes, des bons mots ("
l'amour, le sexe, le missel et l'eau bénite n'ont jamais fait bon ménage", des situations, n'hésitant pas à faire intervenir Jésus ou Le Très-haut. Le Malin, sous toutes ses représentations : Satan, Lucifer..., est par ailleurs peut-être le personnage principal, au moins le fil rouge de la narration, faisant en sorte que la Malédiction s'abatte.
Nous comprenons vraiment mieux l'Histoire, ainsi présentée.
Bien entendu, l'ouvrage est documenté, et cet excellent biographe, professeur d'Histoire en retraite, ne rigole pas avec la réalité. Il fait d'ailleurs appel à
Korentin Skrivaner, Istor Rouaned Breizh - Korentin Skrivaner, histoire des rois de Bretagne, une de ces œuvres hélas épuisée, couvrant la période du Haut-Moyen-âge, ou à Jean-Christophe Cassard
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Après le décès prématuré de Jean-Christophe Cassard en janvier 2013, amis, collègues et étudiant(e)s ont tenu à publier ce livre pour rendre hommage à sa mémoire. Avec 36 contributions qui évoquent les lieux qui l'ont inspiré, Locquirec, Nantes et plus largement la Bretagne
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Tu étais membre de Ar Falz / Skol Vreizh depuis 37 ans. Tu as été, toute ta vie durant, un amoureux de ton pays, un amoureux de sa langue. Aujourd'hui nous te perdons, Jean-Christophe, toi qui as été une sommité sans pareille de l'histoire de Bretagne
, grand Historien, dont on sent le respect qu'il inspira à l'auteur.
Interview d'Étienne Gasche
[Agence Bretagne Presse] : Quel a été le déclencheur, l'idée, qui vous a incité à présenter ainsi l'Histoire ?
[Étienne Gasche] :
Les Rois maudits de Maurice Druon a été le déclencheur quant au nom. Oui, la malédiction s'est bien abattue en permanence sur les Princes de Bretagne. Ancien photographe en noir et blanc, j'avais l'intention de présenter l'Histoire comme un film en noir et blanc, la noirceur et la blancheur du Moyen-Âge. La blancheur d'Arthur, et la noirceur de la Mort. Après Shakespeare pour la Tragédie de la duchesse Anne, je me suis tout naturellement tourné vers Eisenstein. Mais il s'agit ici d'un grand travail de recherche. Cette noirceur, cette blancheur, on la retrouve dans les films d'Eisenstein, dans ses plans, dans ses prises de vue.
[ABP] : Quelques mots sur la vie d'Eisenstein ?
[EG] : Eisenstein est un fils d'intellectuel, brillant. Au-delà de l'Histoire de Bretagne, je souhaitais mettre en valeur la vie d'un artiste dans une dictature. Trop connu pour être assassiné, il est intouchable, Staline pensait au contraire l'utiliser. Proche du peuple, voir
Le Cuirassé Potemkine, il souffrira du poids de la dictature.
[ABP] : Quelle différence avec Soljenitsine ?
[EG] : Sa notoriété initiale, car il était là avant l'arrivée de Staline.
[ABP] : Puisque la religion est omniprésente dans votre roman, avec une certaine dérision, comment vous définiriez-vous vis-à-vis d'elle ?
[EG] : Je suis agnostique. Je sais que je ne sais pas. Je ne suis sûrement pas mécréant, ni athée.
[ABP] : On sent de la tendresse dans le personnage de Saint-Corentin que vous dépeignez si bien.
[EG] : Saint-Co, je l'aime bien. D'ailleurs, j'aime bien tous ces saints de Bretagne. Ce sont des saints du peuple. Et Saint-Corentin, c'est Kemper, sa Cathédrale. J'adore Kemper. Vous savez, un de mes grands amis était de cette ville : Martial Ménard
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Après les obsèques religieuses qui ont eu lieu lundi à Lanrelas dans le berceau de sa famille, un hommage sera rendu à Martial Ménard samedi, à 19 h 30, à Quimper. Goude an obidoù en iliz Lanrelaz, bro e familh, e vo un abadenn rentañ enor da vMartial Menard disadorn da 19 e 30, e Kemper,
. (Il traduisit d'ailleurs en breton différentes œuvres de Étienne Gasche)
ndlr.
[ABP] : Vous faites également souvent référence à Jean-Christophe Cassard.
[EG] : Jean-Christophe Cassard fut sûrement le meilleur médiéviste qu'il soit. Il fallait avoir un sacré culot, à l'époque, pour faire sa thèse sur "
Les Bretons de Nominoë".
La Bretagne, c'est un lieu de vie, qui vit avec les autres
[ABP] : Vous invitez des sherpas dans votre roman, et ils sont toujours présents, courageux dans l'effort.
[EG] : Je ne souhaite pas que les gens se renferment sur leurs inquiétudes. Je souhaite vraiment une ouverture. C'est pour ça que j'ai mis des sherpas. Je les avais vus à l’œuvre dans leur milieu, en 1972, avancer en colonne avec leur chargée. Ils représentent le courage, l'abnégation. Et ils sont indispensables. Ça m'a permis aussi de mettre dans ce livre des bouddhistes. Il y a aussi d'ailleurs des juifs, des musulmans. Je ne veux surtout pas être coincé dans ma Bretagne. Je veux être ouvert. D'où le final (en apothéose,
ndlr). Un Breton peut s'épanouir en sortant de sa Bretagne, mais ça n'empêche pas d'avoir des racines.
La Bretagne, c'est un lieu de vie, qui vit avec les autres. N'oublions pas que Anne de Bretagne avait aussi du sang non breton dans ses veines. Mon idée est de faire de la pédagogie sur l'Histoire de la Bretagne. Dans l'Histoire enseignée, il n'y a que Jeanne d'Arc. N'oublions pas qu'il y a eu Anne de Bretagne, Nominoë. L'essentiel est que l'on puisse se tolérer, échanger.
Tous les travaux doivent être ramenés à l'échelle de la Bretagne, aux cinq départements
[ABP] : L'avenir de la Bretagne ?
[EG] : Je ne suis pas politique. Ou alors, tout est politique. Mon but est de faire connaître l'Histoire, ensuite, ce sont les gens qui décident comment ils vont vivre. Le monde va de toutes façons vers autre chose. Je suis sûr que dans un siècle, les frontières seront différentes. Tous les travaux, doivent être ramenés à l'échelle de la Bretagne, aux cinq départements. Il ne faut surtout pas s'arrêter au découpage administratif.
[ABP] : Revenons à Eisenstein. Pourquoi ne pas avoir choisi Charlie Chaplin ?
[EG] : J'aurais pu faire le choix de Charlot. Hélas, il a trop laissé en souvenir le côté burlesque du personnage, bien que
Le Dictateur, il fallait vraiment le faire, même aux États-Unis,
Les Temps modernes (film) aussi.
Eisenstein a laissé une autre image, de sérieux. Il fut contemporain du dernier star de Russie, son œuvre en est nourrie.
Savoir d'où l'on vient
[ABP] : En conclusion ?
[EG] : Pour moi, le devoir de mémoire ne veut rien dire. Le devoir que l'on a, c'est celui d'instruire nos enfants, pour qu'ils connaissent leur Histoire. Le monde de demain ne se fera qu'avec des gens qui savent d'où ils viennent, pour savoir où ils vont.
Note :
É. Gasche, Les Princes Maudits de Bretagne, éd. Coop Breizh, Spezet, mai 2017, 392 p.
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