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L'histoire de Bretagne au XIXe siècle : de La Borderie, Pocquet, Dupuis et Gabory
La révolution de 1789 fut une phase particulièrement dramatique pour la Bretagne. L'annexion de la Bretagne par le traité de 1532 avait eu pour effet de rayer la principauté de la carte internationale, et de lui ôter
Par Louis Melennec pour Histoire et Identité le 4/09/05 23:19

L'histoire de Bretagne au XIXe siècle : de La Borderie, Pocquet, Dupuis et Gabory (Chronique V)

La révolution de 1789 fut une phase particulièrement dramatique pour la Bretagne.

L'annexion de la Bretagne par le traité de 1532 avait eu pour effet de rayer la principauté de la carte internationale, et de lui ôter sa souveraineté. Du moins avait-elle conservé certaines prérogatives.

Les États, qui regroupaient les trois ordres du pays, continuèrent à se réunir tous les deux ans, et à voter les impôts. Le Parlement fut restauré par un édit rédigé à Fontainebleau en mars 1554.

Les conflits furent constants, mais le système fonctionna assez bien. Les États et le Parlement luttèrent avec acharnement pour maintenir les privilèges de la Province ; ils devinrent l'incarnation de ses franchises. Leur résistance fut efficace. En 1746, le roi tirait de la Bretagne douze millions par an. En 1772, les chiffres n'ont pas varié. A la veille de la révolution, la Bretagne payait, proportionnellement par rapport aux autres provinces, la moitié de ce qui aurait du lui incomber, compte tenu de sa population. Malgré les violations incessantes du contrat d'Union, la situation de la Bretagne était donc privilégiée par rapport au reste du royaume.

La révolution entraîna en Bretagne un cataclysme. Les États furent supprimés le 5 novembre 1789. La province fut divisée en départements, et dirigée par des préfets nommés par le gouvernement de Paris ; la Bretagne cessa complètement de s'administrer elle-même. La langue et la culture furent l'objet de persécutions de plus en plus fortes. Le signal fut donné par le rapport établi par l'abbé Grégoire en 1789, "sur la nécessité et les moyens d'anéantir le patois et d'universaliser l'usage de la langue française" : "La langue française a conquis l'estime de l'Europe, et depuis un siècle elle y est classique [...] Dans sa marche claire et méthodique, la pensée se déroule facilement ; c'est ce qui lui donne un caractère de raison, de probité, que les fourbes eux-mêmes trouvent plus propres à les garantir des ruses diplomatiques. Si notre idiome a reçu un tel accueil des tyrans et des cours à qui la France monarchique donnait des théâtres, des pompons, des modes et des manières, quel accueil ne doit-il pas se promettre de la part des peuples à qui la France républicaine révèle leurs droits en leur ouvrant la route de la liberté ? [...] Par quelle fatalité est-il encore ignoré d'une très grande partie des Français ? [...] Pour extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les talents, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse nationale, simplifier le mécanisme et faciliter le jeu de la machine politique, il faut identité de langage [...] L'unité d’idiome est une partie intégrante de la révolution [...] Que dès ce moment l’idiome de la liberté soit à l'ordre du jour, et que le zèle des citoyens proscrive à jamais les jargons, qui sont les derniers vestiges de la féodalité détruite."

Ces idées furent amplifiées par B. Barère, et présentées à la convention nationale le 8 pluviôse de l'an 2 de la République : "Parmi les idiomes anciens [...] l’idiome appelé bas-breton, l'idiôme basque, les langues allemande et italienne ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la domination des prêtres, des nobles et des praticiens, empêché la révolution de pénétrer [...]

Je commence par le bas-breton [...] C'est avec cet instrument barbare de leur pensée superstitieuse que les prêtres et les intrigans les tiennent sous leur empire, dirigent leur conscience, et empêchent les citoyens de connaître les lois et d'aimer la république [...] Vous avez oté à ces fanatiques égarés l'empire des saints, par le calendrier de la république, otez-leur l'empire des prêtres par l'enseignement de la langue française".

A partir de la fin du vingtième siècle, les prêtres n'eurent plus le droit de prêcher dans la langue de leurs ancêtres, la seule comprise de leurs paroissiens. Des religieux furent suspendus de traitement pour avoir voulu passé outre ; les directives ministérielles interdirent de donner la communion aux enfants qui ne savaient pas le français. A partir du début du vingtième siècle, la langue et la culture reculèrent rapidement. Alors que presque toutes les familles du Finistère parlaient le breton en 1860, l'usage de la langue avait pratiquement disparu un siècle plus tard. La persécution culturelle entraîna les conséquences qui s'observent d'une manière constante dans de pareilles hypothèses : les Bretons eurent honte de leur culture, c'est-à-dire d'eux-mêmes. De fiers qu'ils étaient à la fin du moyen-âge, ils étaient totalement vaincus, anéantis au plan psychologique. Parallèlement, la France devenue Une et Indivisible, n'accepta plus d'autres Nations à l'intérieur de l'hexagone qu'elle-même. Alors que la monarchie n'avait jamais contrarié les cultures locales, et que les Bretons députèrent, en 1789 encore, en tant que Nation, il leur fut interdit de s'identifier à autre chose qu'au modèle autoritairement déterminé par le gouvernement français.

L'intégration des esprits au Modèle Unique ne se fit que lentement, et mal. De ce brassage difficile, sortirent peu d'œuvres historiques originales. Il est difficile de classer les historiens du dix-neuvième siècle. Quatre noms peuvent être cités, qui illustrent le cheminement pénible des Bretons à la recherche de leur nouvelle identité.

Arthur Le Moyne de La Borderie (1827-1901) : l'acceptation douloureuse

Né à Vitré – comme d'Argentré – en 1827, il est considéré comme le maître de l'école historique bretonne.

Il fut l'élève de l'école des Chartes, et fut premier de sa promotion avec une thèse consacrée à l'Organisation civile de la paroisse rurale en Bretagne au neuvième siècle, d'après le cartulaire de Redon. Il fit également des études de droit – ce qui n'apparaît nullement dans ses écrits. Passionné de l'histoire de son pays, et doté d'une fortune personnelle, il accumula une documentation importante et publia des articles et des ouvrages nombreux sur des sujets très divers : Le régaire de Dol et de la baronnie de Combourg (1862) ; Le règne de Jean IV, duc de Bretagne (1893) ; Correspondances historiques des bénédictins bretons et autres documents inédits relatifs à leurs travaux sur l'histoire de Bretagne (1880) ; La révolte du papier timbré advenue en Bretagne en 1675 (1884) [...] Il s'attela à la rédaction d'une monumentale Histoire de Bretagne à partir de 1890. Les premiers tomes parurent en 1895 (cinq cent quatre vingt huit pages), en 1898 (cinq cent cinquante six pages), en 1899 (six cent vingt deux pages). Mort le 17 février 1901, son œuvre fut poursuivie par Barthélémy Pocquet. Catholique fervent, cet aristocrate fut l'un des fondateurs de la Semaine religieuse du diocèse de Rennes. Il fit une carrière politique ; conseiller général du canton Est de Vitré sous le Second Empire, il fut élu député en 1871 sur la liste légitimiste.

La Borderie a peu écrit sur la fin de l'indépendance bretonne : c'est dommage ; on aurait lu son livre avec curiosité, tant ce personnage était psychologiquement déchiré. Il fut le Michelet breton – avec moins de talent toutefois –. Sa méthode d'écriture est souvent singulière, ses emportements surprenants pour un ancien élève de l'école des Chartes. C'est ainsi qu'il s'indigne des jugements désobligeants des chroniqueurs francs sur la cruauté, la sauvagerie des Bretons, sans essayer de savoir si ces jugements étaient fondés ou non. De même estime t-il utile de fustiger, à cinq siècles de distance le duc Jean IV, pour avoir manqué de parole au roi de France. Sa passion fausse parfois ses analyses, et leur enlève parfois tout crédit. Il a dépensé une énergie considérable pour démontrer que Conan Mériadec n'avait jamais existé, là où il suffisait de dire qu'aucune source contemporaine n'attestait de son existence.

Il a exprimé très tôt son attachement à ce qu'il considérait comme ses deux patries, la Bretagne et la France ; il ne varia guère dans cet attachement ambigu. Titulaire de la chaire d'Histoire de la Bretagne à la faculté de Rennes, dont il fut le doyen, on cite souvent l'introduction du cours qu'il déclama en 1890 :

"Qu'est-ce que la Bretagne ? qu'est-ce que l'Histoire de la Bretagne ? [...] L'histoire, sous toutes ses formes, est vraiment une œuvre nationale ; dans tous ses travaux et toutes ses études, toutes ses branches, l'histoire est par excellence la science patriotique.

Son but n'est-il pas de nous faire connaître de plus en plus, de mieux en mieux, dans ses traits les plus intimes, notre race, notre nation, notre pays, la patrie ! La grande et la petite patrie, la France et la Bretagne, que nous ne séparons point dans nos cœurs [...]

Si nous jetons une vue d'ensemble sur l'histoire de Bretagne, si nous envisageons du dehors, pour ainsi dire, son aspect et sa physionomie générale, et si nous la comparons aux autres histoires du même genre, ce qui frappe tout d'abord, c'est qu'elle a incontestablement pour objet et pour matière la plus longue, la plus complète des existences provinciales qui ont fini, tour à tour, par verser leur flot dans le fleuve immense et splendide de l'Histoire de France.

Et pourquoi cela, Messieurs ? La raison en est bien simple. C'est que la Bretagne est mieux qu'une province, elle est un peuple, une nation véritable et une société à part. Non pas – grâce à Dieu – étrangère à la nation, à la société française, mais du moins parfaitement distincte dans ses origines, parfaitement originale dans ses éléments constitutifs.

Voyez ! même encore aujourd'hui, après un siècle de centralisation, d'unification complète, souvent encore dans les livres, dans les discours publics, on parle du peuple breton, de la nation bretonne, en appliquant ce mot au présent, et sans que nul n'y trouve à dire [...]

Maintenant, regardez autour de nous les autres provinces, nos sœurs, nos voisines, pour lesquelles nous avons les sentiments de l'amitié la plus sympathique. Même cette Normandie qui a une histoire, une existence si grande, si illustre, qui a des traditions universitaires où il est question de la "nation normande" ; malgré cela, je ne vois pas qu'on fasse mention aujourd'hui du peuple normand. Qui a jamais songé à saluer nos excellents voisins les Angevins, les Poitevins, du nom de nation angevine et de nation poitevine ? Et si quelqu'un s'avisait de parler, par exemple, du peuple Manceau, ou du peuple Berrichon, il aurait peut-être du succès, mais ce serait, je crois, un succès d'hilarité. C'est que ces populations, ces contrées, n'ont jamais été que des fractions, des membres d'un tout, soit la Gaule, soit la France ; fractions fort honorables, glorieuses, illustres ; mais aucune d'entre elles ne possédait le germe d'une originalité nationale, aucun au moins n'a développé ce germe de façon à fournir une carrière indépendante, une vie spéciale, autonome, individuelle, assez longue pour constituer l'existence d'un peuple [...]"

Il avait déjà exprimé la même position, en 1884, dans son célèbre essai sur la révolte des Bonnets rouges :

"Après les guerres de la Ligue, fruit amer de son union à la France, la Bretagne aux abois commença de reprendre haleine, vie et force, grâce au gouvernement paternel du premier des bourbons. Sous le règne suivant, elle recouvra en partie son ancienne prospérité du temps des ducs, et la garda même encore après la mort de Louis XIII, jusque vers l'an 1664. Pendant cette tranquille période de soixante cinq ans, les princes et leurs ministres semblèrent presque aussi jaloux de respecter les libertés de la Bretagne que de ménager, par des impôts modérés, la fortune des Bretons. Respecter le droit, ménager le bien de leurs sujets, c'est là tout le secret des meilleurs princes pour créer la félicité publique. Ainsi le comprenaient Henri IV, Louis XIII, Richelieu lui-même ; car ce grand ministre, qui poursuivait avec tant d'ardeur le solide établissement de l'unité politique en France, ne songea vraiment jamais à détruire, à engloutir les droits de tous dans ce gouffre d'usurpations iniques que l'on appelle la centralisation administrative [...] La Bretagne répondit à ces égards par un redoublement de fidélité ; les troubles de la minorité de Louis XIII l'effleurèrent à peine [...] Pendant soixante cinq ans rien, pour ainsi dire, ne vint troubler cette harmonie féconde de la couronne et de la province [...] [cet âge d'or] trouva son terme ; Louis XIV fut pris du goût des dépenses fastueuses, des palais magnifiques et des grandes batailles, en un mot de ce qu'on appelle vulgairement la passion de la gloire".

Vision indiscutablement idyllique, s'agissant des premiers Bourbons, et même des règnes précédents : les frictions entre Français et Bretons furent incessantes, et même dès avant le traité de 1532, le duché étant passé sous la coupe du roi de France en 1514, à la mort d'Anne de Bretagne.

La Borderie a t-il été aussi sincèrement Français qu'il l'a dit ? Difficile de penser que cet homme honnête ait pu dire autre chose que la vérité ; difficile, pourtant, de croire que son choix ait été guidé par autre chose que la raison. La Borderie est le prototype de l'intellectuel breton ambigu, informé du passé de son pays, mais conduit devant une situation irréversible à penser qu'il valait mieux l'accepter. Il fut un homme déchiré, tout autant que d'Argentré. Travailleur inlassable, honnête, l'homme force l'estime. Mais son œuvre a beaucoup vieilli. Ses travaux ne valent plus que par les citations nombreuses des documents dans lesquels il a puisé largement. Si l'on comprend mal la vision aseptique de Dom Lobineau et de Dom Morice, on ne comprend pas davantage les emportements inutiles et le sentimentalisme désuet de La Borderie.

Barthélémy Pocquet : l'acceptation sereine et placide

La Borderie mourut le 17 février 1901. On lui trouva un successeur : ce fut Barthélémy Pocquet. Celui-ci acheva l'histoire très largement entamée par La Borderie. Les tomes 5 et 6 parurent en 1913

et en 1914.

Pocquet fut longtemps considéré comme un historien de talent. Comme son prédécesseur, Pocquet est élève de l'école des Chartes de 1910 à 1914. Il en sort premier avec sa thèse sur Les relations de la Bretagne avec l'Angleterre sous le règne de François II (1458-1488). D'emblée, il a trouvé sa voie : celle de l'érudition confuse, où s'accumulent notes et références, sans ligne directrice et sans pensée d'ensemble. On s'épuise de cette lecture, sans bien savoir ce que l'auteur a voulu démontrer.

Il effectue deux séjours à l'école française de Rome, de 1915 à 1917, puis en 1919. Devenu conservateur de la bibliothèque nationale, il soutient sa thèse de doctorat en 1929, sur les papes et les ducs de Bretagne : ouvrage précieux, récemment réédité (et préfacé par Jean Kerhervé), mais qu'on ne lit pas, et qu'on range religieusement sur une étagère de bibliothèque, comme ces monuments qu'on ne visite pas, à force d'être impénétrables.

La Borderie souffrait d'un excès d'état d'âme. Pocquet n'en a pas. La Borderie a probablement souffert jusqu'à son dernier souffle de cette blessure qui l'a rongé de l'intérieur : l'assujettissement de la Bretagne à la France. Pocquet s'en réjouit. D'entrée de jeu, il annonce la couleur dans la préface du tome cinquième de l'Histoire de Bretagne, dont il assume désormais la responsabilité : "L'histoire de la Bretagne province ne doit pas être séparée de celle de la France. Depuis 1532, la Bretagne est partie intégrante de la Patrie, elle n'a jamais songé sérieusement à se reprendre. Il faut donc savoir comment elle s'est mue (sic) dans l'orbe des provinces françaises ; c'est la principale question [...]". Il ajoute : "J'ai pour la Bretagne l'amour et le respect qu'elle mérite à tant de titres. Mais il ne convient pas de se laisser hypnotiser par un patriotisme mal entendu [...] La Bretagne est incorporée dans le grand tout de la Patrie française". On est loin de la phrase désabusée de d'Argentré, séchant l'encre de la dernière page de son livre, et pleurant de toute son âme sur la grandeur passée de son Pays.

Breton de naissance, comme il se définit lui-même, Pocquet est devenu Français, totalement et sans regret. C'est donc sans réticence qu'il en adopte les héros, à commencer par François Ier : " Le jeune roi était doué de qualités qui séduisent et qui charment ; grand et fort, il avait une prestance vraiment royale ; à le regarder seulement, on disait aussitôt : c'est le roi. D'ailleurs, admirablement brave, généreux et chevaleresque, superbe entraîneur d'hommes, sans rival dans les tournois et les joutes [...] causeur spirituel, écrivain brillant [...] il avait tous les dons qui gagnent les hommes et qui plaisent aux femmes". Il surenchérit : " Sa haute taille, son air imposant, ses manières accueillantes, son élocution facile et colorée, ses mots heureux ravissaient le peuple et charmaient les grands. Il avait conscience de la séduction fascinatrice qu'il exerçait autour de lui". On croirait lire Brantôme – le talent en moins. Aussi – précise t-il – lorsque le roi parut pour la première fois en Bretagne "il souleva l'enthousiasme de la foule" (sic). S'il est exact que l'accueil des Nantais lors du voyage de la duchesse Claude et de son mari en 1518 fut chaleureux, il est non moins vrai que François Ier ne fut jamais sincèrement accepté comme duc par les Bretons. En somme, c'est Pocquet qui est enthousiasmé ; les Bretons ne le furent pas.

Il est clair que Barthélemy Pocquet a très peu lu sur cette période de l'histoire de Bretagne. A t-il épuisé son énergie en rédigeant ses deux thèses ? Son appareil de notes est d'une grande maigreur, et se limite aux seuls documents publiés dans les recueils usuels, et à des extraits des mémoires des biographes les plus connus. Observation doit être faite qu'il commet une lourde erreur en écrivant que la reine Claude "garda la direction (sic) de la province" et que "le roi lui laissa l'administration de la Bretagne".

La captation par François de l'héritage de sa femme, dépossédée de la jouissance de ses revenus et de la propriété de ses terres, devient une série d'opérations anodines. S'agissant de l'usufruit de ses seigneuries, arrachées par le roi à sa femme, il commente : "Il savait qu'il pouvait beaucoup demander à la bonté et à la douceur de sa femme". L'acte le plus grave, la dépossession de la propriété de ses biens, réalisée le 28 juin 1515, n'attire de sa part ni analyse ni critique.

De même, le mariage d'Anne de Bretagne avec Charles VIII en 1491, est approuvé purement et simplement ; ne sont guère relevés que les arguments qui plaident en sa faveur : " C'était le seul moyen de mettre son pays en paix et sa personne en aise". Et encore : "C'était l'intérêt commun de la Bretagne et de la France".

Cette union, pourtant célébrée sur fond de tristesse et de ruine, devient une fête : la mariée est vêtue de drap d'or, le vin coule à flot, les feux de joie sont allumés, la Bretagne toute entière accueille l'événement avec joie, on danse "au son du tambourin, du rebec et de la fluste". La chute est presque cocasse, si l'on se remémore le contexte dramatique de l'événement : " Ainsi un mariage avait réalisé ce que tant de négociations, tant de traités, tant de guerres n'avaient pu obtenir. La Bretagne se donnait à la France (sic) dans la personne d'une princesse au gracieux visage, à l'âme forte, idéale personnification de sa race". La dernière phrase est encore plus étonnante : " Noble fin pour l'indépendance d'un grand pays, digne de son peuple résistant, qui avait rendu tant de services à la France, et qui couronnait ainsi l'œuvre magnifique de l'unité nationale".

Pocquet croit-il à cette histoire ? Une nouvelle erreur se glisse sous la plume de l'auteur, s'agissant de la prétendue transmission par la reine Claude à son fils de la couronne de Bretagne. Il n'est pas exact, contrairement à ce qu'il affirme, qu'elle établit un testament "qui attribuait à son fils aîné François la propriété du duché". Claude instaura son fils légataire universel, ce qui n'est pas la même chose. Cette lacune est regrettable, car elle permet d'escamoter une étape importante des manœuvres perpétrées par la monarchie française pour s'emparer du duché :

"François Ier [...] reprit un projet que les évènements l'avait forcé d'ajourner, mais qu'il n'avait jamais abandonné : l'achèvement de l'unité nationale à l'ouest (!) [...] .

Mais quel moyen employer ? [...] Le vieux chancelier Du Prat, homme retors "fort redoubté pour son sçavoir grand sens naturel et acquis" présenta au roi plusieurs propositions. Mais c'est un magistrat breton, le président Louis Des Déserts qui trouva la solution : il conçut l'idée géniale de faire demander la réunion par les États eux-mêmes [...] Il insinua même que les faveurs et les gratifications dont dispose toujours facilement le pouvoir ne seraient pas inutiles. Ne valait-il pas mieux d'ailleurs demander l'union que de se la laisser imposer ? [...]

On jugea que la présence du roi lui-même était nécessaire pour mener à bonne fin cette grave et délicate entreprise [...] François Ier manda et reçut à Châteaubriant des personnalités importantes, des délégués des trois ordres et eut avec eux de longues et nombreuses conférences [...] Nul doute que le roi, avec sa grâce séduisante, son éloquence pressante et chaude, ne les ait vite gagnés à ses projets [...]".

Suit une longue relation, dans laquelle les arguments exposés en son temps par d'Argentré sont réutilisés par Pocquet, mais retournés en "doigts de gant", présentés sous un jour systématiquement favorable à la France : la nécessité de garantir et "d'assurer la paix perpétuelle du pays", l'avantage de "solliciter l'union en stipulant de bonnes conditions plutôt que de la subir plus tard sans condition", etc. [...] Il est clair que l'auteur plaide, à posteriori, en faveur de la "réunion", d'une façon inobjective. Notamment, un argument essentiel lui échappe totalement : le fait de promettre à la Bretagne la paix, n'est qu'une manière d'exprimer – comme l'ont démontré les siècles passés – que si elle ne consent pas à ce qui lui est demandé, on lui fera la guerre jusqu'à ce qu'elle cède. Tous les autres éléments constitutifs du "contrat" – que l'auteur évacue allègrement – sont éludés : le caractère illicite et immoral de l'opération ; l'absence réelle de consentement des Bretons ; les manœuvres dolosives et les pressions exercées sur les députés ; le non respect des procédures constitutionnelles pour la conclusion des traités internationaux, etc [...]

Pour Pocquet "cet acte capital constitue l'engagement synallagmatique, le contrat bilatéral passé entre les représentants de la Bretagne et le gouvernement français". D'ailleurs, précise l'auteur, de quoi la Bretagne se plaindrait-elle ? Le roi François Ier était magnanime ; il avait promis aux Bretons de confirmer leurs privilèges : il le fit, en grand seigneur qu'il était :

"François Ier tint sa promesse ; il voulut "bailler" aux Bretons des lettres en forme de charte, afin d'assurer la perpétuelle mémoire du fait et en même temps promulguer pour toute la France le contrat d'union, il lança (sic) un édit presque aussi important que le premier, puisqu'il énumère les objets principaux des droits reconnus à la province".

Pocquet omet de préciser que le roi de France n'accorda rien aux Bretons, car ils étaient propriétaires de leurs droits et de leurs privilèges depuis un temps immémorial.

La chute est admirable : "A partir de cette date, la Bretagne n'est plus qu'une province de France. Liée désormais au grand pays, dont elle complète si heureusement l'unité territoriale et politique, elle va vivre sa vie et suivre les phases heureuses et tragiques de sa destinée"

Sur le tard, ayant beaucoup écrit, et approfondi certains sujets, il sembla revenir sur sa position. Dans deux articles sur l'édit de 1532 et sur le prétendu traité de 1532 entre la France et la Bretagne, il écrit :

"On a beaucoup parlé ces derniers temps, à propos d'un certain procès, du traité de 1532. Anciennement, on se servait plus volontiers du terme de contrat de 1532. Traité ou contrat, ces deux mots ont ici le même sens, et cachent une arrière pensée, celle de faire croire que l'acte de 1532 a été une convention synallagmatique passée entre la France et la Bretagne, négociant d'égale à égale, de puissance à puissance.

Il n'en est rien, tout au moins sur le plan de la forme. L'acte d'union de 1532 est un édit rendu par le roi François Ier, intitulé en son seul nom, et validé par le sceau de ses armes seul.

Le mot traité déguise la vérité, le mot de contrat souvent employé la masque, et ne vaut guère mieux ; l'acte visé n'est ni l'un ni l'autre [...]".

Ce revirement est surprenant, car Pocquet a exactement dit le contraire dans le tome V de son Histoire de Bretagne.

Malheureusement, dans la paragraphe suivant, il redit pratiquement le contraire de ce qu'il vient d'écrire, dans une littérature pour le moins embrouillée :

"Il est vrai, et alors la pensée que j'ai repoussée, reprend de la force, que la Bretagne n'est pas totalement exclue de cet acte mémorable, car les États de Bretagne y figurent en qualité de requérants; tous les articles de leur requête étant repris le dispositif royal qui les transforme en lois de l'État, on peut dire que les États sont intervenus à l'acte, et que leur consentement lui est acquis, lui conférant une autorité renforcée. Quant au fond, au sens de l'édit, on ne l'a pas toujours mieux discerné qu'on n'en a respecté la forme".

Comprenne qui voudra à ce brouillamini !

Antoine Dupuy : l'évitement

Antoine Dupuy fut professeur au lycée de Brest. En 1880, il publia chez Hachette sa monumentale "Histoire de la réunion de la Bretagne à la France". Enfin un livre qui avait la prétention d'attaquer de front le problème.

L'ouvrage, malheureusement, n'eut qu'un succès d'estime, et ne fut lu par à peu près personne. Il mériterait une réédition. Les exemplaires conservés à la bibliothèque Mazarine nous ont été remis couverts d'une couche de poussière, entourés de deux bagues de papier. Les feuillets, non séparés, démontrent que nous avons été en un siècle le premier lecteur de l'exemplaire déposé dans l'illustre bibliothèque.

La documentation consultée par Dupuy à Rennes et à Nantes est d'une exceptionnelle qualité. Nul doute que l'auteur a parfaitement compris et analysé les enjeux des guerres franco-bretonnes, en particulier l'acharnement avec lequel les Bretons voulurent, même dans les pires moments de leur histoire, conserver leurs Souverains particuliers.

Son analyse de la souveraineté de la Bretagne avant les guerres britto-françaises est excellente : avant les guerres britto-françaises, le duc exerce tous les pouvoirs régaliens dans ses États, même s'il prête un hommage théorique au Roi.

Alors que le tome premier compte près de quatre cent cinquante pages, le tome second cinq cent – soit un total de près de mille pages –, la phase essentielle de la réunion, qui s'étend de la mort d'Anne de Bretagne (janvier 1514) à 1532 est compactée [...] en six pages. On ne comprend pas la précipitation de l'auteur à conclure si rapidement, alors que les archives de cette période sont surabondantes. Non plus que sa feinte volonté de considérer que cette "réunion" était inéluctable, sans la moindre argumentation à l'appui de cette conclusion : si l'Angleterre, au lieu d'abandonner la Bretagne aux appétits de la France, avait rempli ses obligations d'allié, son sort eut probablement été différent.

L'auteur a t-il manqué de temps ? La phase essentielle de la "réunion", celle qui se déroule en 1532, est expédiée en trente lignes ! Il est nécessaire de citer ce passage in extenso :

"Le roi rendit une ordonnance qui déclarait la Bretagne irrévocablement unie à la couronne. Cette ordonnance fut enregistrée au Parlement de Paris le 21 septembre, et au Conseil de Bretagne le 8 décembre 1532.

Conformément à la demande des États, le dauphin, qui avait assisté à leurs séances, fit son entrée à Rennes le 12 août et fut couronné le 14 comme duc de Bretagne. Il mourut en 1536. Son frère Henri lui succéda. François Ier, en même temps qu'il décrétait l'union définitive de la Bretagne à la France, rendit une autre ordonnance qui confirmait les privilèges de la province."

Voici la conclusion, fort expéditive, de l'ouvrage :

"L'œuvre poursuivie avec tant de patience et de hardiesse par la royauté pendant quatre vingt ans était accomplie. Le résultat était heureux pour la France et pour la Bretagne : pour la France, qui ne pouvait laisser subsister sur un coin de son territoire un petit État à la fois indépendant et vassal qui, pour défendre son existence toujours menacée, était trop souvent réduit à appeler l'étranger à son secours ; pour la Bretagne, qui trouvait dans cette réunion la paix intérieure, et qui échappait ainsi au redoutable protectorat de l'Angleterre. La Bretagne, d'ailleurs, conserva ses libertés provinciales, soigneusement défendues par les États et le Parlement, dont Henri II acheva l'organisation en 1554.

Grâce au dévouement et à la vigilance de ces deux assemblées, elle eut une administration sage et éclairée, et n'eut pas à regretter la perte de son gouvernement particulier. Les Bretons eurent peu d'effort à faire pour devenir complètement français.

Cette conclusion étonnante dément le ton dans lequel l'ouvrage tout entier est écrit. Quoique serein, le style est celui d'un Breton convaincu, aimant avec passion son pays, sincèrement nostalgique, sinon désolé de sa triste fin. Comment écrire que la Bretagne a trouvé la paix intérieure lors de la réunion avec la France lorsque c'est l'inverse qui s'est produit ? Et comment, lorsqu'on a dépouillé les archives bretonnes pendant des années, écrire que les Bretons sont devenus Français, sans difficultés de surcroît ? Dupuy a très vraisemblablement voulu éviter tout débat au fond : à l'époque où il écrivait son livre, il était difficile d'y entrer plus avant.

L'auteur devint, comme La Borderie, doyen de la faculté des lettres de Rennes.

Émile Gabory

C'est dans la même perspective que celle de Pocquet que se situe l'œuvre d’Émile Gabory. Celui-ci publia en 1950, chez Plon, un ouvrage sur Anne de Bretagne, d'ailleurs de bonne qualité, manifestement rédigé à partir de la consultation d'archives et de documents authentiques.

Alors qu'à l'époque de François II et d'Anne de Bretagne les deux pays se détestent (la haine est plus forte du côté breton, la principauté étant seule menacée, la France ne l'étant guère), qu'il existe une véritable "francophobie" dans le Duché, abondamment prouvée par les faits et par les documents, Gabory s'emploie à démontrer le contraire. Voici une synthèse de ses opinions :

"On a parlé de "question bretonne". Des passionnés ont détruit le monument de Rennes , sous le prétexte qu'en représentant la Bretagne pliant le genou devant la France, le sculpteur avait offensé la vérité.

Il est certain que la Bretagne a associé librement son sort à celui de la France, et qu'elle n'a accompli en cela aucun acte humiliant ; elle a traité d'égal à égal. Existe-t-il une question bretonne ? Les souverains qui se sont succédé de Louis XI à la Révolution ont pu employer pour fonder l'unité française, en même temps que des moyens légitimes, quelques autres moyens plus discutables [...]".

Par une longue argumentation, l'auteur expose que la "pente naturelle" conduisait à l'union de la Bretagne à la France, et que celle-ci était inéluctable :

"Aux dernières heures de la guerre de cent ans, la Bretagne finit par se débarrasser de l'emprise anglaise ; ses troupes, associées aux armées françaises, furent l'un des facteurs essentiels de la victoire de Castillon, libératrice de la Guyenne, et de celle de Formigny, libératrice de la Normandie.

Bien des affinités existaient entre les deux pays. Les populations s'accordaient par dessus les frontières ; les ducs n'y consentaient guère, mais n'y pouvaient rien [...]

La France procure à la Bretagne ses réformateurs d'abbaye, ses fondateurs de couvents. En échange, la Bretagne donna aux abbayes de France des recrues de choix. Les Bretons fréquentaient nombreux l'université de Paris. Saint Yves y étudia de 1267 à 1277. Beaucoup d'étudiants bretons partis de chez eux pour acquérir des grades universitaires restaient en France. Ils se fondaient vite dans la population et participaient, notaires, clercs du roi, à l'œuvre de la monarchie capétienne. Ils retrouvaient des compatriotes, d'illustres guerriers, jusqu'au pied du trône : Du Guesclin, Clisson, l'amiral Prigent de Coëtivi [...]

Depuis l'avènement de la dynastie française avec Pierre Mauclerc, en 1213, le français, langue officielle et administrative, avait remplacé le latin dans les actes publics. Le français était la langue de la Cour, la langue de l'administration, la langue des personnes cultivées ; mais c'était aussi le véhicule de la pensée française, la cause primordiale de l'attraction exercée par l'université de Paris sur la jeunesse bretonne.

Des commerçants bretons allaient négocier et se fixer en France ; des commerçants français en Bretagne. L'art gothique venait de France [...]".

Le mariage d'Anne de Bretagne, lui aussi, est présenté comme inéluctable, et hautement bénéfique pour les deux parties :

"Un jour viendra où cette union, librement acceptée par les deux peuples, soudera sans peine leur destinée. Anne accomplira ce miracle. Telle est l'atmosphère dans laquelle évolue Anne de Bretagne enfant : son père, François II, hostile à la France ; le peuple breton et le peuple français unis par les liens d'une ancienne et toujours croissante sympathie (!). De hautes familles seigneuriales, celle des Laval, par exemple, étaient par leurs attaches, autant françaises que bretonnes. Insuffisamment soutenue par un peuple aussi acquis aux idées françaises, que pourra la jeune duchesse, au jour de la lutte suprême ? Elle garde et gardera devant la postérité le prestige de cette union indélébile de la Bretagne à la France".

Quelque habile que soit cette argumentation – qui reflète l'opinion de beaucoup de Bretons dans la première moitié du vingtième siècle – cette lecture surprend, malgré tout : qu'Anne de Bretagne, qui lutta avec une sorte de fureur pour empêcher que son pays se fonde et se dilue dans la France, soit présentée comme l'héroïne de la réunion créé un malaise certain : les choses ne se passèrent pas ainsi.

Émile Gabory fit une brillante carrière : il fut directeur des archives de Loire Atlantique.

Louis Melennec

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Histoire et Identité est un groupe d'historiens bretons dont le but est de restaurer la vérité sur l'Histoire de Bretagne. Le fondateur du groupe est le Dr Louis Melenec, docteur en droit et en médecine, diplômé d'études approfondies d'histoire, diplômé d'études supérieures de droit public, de droit privé, de droit pénal, ancien chargé de cours des facultés de droit et de médecine, ex-consultant prés le médiateur de la République française, ancien éléve de la Sorbonne et de l'École des Chartes de Paris.
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