Du Trio… au Sextet !
Revoici FORJ qui, dans le contexte de cette seconde configuration musicale, nous propose son premier album, en quelque sorte, sous-titré « Musique de Bretagne - Son-Nrî De Haott B-rtingn » , si l’on prend en considération cette mention figurant, au dos de la jaquette, en tête de chapitre de la liste des titres interprétés.
Spécialisé dans la musique à danser de Haute Bretagne, celle du pays dit « gallo » , territoire situé à l’Est de la Bretagne où l’on ne parle pas la langue bretonne, mais gallèse, FORJ, formation de fest-noz, a été créée, en 2014, par trois musiciens rennais, Clément LE GOFF, au chant, Kenan GUERNALEC, à la flûte traversière en bois et Alan VALLEE, à la guitare acoustique 12 cordes.
Pourquoi cette appellation « FORJ » ?
Les trois fondateurs du groupe, plus exactement du Trio, l’approche musicale étant quelque peu différente, dans la mesure où les personnalités artistiques, à parts égales, se confrontent pleinement, ont souhaité, pour leur identité une dénomination à consonance gallèse, reflétant, pour le chant, l’expression linguistique, délibérément, choisie.
Il fallait un nom court, incisif, qui traduirait un travail profond de la matière initiale, pour la modeler, la façonner. Le vocable « Forge » et sa symbolique se sont imposés à l’esprit des membres de la formation naissante.
Le « petit MATAO » , dictionnaire gallo de Régis AUFFRAY, paru en 2018, mentionnait ce même mot, orthographié avec un « j » .
Le foyer de « FORJ » commençait, alors, à rougeoyer de créativité, délivrant sa toute première « pièce manufacturée » , dès 2015, avec la parution, format à mi-chemin entre le single et l’album, d’un Extended Play, communément dénommé EP, en fait, un disque de 4 titres.
Ce premier enregistrement avait pour simple but de présenter l’état d’esprit musical et linguistique du trio.
C’est sur cette prime base discographique et, bien entendu, avec de nouvelles créations que le trio se fait un nom, en Bretagne, en France, en Europe, dans le monde des musiques traditionnelles.
A partir de 2016, FORJ enchaîne de nombreuses tournées en France, Italie, Irlande, République tchèque, Allemagne, Autriche, Suisse…
Plus de 150 concerts !… Le trio se professionnalise, alors.
En janvier 2017, FORJ, groupe de création, publie son premier album de 8 titres, intitulé « Rue du chat qui danse » .
Ronds, Bal de Loudéac, Avant-deux, Contre-rond de Saint-Vincent, Polka, Hanter-Dro, Ridées 6 temps, qui y sont gravées, traduisent ce répertoire de Haute Bretagne, particulièrement en contredanses et en paludier, qui intègre une dimension supplémentaire aux rondes de haute Bretagne et au répertoire bas breton, à savoir la notion d’annonce de la danse.
A la manière des « callers » irlandais, les musiciens de Haute Bretagne annoncent les figures et peuvent jouer avec les danseurs.
Des précisions que Kenan GUERNALEC formule, lors d’un entretien avec TAMM KREIZ, rencontre inhérente à la parution de cette deuxième parution discographique sus-citée.
En 2019, les trois musiciens ressentent l’envie d’étoffer musicalement, mais toujours au service de la danse, la formation de base.
Du trio, FORJ passe au sextet !
Les trois fondateurs rencontrent, alors, le contrebassiste Hubert FARDEL du groupe ORMUZ, le violoniste Loumi SEVENO, musicien de TRI YANN et le batteur Marcus CAMUS.
Ces derniers nommés ont, tous deux, accompagné Alan STIVELL.
Ainsi, l’univers musical de FORJ s’enrichit, offrant aux danseurs, sur une rythmique, encore plus efficace, de très jolies et riches lignes mélodiques qui mettent d’avantage en valeur, le talent, déjà, marqué du trio originel.
Hubert apporte à la formation son expertise dans la musique à danser, Marcus, son côté plus jazzy, plus funk et Loumi, ses incontestables talents d’arrangeur, créant, de fait, une musique, particulièrement, énergétique qui dope inexorablement les danseurs.
Lorsqu’elle prend de l’épaisseur, si, comme ici, elle sait se parer de belles ornementations, la musique à danser devient, aussi, de la musique à écouter que l’on peut proposer, sur un CD, autrement que pour marquer le pas.
En 2020, FORJ projette, bien naturellement, d’enregistrer un deuxième album où l’exigence en matière textuelle va rejoindre, s’adjoindre, à la qualité et l’étendue instrumentale, déjà, atteinte.
Pour l’enregistrement de ce disque, le chanteur Clément LE GOFF, joue, également, de l’harmonium indien, du pael à jonc, Kenan GUERNALRC, de la flûte traversière en bois, du piano, clavier et pael à jonc, Alan VALLEE, de la guitare 12 cordes et guitare barytone semi-Nashville, Loumi SEVENO, du Quinton (instrument baroque appartenant à la famille des violes, du violon et de la vielle à archet, Hubert FARDEL de la contrebasse et basse électrique, Marcus CAMUS, de la batterie.
Côté, paroles, l’idée vient de créer, en langue gallèse, des textes poétiques originaux sur la nature, les 4 saisons, les amours, et les mœurs champêtres...
Cette démarche d’élaboration d’un corpus d’une quinzaine de chants originaux contemporains gallo à danser est une grande première, le traditionnel gallo étant chanté, habituellement, en français, contrairement à la pratique de la langue gallèse parlée dans ces contrées.
FORJ fait alors appel au chanteur, poète et linguiste breton gallésant, Bèrtran ÔBRÉE (Voir site) .
Ce n’est, ainsi, pas par hasard que ce disque, à un titre près, écrit entièrement dans la langue d’oïl de la partie Est-bretonne, reçoive, à sa sortie, en décembre 2020, le Prix de la Création en langue gallèse, décerné par la Région Bretagne.
Nous avons évoqué, l’éclosion musicale de FORJ, la recherche textuelle du sextet, n’oublions, surtout pas, la qualité du séduisant et véloce chant de Clément LE GOFF.
Le chanteur de FORJ Sextet a pratiqué le chant lyrique, œuvré dans les chœurs et s’est formé au chant traditionnel avec Charles QUIMBERT, Marthe VASSALLO ou Sylvain GIRAULT.
Il a également pratiqué la danse bretonne et, à Rennes, avec Pierre CREPILLON, sonneur du Centre Bretagne, la bombarde. Un « professeur » qui ne manquait pas d’affirmer : « Pour bien sonner, il faut savoir chanter et danser » .
Excellent chanteur, Clément LE GOFF joue, aussi, du biniou, du hautbois et du shruti box, une sorte d’harmonium, instrument et anche libre de diverses tessitures aux bourdons variables actionnés par un soufflet, qui accompagne le chant indien, rappelant le bourdon de la vielle à roue ou de la cornemuse.
Clément est un amateur averti de musiques modales, classiques, jazz ou Renaissance.
Au cours de son parcours, en recherchant les différences, mais aussi, les similitudes entre les styles, il a travaillé à la rencontre d’autres esthétiques avec des musiciens classiques ou de jazz.
Notamment en jouant du hautbois, le chanteur de FORJ s’est recentré sur les musiques anciennes, comme celle de la Renaissance, qu'elle soit chantée ou dansée. Au cours d’interviews, Clément LE GOFF explique que les liens entre la musique et les danses de cette période et la musique bretonne jouée et dansée sont nombreux. Les branles simples ou doubles de la Renaissance ne sont-ils pas fondateurs des An dro ou Hanter-dro ? Ce sont des danses en ronde, bâties sur un répertoire chanté à répondre, pratiqué, dès cette époque. Il existe des « ponts » indirects avec les chants et danses de Bretagne, du 19e et début 20e siècle.
L’album que nous vous présentons, propose un programme de près de 45 minutes composé de 12 plages avec des morceaux chantés à danser et 3 courts instrumentaux qui ponctuent le « fest-noz » .
A noter que sur les 9 chants, 8 en langue gallèse, sont à danser (Avant-deux de travers, Ronds de Loudéac, Bal, Riqueniée, Tour, Rond de Saint-Vincent, Kerouezee).
Le chant de la 9e piste est consacré à une poignante complainte à écouter, de plus de 6 minutes, interprétée, en français, néanmoins, sur un texte traditionnel.
Nous avons bien apprécié les 3 courts instrumentaux dont la durée respective n’excède pas 1 minute 45.
Le traditionnel « La fille d’un riche marchand » introduit le programme, avec une très jolie ligne de flûte insufflée par Kenan GUERNALEC, les deux autres instants mélodiques temporisent, pour quelques instants, le rythme effréné de la danse, on reprend son souffle, en se délectant !
Ces trois morceaux mettent en valeur la qualité des musiciens du fondateur Trio FORJ originel…
En piste 3, Alan VALLEE, sur le fil de sa composition « D’accord » (Ah le joli jeu de mots !), nous ravit de ses limpides jeux de guitares.
Pour « Sou l’oreij » , en piste 10, Kenan GUERNALEC, avec élégance, fait, sur sa composition, ruisseler de ses claviers, une persistante pluie de notes noires et blanches qui s’évanouit dans un final suspendu.
L’opus est mis en valeur par une bien élégante jaquette cartonnée au graphisme raffiné et contemporain, écrin réalisé par Sébastien RAULT, du Studio Brétillien (35-Ille et Vilaine) CRAFT (Voir site) .
Accompagné d’un livret illustré de six photos des membres du groupe, réalisées par Louise QUIGNON, relatant le parcours et les intentions artistiques de la formation, la distribution vocale, instrumentale, technique, « photo-graphique » , la collaboration littéraire avec Bértran ÖBRÉE, et surtout, reprenant la transcription de la langue gallèse au français, des textes chantés, ce très vivant album à danser, mais aussi, à écouter, que nous vous conseillons vivement d’acquérir, met, magnifiquement, en valeur, une autre langue de Bretagne, certes, moins véhiculée par les chanteurs que celle de Basse Bretagne, mais qui est, autant, composante culturelle de l’identité bretonne.
Cette démarche de promouvoir, grâce au chant à danser interprété par des Bretons de « Breizh Uhel » , un « terroir linguistique » autre que celui de la langue bretonne de « Breizh Izel » , nous remet à l'esprit le référant texte « La découverte ou l'ignorance » , issu du livre « Comment peut-on être breton ? » , ouvrage du journaliste et essayiste nantais, Morvan LEBESQUE (1911-1970), repris, en 1976, par TRI YANN, légendaire groupe breton originaire du pays gallo, par excellence :
…/…
« Le breton est-il ma langue maternelle ?
Non ! Je suis né à Nantes où on n'le parle pas.
Suis-je même breton ???... Vraiment, je le crois... »
…/…
Pour faire danser le répertoire de Haute-Bretagne, en langue gallèse, FORJ a réalisé un opus coloré, dynamique, entre autres, textuellement, novateur, certes, avant tout, destiné au fest-noz, mais aussi, très plaisant à écouter « au salon » .
Si, comme il le précise au cours de ses interviews, FORJ a pour but de « faire tomber, au maximum, la frontière entre danseurs et musiciens » , il sait, aussi, par la qualité incontestable du chant et de sa musique, faire tomber les possibles frontières qui subsistent, parfois, entre danseurs et auditeurs…
FORJ est distribué, en numérique, par Phonolithe et sur Compact Disk, par Coop Breizh, alors ?…
Gérard SIMON
Illustration sonore de la page : FORJ "Vèrjayon" (Avant-deux de travers) - Extrait de 01:10.
D'autres extraits sonores sur Culture et celtie, l'e-MAGazine (Voir site)
Les titres du CD "Musique de Haute Bretagne - Son-nri de Haott B-rtingn", de FORJ.
01 - La fille d'un riche marchand - 01:44.
02 - Vèrjayon (avant deux de travers) - 04:34.
03 - D'acord - 01:35.
04 - Le ten d faochë (Rond de Loudéac) - 04:33.
05 - Vèici lé nuée (Bal) - 02:38.
06 - Conm la nèij (Rond de Loudéac) - 03:18.
07 - Du chardron e dujasmifi (Riqueniée - 04:13.
08 - Du ten pourr apurë (Tour) - 04:26.
09 - 21 de mars - 06:22.
10 - Sou l'orèij - 01:35.
11 - Galaunt pourr lonten (Rond de Saint Vincent) - 04:28.
12 - Daunçon wo lé papilhon (Kerouézée) - 04:38.
Durée totale : 44:04.
CD "Musique de Haute Bretagne - Son-nrî de Haott B-rtingn" :
Parution : janvier 2021.
Distribution : COOP BREIZH - (Voir site)
Distribution numérique PHONOLITHE - (Voir site)
Réf : 4016398
La page Facebook de FORJ : (Voir page)
© Culture et Celtie