PROCÈS "ARB" du 1er au 26 mars 2004
La police manipule-t-elle ?
Le cinéaste René Vautier est venu témoigner devant la cour d'assises spéciale en ce dernier jour d'instruction, vendredi 19 mars après-midi. Résistant en Bretagne malgré son très jeune âge lors de la deuxième guerre mondiale, décoré de la croix de guerre à la Libération, il se jure de ne plus jamais porter d'arme.
Il devient cinéaste : « Tu filmeras ce que tu vois, ce que tu sais, ce qui est vrai. »
Son premier film sur l'anticolonialisme, dans les années 50, lui vaut un an de prison. Il sera diffusé 46 ans plus tard par le ministère des affaires étrangères dans une cinquantaine de pays.
Pendant la guerre d'Algérie, il enregistre des témoignages sur le colonialisme. C'est l'armée française qui détruit ses bobines.
Dénonçant à nouveau le colonialisme, il sera poursuivi pour atteinte à la sûreté de l'Etat pour avoir prédit l'indépendance de l'Algérie. Quelques années plus tard, quand il tournera le célèbre film "Avoir 20 ans dans les Aurès" avec des Bretons, il sera primé au Festival de Cannes.
Tout cela démontre bien que ce qui est considéré comme un mal sur le moment peut être reconnu comme un bien dix, vingt ou trente années plus tard...
"Je n'ai jamais eu aucun contact avec les mouvements clandestins", explique René Vautier. "Mais j'ai pris conscience des problèmes bretons, ceux des marées noires, des paysans, l'interdiction d'expression à la télévision pour des gens comme Glenmor ou Alan Stivell..."
Témoignages pour les générations à venir
L'une des actions menées par le cinéaste consiste à enregistrer des témoignages de ce qui se dit devant les tribunaux, pour les faire connaître aux générations à venir. Ainsi a-t-il reçu le témoignage d'un policier français qui a expliqué avoir fourni des explosifs aux anti-colonialistes algériens dans les années 50, en accord avec son ministre de tutelle, " pour pouvoir les prendre la main dans le sac. "
Il évoque également la manipulation des clandestins bretons lors de l'attentat contre la maison de Bouygues : "Des policiers reconnaissent avoir exagéré dans cette affaire."
Sa conclusion : "J'ai peur, si vous condamnez dans cette affaire, qu'il y ait plus tard des gens qui reconnaissent que ceux qui sont présents ici aujourd'hui n'étaient pas les seuls coupables. Les gens qui déposent des explosifs sont parfois manipulés..."
Sans avoir l'air de trop y croire, le président de la cour d'assises spéciale interroge Kristian Georgeault : "D'où teniez-vous les explosifs que vous avez utilisés ?" . "De mon contact". "Ce n'était pas un policier ?". "Je l'espère...".
Les soupçons du JDD
Ce qui débouche tout naturellement sur une demande déposée par l'avocate Me Isabelle Coutant-Peyre, de convoquer le directeur des RG (Renseignements Généraux) au titre de témoin. En effet, le Journal du Dimanche a publié le dimanche précédent sous le titre "Le procès de dangereux bricoleurs" une affirmation (entre autres) d'un homme présenté comme "un poseur de bombes des années 70" : "Depuis le début des années 90, le mouvement est pourri de l'intérieur. Il y a eu des infiltrations. Les RG ont recruté un indic."
Et l'article se poursuit : "Vrai", reconnaît un ancien de la PJ de Rennes, qui a suivi le dossier pendant 20 ans. Ce policier, qui préfère rester anonyme, a d'ailleurs des remords. Il se sent "un peu responsable" de la mort de Laurence Turbec (...). Avant qu'on n'en arrive au pire, la mort d'une jeune femme, "la police n'a pas fait tout ce qu'elle aurait pu faire pour arrêter des membres de l'ARB", estime le policier à la retraite. Un exemple ? "En juin 1989", affirme-t-il, les noms de trois membres du kuzulmeur (NDLR : "grand conseil" de l'ARB) sont connus de la PJ et des RG. Mais ils ne sont pas interpellés." Pourquoi ? "Peut-être pour mieux les suivre. Mais cela n'a mené à rien. RG, PJ et DNAT ont travaillé dans leur coin sur l'ARB. A Paris, dans le directions centrales, j'ai l'impression que le dossier n'intéressait pas."
Le président de la cour d'assises spéciale a immédiatement refusé de convoquer le directeur des RG.
A noter qu'au cours de cette audience, l'avocat de la partie civile a demandé que soient évoquées des écoutes effectuées au parloir lors d'une visite à la prison de La Santé de Solenn Georgeault à son compagnon Arno Vannier. Le président de la cour d'assises spéciale a répondu qu'il se refusait de faire état de ces transcriptions "pour des raisons déontologiques", laissant les avocats libres de les citer eux-mêmes, ce qu'ils n'ont pas fait.
SK VZH : 19/03/2004