Les ducs de la Maison Montfort, s'appuyant sur l'Histoire, qui était alors celle des dynasties, ont voulu affirmer la souveraineté de leur principauté, alors internationalement reconnue, mais, ils ne purent défendre leur territoire face à un adversaire plus riche et mieux pourvu en canons (1488, bataille de Saint-Aubin-du-Cormier).
Depuis, cette histoire est, sans cesse, réécrite, car de nouveaux épisodes surgissent qui désarçonnent Paris pendant un instant, avant qu'il ne lance la contre-offensive. avec plus ou moins de retard.
Elle fut fulgurante en 1675, grâce à la force militaire brute qu'on ramena à marches forcées vers Rennes, puis la Cornouaille, pour écraser dans le sang la Révolte du papier timbré, dite aussi des Bonnets rouges.
Elle prit un an en 1718, quand plusieurs centaines de petits et moyens seigneurs lancèrent l' « Association patriotique bretonne » , vite ramenée par le Régent à un complot ourdi par l'Espagne.
Punir le procureur général La Chalotais pour mettre au pas la Cour suprême de la Bretagne (appelée Parlement) qui refusait, en 1765, que les États de Bretagne (l'assemblée délibérative) soient rançonnés en contournant les termes de l'Edit d'Union de 1532, se heurta à une telle résistance en Bretagne et dans le royaume qu'en 1775, Louis XV leva son assignation à résidence, après avoir du renoncer, en 1774, à sa belle réforme brutale de la Justice, une sorte de réforme régionale dictatoriale, semblable à celle de Hollande.
La réforme religieuse, inscrite dans la loi sur la constitution civile du clergé de 1792, est décrétée avec si peu d'égards et d'humanité qu'elle révulse toute la Bretagne qui se soulève contre elle pendant une guerre qui durera jusqu'en 1815. Le souvenir en est si vif que Gambetta ne veut pas équiper de vraies armes l'Armée de Bretagne (60 000 hommes) réunie en 1870 et, elle est décimée sans combattre au camp de Conlie.
Il est difficile de dire que Paris a eu peur des attentats symboliques de 1932 à Rennes et à Ingrandes (49), mais, la montée du nazisme va brouiller les idées, si bien qu'après la tourmente et des compromissions bretonnes, tout régionalisme devient, a priori, suspect, sauf, chez ceux qui ont prouvé leur appartenance à la Résistance, encore faut-il qu'ils ne s'occupent que de culture.
C'est en 1961 que les Bretons réussissent à mettre Paris dans l'insécurité, car l'État est humilié à Morlaix, dont la sous-préfecture est envahie. Quand De Gaulle comprend qu'en faisant des investissements économiques rationnels, il peut sécuriser un réservoir de voix précieux, il finit par accepter, après mai 68, les demandes des agriculteurs et du CELIB.
Sous nos yeux, l'État, qui avait imprudemment anticipé
sur les recettes de l'écotaxe, se trouve, encore aujourd'hui, sous la menace d'une révolte bretonne, celle d'octobre-novembre 2013 qui est toujours en cours.
Le principe d'une réforme des limites des régions avait soulevé un grand espoir chez les partisans de la Réunification qui ont toujours compensé leur faible nombre par un grand activisme en organisant des manifestations à jet continu, généralement à Nantes, lesquelles ont rassemblé, plusieurs fois, des milliers de personnes, sans que la presse parisienne, et encore moins, la télévision ne les montrent ou commentent. Les premiers intéressés, les habitants de la Loire-Atlantique, à défaut de se joindre en masse aux défilés publics, ont montré à chaque sondage que le fait de revenir dans la Région Bretagne leur conviendrait. La réunification, si elle soulève la ferveur de nombreux militants, n'est cependant pas de nature à motiver les foules à elle toute seule, leur semblant loin des préoccupations quotidiennes.
Cependant, la date du 8 mars 2014 marque un tournant, car, la Réunification a été proclamée à Morlaix comme l'une des revendications des Bonnets rouges, juste après les revendications économiques. Peu de gens habitant la Bretagne historique en avaient entendu parler et, maintenant, elle est largement entrée dans le débat politique. Chose inédite, sur les 36 députés bretons, presque la moitié s'en sont déclarés partisans. Et si le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, se garde d'en parler, personne ne peut ignorer qu'il fait partie des tenants de la réparation historique.
Certains élus du Val de Loire, dont la délimitation est inscrite dans une décision de l'Unesco (patrimoine mondial de l'Humanité) ont mis en avant l'idée d'une région centrale qui comprendrait ce nom prestigieux. Ils ont donc compris que la bouillie technocratique créée par une région sans références historiques solides les conduirait, une fois de plus, à être dans la main de Paris. Ils ont compris que la France ne peut pas faire bonne figure internationalement, si elle se présente comme un grand jardin à la française, administrée à coup des lois uniformes élaborées dans des lieux à l'abri des regards.
Les Bretons vont donc pouvoir encourager cette tendance chez leurs voisins et amis de la moyenne Loire. Peut-être refaire une nouvelle fédération bretonne-angevine pour partir à l'assaut et faire exploser l'absurde région qui va des portes d'Évreux à celle de Bordeaux. Les Charentais semblent prêts à se joindre à la lutte.
Paris, en improvisant et en ne préparant rien, a ouvert un champ de bataille sur des positions défavorables, au lieu de s'occuper de manière rationnelle des absurdités de la gestion de l'État. Ses dirigeants pourront-ils continuer à donner le change, alors que le système politique central sombre dans la démagogie et la corruption dans les partis, les syndicats et dans les hautes sphères de pouvoir ?
Le maintien des deux régions Bretagne et Pays-de-la-Loire n' est pas forcément un échec des militants bretons, car, il faut voir que Paris a été contraint de renoncer au grand Ouest, forcément dissolvant pour l'idée même de Bretagne, car, on reviendrait aux politiques éradicatrices de 1790. Ce grand Ouest , paraît tellement plus « socialiste » dans l'idée de mettre la Raison au centre de tout et si la beauté de la construction n'a pas été perçue, c'est que le peuple manque de goût. Le statu quo est donc un échec, en particulier pour tout un milieu socialiste local. Pour eux tous, la Bretagne à cinq départements fait peur : trop puissante et trop prête à se mobiliser pour des causes qui indiffèrent les dirigeants.
Rien ne peut arrêter les événements et les verrous législatifs peuvent toujours être contournés. On prétend que Manuel Valls aurait fermé aux départements la possibilité de quitter leur région d'assignation à résidence. En politique, il ne faut jamais dire jamais. Le prochain Parlement pourra s'asseoir sur les voeux de l'actuel premier ministre et déjà, pour faire passer la loi actuelle, il faudra jouer l'Assemblée nationale contre le Sénat et espérer une grande discipline de députés PS en pleine déprime et d'écologistes en plein confusion.
On ne peut que constater les progrès de la maladie invalidante de l'État utilise, sans vergogne, les méthodes de la Monarchie absolue dans une société de libre parole et de responsabilité citoyenne. Manier les ciseaux dans un bureau à 20 heures montre une vanité sans bornes et un mépris profond des citoyens. Dans tous les pays qui entourent la France, ce type de réforme est longuement discuté par des commissions spécialisées du parlement. L'accepter comme normal, c'est se refuser à soi-même toute dignité ou, pire, prétendre que les Français ne sont assez adultes pour cela.
Un bouchon, au moins, a sauté, celui de la chape médiatique et le débat ne fait que commencer en Bretagne, avec la nouveauté que les partisans de la Réunification sont de mieux en mieux organisés, de plus en plus capables de maîtriser les réseaux sociaux et, qu'en un sens, ils sont les seuls sur le terrain.
A court terme, le paradoxe est que Christian Troadec, chaud partisan de la Réunification, peut, après le élections régionales de fin 2015, rassembler un groupe important au Conseil de la Région Bretagne non réunifiée et tenter de combler son déficit de popularité dans la Bretagne Est. On peut supposer que les Bonnets rouges, dont il est un porte-parole et les résultats très honorables de la liste « Nous te ferons, Europe » , qu'il a menée aux européennes de mai (5,40% en Bretagne) ont pesé dans le recul du gouvernement. Il n'est évidemment pas le seul acteur politique pouvant rassembler les Bretons partisans de la Réunification et il faut souligner le travail de fond fait par Bretagne réunie et par 44=Breizh.
Le match est relancé et tout indique que la Bretagne n'est pas morte, malgré les nombreux croque-morts qui la guettent.
Christian Rogel