Environ 400 personnes ont assisté hier, sous un chapiteau dressé pour l'occasion sur la pelouse de l'Institut devenu trop petit, au 20e anniversaire de l'Institut de Locarn. Parmi eux, des success stories comme Louis Le Duff, créateur des Brioches Dorées, et du groupe Le Duff, Jean-Jacques Hénaff et beaucoup d'autres...Patrick Le Lay est aussi venu pour présider le club Erispoé (étudiants bretons) et l'université d'été de l'institut. La chanteuse Gwennyn est aussi attendue pour clôturer les festivités.
Fondé en 1994 par Joseph Le Bihan, professeur à HEC, et par Jean-Pierre Le Roch, décédé en 2006, créateur de l'enseigne de grande distribution « Les Mousquetaires » , l'Institut de Locarn s'est affirmé en 20 ans, comme le think tank de référence en Bretagne. L'institut se définit lui-même comme un "centre de prospective économique oeuvrant pour le développement économique et culturel de la Bretagne et la formation des entreprenants". Locarn, au fil des ans a su allier volonté de changer les choses et partage des connaissances acquises. L'Institut croit au futur de la Bretagne et aux potentiels de la culture entrepreneuriale bretonne.
Au début décrié, voire diffamé par la presse régionale, l'Institut a fini par s'imposer. Hier, Le Bihan n'a pas mâché ses mots "j'ai été agressé d'une façon ignominieuse par la presse bretonne qui n'est qu'un échelon d'une presse nationale subversive". Le ton était donné.
L'institut est co-fondateur de nombreux projets comme TV Breizh, Produit en Bretagne, l'Institut Technologique de Vannes ou même la Vallée des Saints. Joseph Le Bihan a rappelé ce que lui avait dit un des leaders du miracle japonais plusieurs années avant la fondation de l'Institut "Ceux qui vont gagner la guerre économique sont ceux qui auront le meilleur logiciel culturel. C'est l'aptitude d'une culture à créer, à décider, à réagir, qui sera déterminante". L'étonnante capacité du prof de HEC de voir, d'entrevoir et de prévoir est même documentée par une transparence de "l'homme de l'enseignement et du renseignement" comme l'a défini Gilbert Jaffrelot qui animait la journée, faisant allusion aux activités de Joseph pendant la guerre froide. Joseph Le Bihan avait prédit l'effondrement du système soviétique grâce à ses rencontres avec le conseiller de Mikhaïl Gorbatchev, Alexandre Yakovlev. En juin 2001, Joseph Le Bihan annonçait quelques mois avant, l'attentat du 11 septembre sur les tours jumelles de New-York. C'était le titre d'une de ses diapositives de conférence: "L'aéronef au dessus de New-York". Joseph Le Bihan est une sorte de Nostradamus breton, il en a la culture extensive et la capacité de vision. Sauf que Le Bihan ne se sert pas de ritournelles ou d'anagrammes en alexandrins. Il dit la vérité sans ménage, une qualité bretonne bien connue et pas limitée aux Léonards.
Aujourd'hui, la renommée du think tank breton a dépassé son cadre régional. Pendant la révolte des Bonnets Rouges, les chaînes de France Télévisions et de nombreux médias parisiens sont venus à Locarn "enquêter" sur ce "mystérieux Institut". Ils ont largement divulgué le mythe, à tort ou à raison, du rôle que pouvait jouer le think tank dans la révolte... La presse parisienne, médusée devant l'ampleur d'un mouvement qu'ils n'avaient pas vu venir, et qui ne sortait pas d'une organisation syndicale, cherchait des responsables, des gens qui tiraient des ficelles. La théorie de la conspiration battait son plein et faisait vendre. La réalité est bien plus simple : un des membres de l'Institut, Jean Pierre Le Mat, fait aussi parti du collectif des Bonnets Rouges.
Plus important, le think tank a acquis une renommée internationale, grâce, bien sûr, à la diaspora bretonne, inventoriée et souvent invitée à témoigner, mais grâce aussi aux activités du président de l'Institut, Alain Glon, qui, tout au long de sa longue carrière dans l'agro-alimentaire, a établi des contacts commerciaux, du Vietnam à la Russie, de l'Indonésie au Canada. Sans oublier le formidable réseau de Joseph Le Bihan, issu principalement des liens qu'il a tissés avec tous ses étudiants d'HEC. Ces anciens élèves, devenus aujourd'hui chef d'entreprises ou professeurs eux-même, et pas uniquement en France, sont reconnaissants. Ils n'hésitent pas à venir au fin fond de la Bretagne partager leurs expériences et leur savoir. En guise de remerciements au professeur visionnaire qui leur a appris à réfléchir et à comprendre les mutations profondes du monde dans lequel nous vivons, ils répondent régulièrement à l'appel pour participer aux nombreuses conférences organisées par l'Institut.
Toute la matinée, les témoignages se sont succédés avec plusieurs interventions remarquées comme celles du britto-savoyard Xavier Fontanet, ancien PDG d'Essilor, qui a présenté l'ossature de son prochain livre. Le livre propose une solution chiffrée dans les détails, basée sur des comparaisons avec des démocraties qui réussissent, afin de réformer ce que beaucoup pensent irréformable : La France. En gros, au risque de caricaturer, la France doit régionaliser comme en Suisse, travailler comme en Allemagne (adopter le code du travail et la fiscalité allemands), adopter le système de santé et de retraite de la Nouvelle-Zélande et réduire l'Etat central comme au Canada.
Jean-Yves Le Drian, invité d'honneur, avait cédé la place à Jean-Michel Le Boulanger. Brillant orateur et analyste, auteur de "Etre Breton", Le Boulanger a présenté la Bretagne comme une solution aux problèmes existentiels, égotiques et speedy de l'homme du XXI siècle. Il y a une réponse spécifique de la Bretagne au monde a réaffirmé le vice-président de la Région Bretagne, délégué à la culture.
La conclusion, brillamment envoyée par Hervé Juvin, un essayiste et économiste breton, auteur d'une dizaine d'ouvrages et de nombreuses chroniques dans Le Monde et L'Expansion, a terminé la journée sur une note optimiste avec l'affirmation que la Bretagne, forte de son identité retrouvée, face à "un système jacobin vermoulu", "[...]peut demander ce qu'elle veut". "Partout où je vais en France, je ne sais plus très bien ce que signifie être Français, mais quand je viens ici, je sais ce que signifie être Breton [...] ce que je ressens aujourd'hui c'est la magie des recommencements" a déclaré le brillant économiste sous des applaudissements. La journée s'est terminée par un bro-gozh, l'hymne national breton.
Philippe Argouarch