Indispensable avant la lecture de cet article : la conférence faite à Vannes par le Dr Melennec en 2006 sur le prétendu traité de 1532. Voir la video sur ABP-TV (voir le site)
La Bretagne, avant les invasions françaises, est un État totalement indépendant.
Elle a été subjuguée par la force, qui est le contraire du Droit. En droit International, elle est et reste un État souverain.
Qu'il plaise, à vous, roi de France, et à votre Conseil, de savoir ceci : …. Le Pays de Bretagne est un Pays distinct et séparé de [tous les] autres, sans qu'il y ait rien dans ce pays qui ne relève du sort [= de la compétence] de son gouvernement, qui est universel [= qui concerne toutes les affaires bretonnes, sans exclusive]. Anciennement, ce Pays était un royaume, et était gouverné par des Rois, ainsi Judicaël, Salomon, Conan … qui ont gouverné en gouvernement royal….. Il apparaît clairement qu'il a été et qu'il est encore royalement tenu[= gouverné]. Le Duc de Bretagne est en possession des droits royaux, sans que nul autre que lui, en sa Principauté de Bretagne, y ait rien à voir. Ni vous, ni aucun de vos prédécesseurs Rois de France n'ont jamais été reconnus, ni par moi, ni par aucun de mes prédécesseurs, comme Souverain.
Jean IV, duc de Bretagne, au roi de France Charles V, mai 1384.
François, duc de Bretagne par la grâce de Dieu, je salue tous ceux qui liront les présentes lettres.
Comme de toute antiquité, NOUS ET NOS PREDECESSEURS ROIS, DUCS ET PRINCES DE BRETAGNE, qui jamais de nos noms et de nos titres de Principauté n'avons reconnu, ni ne reconnaissons de créateur, d'instituteur, NI DE SOUVERAIN, SAUF DIEU TOUT PUISSANT, en vertu du droit qui nous appartient, et à raison de NOS DROITS ROYAUX ET SOUVERAINS, décidons ce qui suit …. Etc.
François II, duc de Bretagne, en la ville de Nantes, le 22e jour de septembre 1485.
I - FONDAMENTAUX CONCERNANT LES NOTIONS D'ETATS “INDEPENDANTS”, DE SOUVERAINETE, ET D'HOMMAGE.
Un rapide survol des propos qui s'échangent sur la “toile” oblige à revenir - à titre provisoire, les démonstrations viendront plus tard - sur quelques notions fondamentales. Nous perdons un temps précieux dans des débats stériles. Il est devenu nécessaire de faire avancer le débat breton, en élaguant le plus possible d'idées fausses, sauf à revenir sur certains points, si cela s'avère nécessaire. Pour gagner du temps, je livre ici les conclusions avant les arguments. Mais je fournis aux lecteurs les moyens de combler leurs lacunes un peu plus loin, par des moyens simplissimes.
1 - ETATS INDEPENDANTS ou SOUVERAINS.
On a pu lire cette bourde effrayante dans un numéro récent de l'Express (24 juillet 2008), que l'on attribue à un professeur honoraire des facultés de Bretagne.
Certains historiens estiment qu'il a existé, au 15 ème siècle, un Duché INDEPENDANT, un ETAT BRETON. Pour ma part, je pense que c'est un
ANACHRONISME ... Les Ducs de Bretagne NE SE POSENT PAS LA QUESTION DE L'INDEPENDANCE (sic !).
Ces propos sous-entendent les conséquences suivantes :
a - Dès lors que les États indépendants n'existent pas avant le 16 ème siècle, LA BRETAGNE NE PEUT PAS AVOIR ETE INDEPENDANTE au moyen-âge, puisqu'elle disparait de la carte dès l'invasion de 1491, ou, au plus tard, en 1532. CQFD.
b - Puisque les Nations n'existent pas avant le 16 ème siècle, LES BRETONS N'ONT JAMAIS CONSTITUE UNE NATION. CQFD.
Un “ouvrage”, paru en 1993 chez Fayard, sur DU GUESCLIN, va plus loin: la prétendue “nation” bretonne, écrit l'auteur (celui-là même qui a publié un épais pamphlet sur Anne de Bretagne, chez le même éditeur, en 1999) n'existe pas: les Ducs veulent faire croire qu'il y a une nation bretonne, parce que tel EST LEUR INTERET (!!!!!!). C'est une tentative de création artificielle, ex nihilo, qui leur permet de tenir leur monde (hommes, femmes, enfants, cochons, couvées…). Aussi appointent-ils des scribes pour rédiger des histoires de Bretagne en forme de délires écrit, opérations de propagande ducale, à l'usage des ducs et “des privilèges des riches, des nobles, etc”, de tous ces profiteurs qui exploitent les masses travailleuses…. Etc.
Doit-on trembler d'indignation - en prenant conscience que de telles inepties sont enseignées en Bretagne en 2008 -, ou rire à gorge déployée? Je choisis la deuxième solution: c'est plus drôle. Tout de même : lignorance, poussée à ce point sur ce qu'est le concept de "Nation", alors que des milliers de livres et d'articles ont été écrits sur la question, frappe de stupéfaction.
Comme il est naturel que chacun fasse un effort pour parvenir à un minimum de connaissances, je recommande pour le moment, la lecture de trois ouvrages passionnants, rédigés par les meilleurs spécialistes de leurs disciplines respectives, diffusés dans toutes les librairies, grandes et petites, résumant les connaissances les plus récentes sur l'Antiquité, publiés de surcroit, dans des collections dites “de poche”. L'ensemble coute moins de 30 euros, l'équivalent de deux bouteilles de Whisky:
- La Mésopotamie, par Georges Roux, éditions du Seuil, Paris 1995, 600 pages.
- Histoire de l'Égypte ancienne, par Nicolas Grimal, Le livre de poche, Paris, 1988, 668 pages, 9 euros.
- L'aventure grecque, par Pierre Lévêque, Le livre de poche, Paris, Paris 1964, 10 euros.
Voilà ce qu'on y apprend:
- CE QUE NOUS DENOMMONS AUJOURD'HUI DES NATIONS, existe dès que des groupes humains s'assemblent, en principe sur un territoire commun, parlent un ou plusieurs idiomes communs, croient à des valeurs communes, et vivent ensemble depuis un temps suffisamment long (quelques siècles) pour développer entre eux un sentiment de “parenté”, qui est tel qu'il sentent et savent qu'ils appartiennent à une même famille humaine, distincte des entités voisines, lesquelles sont vécues comme étrangères, sinon ennemies.
On a aujourd'hui la CERTITUDE que ce que les théoriciens dénomment, depuis le 19 ème siècle, le “sentiment national”, de nos jours rebaptisé d'une manière plus explicite le “sentiment d'appartenance”, que l'on croyait d'apparition récente - même le grand Renan l'a cru ! -, est très présent chez de nombreux peuples de l'antiquité. En particulier dans les Cités-Etats grecques, et avant elles les Cités-Etats mésopotamiennes, les citoyens de nombre d'entre elles éprouvent un tel amour pour leur patrie, qu'ils sont prêts à donner leur vie pour elle. “Mourir pour la Patrie” est une formule souvent employée par les auteurs grecs de cette époque, et ce n'est pas une formule creuse, loin s'en faut. A Sparte, durant de longues périodes, les jeunes citoyens ne pensent même qu'à celà, étant élevés et “conditionnés” pour aimer, défendre, et travailler à la gloire de leur pays.(Edmond Lévy, Sparte, Cllection Points, Paris 2003, ages 56 et suivantes). Il en va de même pour les autres autres cités.
En d'autres termes : LES NATIONS EXISTENT DEPUIS PLUSIEURS MILLIERS D'ANNEES.
- CE QUE NOUS DENOMMONS AUJOURD'HUI DES ETATS “INDEPENDANTS”, ou “SOUVERAINS”- ce dernier terme doit être préféré au précédent - existent depuis que des groupes plus ou moins vastes, cohérents, possédant un territoire délimité par ce que nous appelons en français moderne des “frontières”, se dotent d'institutions stables comportant un Chef suprême (le Roi, l'Empereur, le Pharaon, le Prince, peu importe la terminologie), un Premier ministre (quel que soit le nom sous lequel il est désigné: Chancelier, principal conseiller, principal ministre…), des Conseillers (constituant ce que nous désignons aujourd'hui par le vocable “gouvernement”), une administration centrale et locale, une justice, une armée, une diplomatie…
Plusieurs Etats antiques sont à cet égard exemplaires, par leur sens exceptionnel de l'organisattion.
EN D'AUTRES TERMES: les Etats Indépendants ou souverains existent depuis plusieurs milliers d'années. Exemples les plus connus: l'Empire Assyrien, l'Egypte, Les Etats Grecs, etc. (Il en existe au moins plusieurs dizaines d'autres, sans doute plusieurs centaines).
(Souveraineté des cités grecques: Glotz, pages 37 et 38. Etat spartiate: Pirenne, page 137. Etats de Hammourabi, Pirenne, page 32. Etat égyptien de Aménophis IV, Pirenne, page 65 …..).
- Le DROIT INTERNATIONAL existe dès que voisinent des Nations et/ou des Etats Souverains, et que, du seul fait de leur coexistence plus ou moins pacifique, ils sont dans l' IMPERIEUSE NECESSITE d'élaborer des règles, des normes, qui leur permettent de régler au moins une partie de leurs contentieux et conflits, la guerre n'étant pas, à quelqu'époque que ce soit, le meilleur moyen d' aboutir à des solutions.
Les premières preuves de relations internationales attestées par des écrits - mais qui ont eu des antécédents plus anciens -, remontent ….. au 3 ème millénaire AVANT JESUS CHRIST. Les archives administratives du royaume syrien d'Ebla documentent de nombreux échanges à caractère diplomatique. (Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Laffont, collection Bouquins, Paris, 2001, page 235).
En d'autres termes: le droit International - comme en font foi les innombrables traités et textes de négociations découverts en Mésopotamie, en Egypte et ailleurs - existe DEPUIS PLUSIEURS MILLIERS D'ANNEES.
Ainsi, le très remarquable savant Hugo GROTIUS, auteur du monumental Traité sur le droit de la guerre et de la paix (De jure belli ac pacis) n'a pas créé le droit international au 17 ème siècle (il ne le prétend pas, d'ailleurs); il a seulement été l'un des grands théoriciens qui ont mis en formules des règles qui existaient bien avant lui, quoique souvent contradictoires (Son remarquable Traité, authentique chef d'oeuvre, vient d'être réédité aux Presses universitaires de France, collection “Quadridge”, Paris, 2005, 868 pages).
2 - SOUVERAINETE et TRAITES D'ALLIANCE.
Il est dramatique, dans cette phase de reconstruction de la Bretagne, à partir d'une réécriture enfin saine de son histoire, et de l'élaboration d'une DOCTRINE débarrassée de tous les éléments parasites surajoutés par strates à partir des invasions de la Principauté SOUVERAINE de Bretagne en 1488, puis en 1491, de voir pêle-mêle confondues deux notions rigoureusement indépendantes l'une de l'autre:
a - LA SOUVERAINETE. Est souverain celui qui exerce au sommet les prérogatives de l'Etat, appelées souvent “régaliennes”: gouverner, élaborer les lois et les modifier, rendre la justice, faire la guerre et la paix, désigner des ambassadeurs et conduire la diplomatie, signer des traités, battre monnaie …
b -Le fait de conclure des TRAITES D'ALLIANCE avec les souverains voisins, en particulier ceux qui, dans la hiérarchie des Etats, occupent par l'étendue de leur territoire, leur puissance, leur prestige, un rang honorifiquement supérieur.
La France et la Bretagne du Moyen Âge sont DEUX ETATS RIGOUREUSEMENT DISTINCTS. Le roi de France et le Duc de Bretagne sont l'un et l'autre Souverains dans leurs pays respectifs. “Le Duc est roi dans sa Duché”; “le Roi est empereur dans son royaume”, tels sont les deux adages utilisés de part et d'autre de la frontière brito-française.
Les deux pays ont, progressivement, d' UNE MANIERE PARALLELE, mis en place LEUR APPAREIL ETATIQUE, les deux se distinguant par des différences fondamentales, le premier (la France) évoluant vers l'absolutisme, le second (la Bretagne), vers le consensualisme, c'est à dire la démocratie. (Contrairement à ce que l'on pense, les tendances démocratiques sont très présentes au moyen-âge; voir l'ouvrage de François-Tommy Perrens, La démocratie en France au moyen âge, Paris, 1873, et Genève 1975). CHACUN EXERCE DANS SA PRINCIPAUTE LES POUVOIRS REGALIENS tels que définis ci-dessus: l'autorité du roi de France s'arrête NET aux frontières de Bretagne; symétriquement, les prérogatives du Duc de Bretagne s'arrêtent NET aux dites frontières (Marcel Planiol, tome 3, pages 51 et suivantes, pages 94, 95, 123, 124 ….). Marcel Planiol résume toute la question de la manière suivante: “On ne pourrait citer une seule ordonnance royale (= une seule loi promulguée en France), qui ait reçu son exécution en Bretagne. le pouvoir législatif s'exerce à l'intérieur du Duché d'une façon SOUVERAINE et INDEPENDANTE. Celui du roi S'ARRETE AUX FRONTIERES”.
Les deux pays entretiennent des rapports quasi-constamment conflictuels, avec des phases d'accalmie plus ou moins longues, le plus puissant des deux (la France) essayant en permanence d'empiéter sur les prérogatives de la Principauté de Bretagne. Celle-ci se défend avec un acharnement féroce, avec succès, jusqu'au moment ou elle succombe sous les invasions de son ennemi millénaire, en 1488, puis en 1491.
Au début de chaque règne, le Duc de Bretagne prête, comme on dit, “hommage” au roi de France: par là, il CONCLUT AVEC LUI UN CONTRAT D'ALLIANCE, rien d'autre. Il reconnait la suprématie HONORIFIQUE du roi de France, ce qui est normal, celui-ci étant à la tête d'un pays beaucoup plus étendu et plus puissant, mais ne lui concède strictement RIEN de sa propre souveraineté sur SES ETATS. Le fait que l'un prête hommage à l'autre ne change rien au fait que, dans sa Duché , le Duc est souverain.