De nombreux Bretons, acquis aux idées communistes, seulement "compagnons de route" ou simples observateurs, se sont rendus en Russie après le triomphe de la Révolution bolchévique de 1917. Ce fut le cas de Louis Guilloux, de Jean Guéhenno, de Jean Cremet, de Louis Martin-Chauffier, de Paul Nizan et de bien d'autres, pour des visites allant de quelques semaines à quelques mois. Leurs lettres, leurs reportages et leurs récits ont témoigné de sentiments très divers mais souvent assez réservés. À leur retour, beaucoup de ceux qui étaient partis visiter la "patrie de la Révolution prolétarienne" avec un grand enthousiasme, ne cachaient pas leur déception ou, au moins, leurs réserves.
Les Bretons et Bretonnes ayant vécu durant de nombreuses années en Union Soviétique n'ont pas été très nombreux et leurs témoignages sont rarissimes. C'est ce qui fait l'intérêt du livre que viennent de publier au mois de septembre les Éditions de l'Aube dans leur collection Poche Document.
Anne-Marie, dite Annette, une Bretonne de Belle-Île, qui était partie à Paris, y avait découvert le monde du quartier de Montparnasse dans les années 1930. Musiciens, sculpteurs, acteurs, écrivains, peintres y formaient alors une surprenante faune cosmopolite. La jeune Bretonne allait rencontrer l'amour en la personne de Lvovitch Rabinovitch, Juif russe venu d'Odessa. Les deux jeunes gens se marièrent et vécurent d'abord très heureux, puis, quand survint la guerre, "Rabi" décida de rejoindre son pays, la Russie alors soviétique. Il partit pour Moscou, promettant à sa jeune femme d'y préparer son arrivée. Sans nouvelles de son époux, Annette décida de s'embarquer à son tour pour ce pays dont elle avait acquis la nationalité par mariage. Elle allait y trouver l'enfer. Annette allait connaître de terribles épreves, bientôt divorcer, puis se remarier, avoir une fille… Il allait lui falloir dix années pour pouvoir échapper à l'enfer stalinien.
Ce livre n'est pas un roman, mais le récit authentique, terrifiant – et passionnant - d'une très belle histoire d'amour pulvérisée par la guerre et le totalitarisme. C'est aussi une magistrale leçon de résistance au cœur d'un monde aujourd'hui disparu, une leçon reprise ici à quatre mains par la petite-fille d'Annette, Lucile Guber, qui entrecroise leurs deux histoires.