Alors que vont se tenir les « Rencontres régionales de la langue bretonne » (1) de la région Bretagne, je ne peux manquer de livrer ici certaines interrogations.
Nous sommes nombreux à penser que la politique linguistique est sans doute la plus importante des politiques menées par la région. Elle est capitale pour la communauté humaine que nous formons.
Nous ne cessons de nous demander pourquoi l’enseignement de la langue bretonne ne décolle pas, lorsque le corse, l’alsacien et le basque connaissent un renouveau (voir communiqué de presse récent de Breizh Impacte : ( voir notre article ) ).
Le constat brutal des chiffres suscite des questionnements légitimes.
Faut-il incriminer un manque de volonté politique de la part de la majorité socialiste qui gouverne la région comme nos métropoles bretonnes ? On sait qu’il n’y a plus grand-chose qui les différencie de leurs camarades de Paris et des autres grandes cités. Nos langues ne relèvent souvent pour eux que du plat verbiage de la diversité culturelle.
La convention spécifique sur les langues de Bretagne pourtant suscitée par une révolte populaire plaide en faveur d’un manque d’ambition politique. A dire vrai, on n’a pas le sentiment que, malgré leur poids politique que l’on dit au plus haut, nos responsables bretons exercent une forte pression sur Paris et les épaules de M. le recteur d’académie. Je ne me souviens pas avoir lu ou entendu des discours percutants en la matière. Faut-il s’étonner si nos professeurs de breton ont le blues ou se retrouvent dans l’académie de Versailles ?
Faut-il incriminer le cadre juridico-politique de l’unicité du peuple français et les entraves juridiques et psychologiques inhérentes au système France et à l’éducation nationale ? Certes, mais à ce compte-là, on ne comprend plus pourquoi ailleurs ça progresse alors que nous connaissons un certain marasme…
Ce marasme convient-il, au fond, à ceux qui nous dirigent ? Il est parfois des moments où l’on suspecte une forme de duplicité, laissant le soin à certains membres de la majorité, étiquetés breton, de se pâmer devant les beaux concepts d’altérité ou de diversité et de déplorer les blocages institutionnels, pour masquer l’absence de volontarisme politique de la région. Il est toujours commode de jeter la pierre dans le champ du voisin.
La situation actuelle est peut-être la pire qui soit. Aux uns de s’en prendre à l’État, aux autres de retourner la patate chaude du côté des Bretons et des parents qui n’en feraient pas assez et se désintéresseraient de leur langue.
Pour étouffer une langue, il n’est rien de mieux que de rendre les victimes responsables de son dépérissement. Et si la décentralisation à la française était la ruse la plus perfide du jacobinisme, en apportant la caution démocratique des élus locaux aux phénomènes de dépérissement des langues et cultures minoritaires ?
Loin de moi l’idée de minimiser les blocages institutionnels qui sont réels. J’irais même jusqu’à reconnaître le droit à l’erreur dans la conduite d’une politique publique.
On peut fort bien se tromper. Fallait-il mettre à l’écart les parents d’élève au profit exclusif de l’Office de la langue bretonne, lequel fonctionne comme toute administration publique sur mode vertical descendant ?
Fallait-il mettre un terme à l’expérimentation du multilinguisme qui donnait l’assurance aux parents d’élève d’un haut niveau d’apprentissage de l’anglais, avec le breton en prime ? Il est permis d’en discuter.
Tout ce qui m’importe, aujourd’hui, c’est de rappeler que lorsqu’une politique est en échec ou ne donne pas les résultats escomptés, et bien on l’évalue, humblement. Si la politique linguistique nous tient à cœur, il ne s’agit jamais que d’une politique publique parmi les autres.
Il y a des chercheurs en science sociale dont l’évaluation des politiques publiques est la spécialité.
Il est même pertinent d’associer des tiers au processus d’évaluation, car nous savons par expérience, que celui qui définit et met en œuvre une politique n’est pas le mieux placé pour l’évaluer. Cette évaluation contradictoire de la politique linguistique de la région Bretagne était l’une des demandes formulées par la délégation de « Breizh Impacte » en juin dernier. Le refus essuyé à cette occasion révèle une fois de plus combien il est difficile aux responsables politiques de s’interroger sur le bien fondé de ce qu’ils entreprennent, que nous soyons en période d’élection ou pas. Une personne publique ne peut mal faire.
La plus grande erreur de la région Bretagne est le refus d’affronter en face une politique qui dysfonctionne pour privilégier des exercices de communication devant les associations subventionnées.
Je ne crois pas me tromper en affirmant que les Bretonnes et les Bretons en ont assez des belles paroles et ne souhaitent qu’une chose en la matière, savoir pourquoi ça ne marche pas comme il le faudrait et quelles sont les décisions à prendre d’urgence pour que leur langue ne finisse pas dans les poubelles de l’histoire.
Yvon Ollivier, juriste, auteur
(1) Hôtel de Courcy,
9 rue Martenot
Rennes
15 octobre