L'Ukraine comprend 24 régions administratives, une république autonome (la Crimée), et deux villes avec des statuts régionaux (Kiev et Sébastopol). Il existe aussi onze régions historiques, sans plus de réalité administrative actuelle que les anciennes provinces historiques françaises comme la Bretagne séparée de sa capitale historique ou la Normandie divisée en deux (voir la carte).
Quand l'Ukraine est devenue indépendante le 24 août 1991, elle s'est retrouvée avec un vaste territoire dont une partie, avant la seconde guerre mondiale, faisait partie de la Pologne et, auparavant, de l'empire austro-hongrois. Une autre partie comme la Crimée faisait partie de l'empire russe depuis le 18e siècle et est toujours peuplée majoritairement de Russes.
Nikita Khrouchtchev a rattaché la Crimée à l'Ukraine en 1954, car, l'empire soviétique se comportait alors avec ses républiques satellites un peu comme la France avec ses colonies. La France n'a-t-elle pas un jour rattaché le Sahara à l'Algérie ? La comparaison semble aller même plus loin puisque la fin de l'URSS a fait place à des États indépendants dirigés par des dictateurs au service des affaires de l'ancien maître comme les colonies françaises en Afrique où la démocratie vient à peine de se montrer. Biélorussie, Kazakhstan, etc forment une sorte de post-empire russe, une Françafrique russe.
Les problèmes actuels sont enracinés, comme beaucoup de conflits, dans l'absence de consultation des populations. A aucun moment, on a demandé aux habitants de la Crimée, comme aux autres régions à l'Est du Dniepr, s'ils voulaient faire partie de la Russie ou de l'Ukraine. Même chose en 1923, lors du traité de Lausanne, des gouvernements et des bureaucrates européens et turques ont décidé des Etats et des frontières de l'Europe de l'Est et du Moyen-Orient, oubliant au passage de donner un État à 40 millions de Kurdes et semant les germes de futurs conflits. Aucune consultation des populations n'eut lieu. Même chose à Yalta (aussi en Crimée accessoirement) où l'Europe de l'Est fut dessinée par les Alliés avec des crayons sur un bout de papier sorti de la poche de Staline.
Les nationalistes ukrainiens de Kiev et de Lviv ont un désir légitime de démocratie et de la fin de la corruption héritée de la suzeraineté soviétique. Ils ont une méfiance naturelle vis-à-vis de la Russie. Ils se sentent Européens. Par contre, il n' a pas échappé aux Bretons et autres défenseurs des langues régionales que le parlement de Kiev, qui a pris cause majoritairement pour la révolution de Maidan, a voulu désofficialiser les langues régionales en Ukraine et en particulier le russe, alors que cette minorité russophone est protégée par la constitution. Le 27 février, le parlement de Kiev a annulé la loi linguistique de 2012 qui autorisait les assemblées régionales à déclarer 'langue régionale' celle qui est parlée par au moins 10 % de la population de la région. Ce statut de langue régionale permettait aux citoyens russophones de ces régions de faire leur démarches administratives en russe, de recevoir des enseignements en russe et cela permettait aux assemblées régionales et locales de délibérer en russe.
Pour le meilleur et pour le pire, les révolutions démocratiques ont toujours été conjointes de révolutions nationales. Ce fut le cas de toutes des révolutions de 1848 dans l’empire autro-hongrois mais encore de la révolution française de 1789, inventeur de la nation française, et qui aussi, imposa le français comme seule langue nationale. Il semble que l'Ukraine ait commis la même erreur.
Très rarement les révolutions démocratiques remettent en cause l'héritage historique des territoires hérités de royaumes agrandis par des mariages ou d'empires agrandis par des guerres expansionnistes. Le nationalisme des révolutionnaires pro-démocratie est le plus souvent sourd aux autres nations et ethnies minoritaires aux dépens du droit des peuples et de leur liberté en tant que communautés distinctes.
Il n'est pas question ici de légitimer l'intervention russe en Crimée mais de proposer une solution qui va à la source des problèmes. La seule solution pour sortir de la crise ukrainienne est d'organiser des référendums pour que les gens choisissent si les régions de l'Est feront partie de l'Ukraine ou de la Russie. Il n'y a pas d'autres solutions que d'abandonner cette sacro-sainte et absurde intégrité et unicité des territoires, défendue justement par les États-nations ayant peur eux-mêmes d'ouvrir une boîte de Pandore. L'ancienne Tchécoslovaquie s'est divisée en deux en 1992 sans un coup de feu. Et si l'Irak avait été divisée en trois états indépendants, Kurdistan, Sunnistan et Chiitestan, on aurait évité des dizaines de milliers de morts et un cul de sac politique, voire un carnage. Il n'y a aucune raison de construire des États avec des populations hétérogènes qui se haïssent pour une raison ou une autre.. Bien comprendre que les Nations-Unies défendent, certes la paix, mais aussi l'intérêt des états constitués et par ailleurs constituants de cette organisation. Il a fallu 200 000 morts au Timor avant que les Nations-Unies réagissent et proposent un référendum qui a d'ailleurs massivement donné raison aux séparatistes.
Le fédéralisme ? Sans tradition démocratique, le fédéralisme est impossible. Le fédéralisme ne semble être une solution viable et stable que pour les démocraties avancées dotées d'une justice administrative indépendante capable de huiler la fine subsidiarité des lois et l'équilibre bien compris entre le pouvoir central et les États fédérés. Ce n'est certainement pas encore le cas de l'Ukraine. Ce n'est même pas le cas de la France, 225 ans après sa révolution.
Philippe Argouarch