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- Interview -
Interview de Roger Faligot sur ses derniers ouvrages "Brest l'insoumise" et "La fille au carnet pourpre"

L’écrivain reporter Roger Faligot publie coup sur coup deux livres qui concernent la Bretagne dans un registre différent en apparence, mais reliés par leur thème : Brest l’insoumise (éd. Dialogues),

La rédaction pour ABP le 3/12/16 8:06

L’écrivain reporter Roger Faligot (voir le site) publie coup sur coup deux livres qui concernent la Bretagne dans un registre différent en apparence, mais reliés par leur thème : "Brest l’insoumise" (éd. Dialogues), une histoire panoramique de la Cité du Ponant à travers les âges et, avec le dessinateur Alain Robet, "La fille au carnet pourpre" (éd. Steinkis), un roman graphique basé sur l’histoire véridique d’une jeune fille de Daoulas, Anne Corre, entrée dans la résistance à 15 ans dès l’automne 1940. Avec en toile de fond, des villes comme Plougastel, Morlaix, Quimper, et bien sûr Brest où elle est née et fut arrêtée au Pilier-Rouge…

Bernard Hommerie – Dans Brest l’insoumise vous signalez que le Pilier rouge est au fond le plus ancien signe de la présence humaine parvenu jusqu’à nos jours. Ainsi commence votre livre, 9000 ans avant Jésus-Christ ?

Roger Faligot - Oui, mais en réalité, il faut considérer que cette Histoire de Brest prend forme vers le IIIe siècle de notre ère quand des escadrons de l’armée romaine bâtissent sur un éperon barré le premier fortin, un castellum, à l’emplacement où, par la suite, sera construit le château. Dès ce commencement se justifie la façon dont j’ai voulu raconter cette histoire illustrée (de 800 pages), à savoir d’un point de vue international et stratégique. En effet, les cavaliers d’élite qui s’installent dans cette pointe armoricaine habitée par les tribus celtes des Osismes sont des Berbères recrutés par Rome dans les contreforts du Rif (dans l’actuel Maroc). Ensuite, on doit considérer que l’installation militaire de Gesocribate (future Brest) vise en partie à protéger les déplacements de la flotte de guerre romaine dont le QG est à Boulogne-sur-Mer (Gesoriacum), mais aussi la rade de Brest et la région environnante avec des antennes de ces unités, des routes romaines, puis des unités économiques gallo-romaines que sont les villae.

Bref, l’histoire de Brest doit s’inscrire dans l’histoire bretonne (même si les Bretons n’arrivent sur place que vers le Ve-VIe siècles en provenance de Cornwall et du pays de Galles apportant la langue que nous connaissons aujourd’hui), et, en même temps, dans l’histoire internationale.

B. H. – Par rapport aux historiens qui vous ont précédé vous insistez sur l’aspect international de Brest, comme s’il était constitutif de sa psychologie collective…

R. F. – Bien obligé, au Xe siècle surviennent par exemple les Vikings qui incendient l’abbaye de Landévennec et qui s’installent dans l’embryon de ce lieu qu’ils vont baptiser Brest, (déjà une petite cité en ses murs, une église, etc.). Brest a connu les passages d’autres envahisseurs : elle a été anglaise au Moyen Âge, avant que le duc breton Jean IV, jouant sur les antagonismes entre Paris et Londres, réussisse à la récupérer. Arrive la Renaissance et elle constitue un enjeu considérable comme port de la flotte de combat d’Anne de Bretagne (et de ses deux maris, les rois français).

Puis on trouve dans les archives du roi d’Espagne Philippe II un plan pour lancer une nouvelle armada (la première s’étant soldée par un fiasco) afin de s’emparer de Brest comme tremplin pour conquérir l’Irlande et contrebattre la protestante Elizabeth Ière. Il envisage même de faire de Brest une capitale et de nommer sa propre fille, l’Infante Isabelle, duchesse de Bretagne !

Aux siècles suivants, j’explique comment Brest est devenue une ville moderne (avec son port, son arsenal, son bagne) à l’époque des expéditions pour libérer l’Irlande du joug britannique jusqu’en 1798 (culminant avec la descente organisée avec Wolfe Tone, créateur du républicanisme irlandais, et le général Charlie Kilmaine (dont j’ai écrit la biographie en 2014, "L’Irlandais de Bonaparte", Plon), en plus des expéditions pour la guerre d’Indépendance américaine et celles, scientifiques, de Bougainville et de La Pérouse.

B. H. – Pourquoi qualifiez-vous Brest d’« insoumise » ?

R. F. – À travers les âges, sa population dit non aux injonctions qui lui sont faites et se trouve souvent en porte-à-faux avec les institutions dominantes. Dès le VIe siècle, Conomore, celui que j’appelle le roi de Domnonée et « l’amiral de Brest » est excommunié par l’Église. Pendant la guerre de religions, elle soutient Henri IV, l’homme de l’Édit de Nantes (de la réconciliation entre huguenots et catholiques), ce qui est rare en Bretagne, à l’exception de Rennes et Vitré.

Pendant la révolution, elle n’est ni chouane, ni ultra-jacobine. Ce qui n’empêche pas qu’elle est profondément bretonne et républicaine en même temps. J’explique dans plusieurs chapitres comment, contrairement à la légende, Brest est une ville « bretonne » et « bretonnante » jusqu’au XXe siècle (et où la plupart des associations linguistiques et politiques défendant l’identité bretonne sont nées...).

En 1789-1798, la population et ses édiles (tel l’étonnant vénérable franc-maçon Jean-Nicolas Trouille) comprennent bien les progrès sociaux et en termes de droits de l’Homme et sont plus proches des Girondins.

Sous Napoléon III, elle acclame l’empereur modernisateur lors de sa venue de Brest en 1858, mais en 1870, c’est la seule ville de France à voter « non » au plébiscite de celui-ci puis à se solidariser l’année suivante avec les communards de Paris emprisonnés par milliers dans la rade et à l’Île Longue (quand ils ne sont pas déportés en Nouvelle-Calédonie comme la Brestoise Nathalie Le Mel).

On peut parler encore de la tradition rebelle (anarcho-syndicaliste) de l’arsenal, de la grève générale de 1935, et plus près de nous des grèves des années 1950, du mouvement « Brest debout ! » pour défendre l’arsenal en 1996 (qui regroupe toute la population, syndicats autant que notables) pour la sauvegarde des métiers de l’arsenal.

Je clos le livre avec la manifestation pour Charlie, l’une des plus importantes proportionnellement en France.

La bataille pour la laïcité, les libertés, à commencer par la liberté d’expression, est inscrite dans l’ADN de Brest depuis toujours…

B. H. – Vous dites même que Brest est l’une des capitales de la Résistance ?

R. F. – Dès l’invasion nazie, le 19 juin 1940, la population va résister de façon passive. Des organisations vont rapidement s’illustrer dans le renseignement, le sabotage. Seul le haut État-major de la Marine collabore en suivant l’ancien patron de l’école navale de Brest, l’amiral Darlan, mais les cadres intermédiaires et les matelots de la Royale sont nombreux à résister sur place ou à rejoindre les Forces navales françaises libres de de Gaulle (en dépit de l’animosité suscitée par la politique de Churchill à l’égard de la flotte française à Mers-el-Kébir, Toulon, Dakar).

Intra-muros, des résistants aux convictions très diverses – des adhérents des patronages religieux comme ceux des patronages laïques entrent dans la résistance, y compris armée. Des gens appartenant au groupe Élie (les « Onze martyrs » fusillés au Mont-Valérien), ceux du réseau Alliance, ou encore les communistes (qui ne suivent pas à Brest les consignes de la direction centrale de leur parti de ne pas résister en fonction du pacte germano-soviétique).

Bref, tout ce beau monde résiste. Parmi les nombreuses révélations de mon livre, je raconte qui était la vraie « Barbara », la résistante Annie Hervé qui a inspiré à Jacques Prévert son poème : « Rappelle-toi Barbara, il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour là... »

B. H. – Autre visage de résistante qui apparaît dans votre livre, c’est Anne Corre, également la jeune héroïne de votre bande dessinée "La fille au carnet pourpre" ?

R. F. – Oui, j’avais tellement d’informations passionnantes concernant sa courte vie, l’ayant déjà mentionnée dans "La Rose et l’Edelweiss" (éd. La Découverte poche) - un livre sur les ados dans la Résistance - qu’il m’a semblé qu’on pouvait raconter son histoire, illustration graphique de l’évolution d’une certaine résistance en Bretagne et singulièrement dans le pays brestois.

J’ai poursuivi l’enquête notamment pour le magazine ArMen. Puis, j’ai proposé au dessinateur Alain Robet, qui vit également dans la presqu’île de Plougastel et qui est l’auteur, avec la scénariste Dominique Robet, de la passionnante série d’aventures maritimes "Gabrielle B…", de réaliser une BD sur Anne Corre.

Fille d’un garagiste et de la directrice de l’école des filles à Daoulas, elle a d’abord manifesté, avec ses ami(e)s son opposition à l’occupant en fleurissant le monument aux morts de la guerre 14-18 le 11 novembre 1940 à Brest où elle était lycéenne. Par la suite, elle s’est retrouvée à Paris, au contact de Geneviève de Gaulle, la nièce du général, qui revenait de faire ses études à Brest et s’est lancée dans la Résistance.

Anne a étudié à Morlaix (où nous cherchons à identifier ses copains de classe de l’époque grâce aux photos). Enfin, elle s’est retrouvée à Quimper, avec les lycéennes de Brizeux, et les garçons de la Tour d’Auvergne et du Likès.

Avec sa compagne Jacqueline Razer, dont le père est morlaisien et la mère originaire de Rosnoën, Annick participe au groupe « Marceau », qui effectue du renseignement et l’exécution de collaborateurs bretons des nazis. Directement responsable d’un attentat contre l’un des tortionnaires de Quimper, elle sera poursuivie, et arrêtée à Brest avec Jacqueline. De la prison Jacques-Cartier, au moment où Rennes est libérée par les Américains avec la Résistance, elle est envoyée en déportation par le dernier train, le « convoi de Langeais » (avec une centaine de déportés, Jacqueline s’évade du train mais pas Anne...)

C’est Ravensbrück, puis le camp de Genshagen (où la très pro-nazie firme Mercedes-Benz utilise des esclaves déportés pour construire des moteurs d’avions de guerre), et finalement, le camp d’Oranienburg-Sachsenshausen. Elle est probablement décédée des suites de la tuberculose après que l’Armée rouge ait libéré le camp de concentration. C’est un mystère.

Mais le mystère plus grand encore, qui a suscité l’idée que nous avons eue, Alain Robet et moi, de réaliser un roman graphique, était celui-ci : après 1945 et jusqu’à une époque récente, certains vieux habitants de Daoulas estimaient que cette jeune femme, morte à 20 ans, n’était pas une vraie résistante, mais au contraire collaboratrice. Au motif que certains l’avaient vue au bras d’un jeune officier allemand…

Il a donc fallu dénouer l’écheveau de ce double jeu auquel la jeune Bretonne s’est livrée et réaliser ce roman graphique avec un scénario le plus proche possible de la réalité.

Une histoire véridique rendue possible grâce au trait incisif d’Alain Robet, toujours soucieux du détail historique. C’est ce que j’appelle le reportage historique ou le journalisme d’investigation au service de l’Histoire locale.

La ville de Daoulas, qui a déjà érigé une stèle à la mémoire d’Anne Corre, lui consacrera des débats, en ville et au collège, en février 2017 autour de notre bande dessinée, "La fille au carnet pourpre".

Dès cette semaine, Alain Robet et moi-même animons une conférence-débat, organisée par l'association Gorre ha Goueled, sur les deux livres (vendredi soir 9 décembre, 20 h 30 à Steredenn) dans la ville voisine de Loperhet qu’hante encore le fantôme d’Anne Corre, au Moulin de Kergoff, où vivait son grand-père à la lisière de Plougastel...

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Vos 1 commentaires
  Chadaux maxime
  le Dimanche 4 décembre 2016 00:22
J'ai recu le livre Brest l'insoumise oour pour anniversaire le mois dernier. Je l'ai vraient beaucoup apprecié. Il est trés bien écrit, agréable et fort interressant. Malgré ses 800 pages il n'est jamais barbant et on aimerais, une fois terminé, qu'il en fasse 200 de plus ! Un trés beau cadeau , un trés bon livre .
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