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La mer – Identité commune des territoires atlantiques et enjeu d’avenir
Au colloque de l'ICB, Bretagne – Pays de Galles, au cœur de l'Arc Atlantique, le géographe Yves Lebahy a présenté l'après-midi une conférence économique et historique sur la mer.
Par Louis-Benoît Greffe pour ABP le 20/10/11 13:31

Au colloque de l'Institut culturel de Bretagne, Bretagne – Pays de Galles, au cœur de l'Arc Atlantique, le géographe Yves Lebahy a présenté l'après-midi une conférence fort documentée sur le passé, le présent et l'avenir de l'interface que constitue l'Océan Atlantique. La Bretagne et le Pays de Galles sont deux territoires atlantiques, à la fois séparés et réunis par la mer, espace d'échanges. Ses données étaient essentiellement tirées d'une étude de 2005, en partie seulement publiées dans un ouvrage commun.

Hier, les villes-ports de l'isthme européen

L'Europe, dont aucun point n'est éloigné de la mer de plus de 500 km, forme un isthme continental, entouré de mers. Du nord au sud de la façade atlantique, 180 ports s'échelonnent et forment une immense infrastructure. Et ce, sans compter les ports qui furent jadis grands et qui se sont éteints, à cause de la difficulté de leur accès (Rohars en Bretagne, Caen en Normandie) ou parce que les routes de commerce se sont déplacées.

Le port correspond à un modèle urbain spécifique : c'est une ville petite ou moyenne, assez proche d'une autre ville-port, irriguée par un arrière-pays (un « hinterland » ) souvent rural, parfois industriel ou minier comme c'était le cas dans le Pays de Galles et en Bretagne. En Bretagne, 90 % des localités de plus de 10.000 habitants sont au bord de la mer et forment un modèle urbain particulier, avec leur centre historique sauvegardé, au peuple de maisons serré tout contre l'église, et le port en fonctionnement, au cœur de la ville. Saint-Nazaire même n'échappe pas à la règle, c'est la ville-port par excellence, dont l'un des seuls quartiers sauvegardés est celui de l'église.

Dans l'histoire, les ports atlantiques ont été parmi les plus importants du monde : Nantes, Lorient, Paimboeuf, Bordeaux au XVIIe et au XVIIIe pour le commerce avec les colonies, Londres, premier port et première ville du monde, Cardiff et Swansea au XIXe grâce au charbon ( voir notre article ), Saint-Nazaire encore grâce aux Américains en 1917-1918, etc.

Aujourd'hui, l'Arc Atlantique ventre mou de l'activité portuaire ?

L'Arc Atlantique, ensemble de régions maritimes européennes a été créé en 1989. Ce regroupement de région est aujourd'hui moribond, bien qu'il eût tenté de donner une alternative aux centralismes euro-rhénan et russe. L'enjeu originel, celui de conserver l'état de la mer, vue comme un exutoire aux problèmes, un espace en marge, est aujourd'hui vivant comme jamais.

En termes d'activité, l'arc Atlantique est le ventre mou de l'Europe. Saint-Nazaire, avec ses 34 millions de tonnes, est le 28e port européen. La moitié du trafic est accaparée par le Northern Range , l'ensemble de ports autour de Rotterdam. Le système actuel d'échanges nord-sud, en fonction de navettages par conteneurs, s'adapte mal aux héritages portuaires anciens. Et comme si cela ne suffisait pas, les logiques de métropolisation mises en place tendent à diluer les efforts de répartition des activités au bord des espaces maritimes, en les agglutinant au contraire autour des métropoles – points chauds, opposées artificiellement à des espaces ruraux vidés. En Bretagne, la métropole serait Nantes, agrandie de Rennes, Vannes et Redon, ce qui accentuerait plus encore le déséquilibre avec la Basse Bretagne et Brest.

Demain, des enjeux à maîtriser pour un potentiel géostratégique réel

Les navettages des pays-ateliers (Chine, Asie du Sud-Est, Amérique du Sud) aux marchés (Europe, USA), s'adaptent difficilement aux héritages portuaires et s'appuient sur des hubs où convergent toutes les liaisons locales. En Europe, il y en a un au sud, entre Gibraltar et Tanger, et un au nord, à Rotterdam. Ce hub nord aux chéneaux saturés stagne et commence à être remplacé par le Jutland. Dans ces conditions, l'Atlantique est bien placé et voit son trafic s'accroître. Ainsi, de 1992 à 2002, si le transport mondial s'est accru de 32 %, celui de l'UE n'a pris que 23 % et les 27 premiers ports de la façade atlantique ont vu croître leur trafic de 72 %, et ce bien que leur arrière-pays soit assez limité. Ces ports gagnent en importance car ils sont bien insérés dans les systèmes de redistribution des marchandises depuis les hubs aux consommateurs .

Les grands ports maritimes ne peuvent se concevoir isolés, sans les petits ports et les ports de rivière, ceux auxquels il faut accéder, par exemple Nantes. Certains pays d'Europe développent les flottes de caboteurs porte-conteneurs pour ces ports fluviaux, afin de rapprocher encore le produit du consommateur et améliorer les conditions de transport. Il faudra donc que le peuple breton choisisse dans un proche avenir si Nantes, et d'autres, ont une vocation portuaire, et si oui, leur donner les moyens d'assumer cette vocation dans le futur.

Un autre point encore : la plupart des statistiques sont indiquées en tonnages. Or, faire la course au tonnage est inutile. Il est bien plus utile de développer la valeur ajoutée à la tonne, par la spécialisation des ports . Par exemple, le port de Gand, spécialisé dans les produits chocolatiers, est incontournable dans le système économique européen, et sa valeur ajoutée à la tonne est 23 fois supérieure à la moyenne de celle du port de Rotterdam. Brest, Lorient, Saint-Nazaire, avec leurs chantiers et leurs activités spécifiques, ont les atouts en main pour s'inscrire dans cette course à la valeur ajoutée.

Enfin, il faut à tout prix changer la vision de la mer : elle n'est point l'exutoire, la fin du monde, mais le cœur de toutes les activités maritimes . Des activités qui dynamisent les sociétés littorales, veillent sur les écosystèmes, comme la pêche, la pisciculture et la conchyliculture, qui assurent l'énergie et la vie des arrière-pays, comme l'éolien, les centrales à houle, fixent la population et lui donnent la mixité sociale nécessaire pour continuer à vivre et à croître. C'est le choix central pour la Bretagne : notre avenir n'est pas à terre, mais dans la mer, par la mer, comme l'enseigne notre histoire. Comme pour les nations celtiques sur l'île grande-bretonne, chaque fois qu'il nous faut choisir entre le continent et la haute mer, choisissons consciemment la haute mer. Mettons-là au cœur de nos préoccupations, de notre économie. Faisons-en le champ fécond de la prospérité et de la croissance du peuple breton, le lien irréfragable de l'interceltisme.


Louis Bouveron

Voir aussi :
Délégué départemental de la SPPEF (Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France), association d'utilité publique qui a pour but de défendre, depuis sa création en 1901, le patrimoine historique, architectural et naturel français.
[ Voir tous les articles de de Louis-Benoît Greffe]
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