Hier est sorti en librairie le 2ème roman de Patrick Mahé, aux éditions Fayard. Prolixe avec une quarantaine d'ouvrages, c'est son second roman, après Memphis Blues.
1846. Ils s'appellent John O'Reilly, Francis O'Connor, Patrick Dalton, David Mc Elroy, John Murphy, James Kelly… Ils sont Irlandais. Fuyant la grande famine qui ravage leur île, ils ont traversé l'Atlantique à bord de bateaux cercueils. Mais l'Amérique protestante n'a que faire de ces nouveaux émigrants faméliques qui portent le trèfle en guise de croix et n'ont pour richesse que la religion catholique… Aux « papistes » , point de salut ! Ils errent dans la misère et les bas-fonds de New-York, sous la menace des gangs. Les plus jeunes s'engagent dans l'armée, avec l'espoir que le sang versé leur vaudra la reconnaissance de leur nouvelle patrie. Mais l'accueil des gradés fait d'eux de nouveaux parias : sévices, punitions, humiliations… Alors ils désertent. Au-delà de la frontière texane, ils rallient le général Santa Anna, le tombeur de Fort Alamo.
Ainsi naît, au sein des troupes mexicaines, le bataillon des Saint-Patrick, alias Los San Patricios. Leur campagne, dans la guerre qui oppose le Mexique aux Etats-Unis, durera quinze longs mois dans la fournaise des sierras. Et quand ces insoumis seront faits prisonniers, Washington se montrera impitoyable. Du Connemara au Rio Grande, ce roman qui se lit comme un western dévoile un pan singulier de l'histoire américaine, quand l'empire du Mexique s'étendait encore sur le Texas et l'opulente Californie.
ABP : Patrick Mahé, combien de romans à votre actif ?
PM : Après une quarantaine d'ouvrages, dont une douzaine consacrés au monde celtique : récits, albums, c'est seulement le 2ème roman, après Memphis Blues (1992).
(NDLR) "Culture Whisky" (Editions du Chêne) vient de bénéficier d'une énième réédition, avec notamment une mise à jour sur le whisky japonais. Compter aussi aussi les 6 tomes de "La France vue de la mer", photographiée par Philip Plisson, dont 2 consacrés à la Bretagne (2010-2013).
ABP : Pourquoi avoir choisi ce fait d'histoire, les San Patricios ?
PM : Parce qu'il est méconnu et... inter celtique. D'autre part, il est digne de l'histoire tragique de l'Irlande et ses 700 ans d'occupation anglaise. Sans parler de la grande famine et ses 800.000 morts à la même époque. C'est le temps de l'émigration forcée à bord des « coffins ships » , et des accueils désastreux en Amérique. L'une des scènes de Gangs of New-York de relate bien cela, avec Daniel Day Lewis, lorsqu'il rejette à coups de pierre sur les quais ces émigrés irlandais, catholiques, de surcroit.
ABP : Avez-vous vu le film « One Man's Hero » , le film américano-mexicano-espagnol réalisé par Lance Hool en 1999 ?
PM : Oui, il est inspiré du livre de Michael Hogan ("The Irish soldiers of Mexico"), professeur à Guadalajara ; livre paru en 1997. J'ai rencontré Michael Hogan au cours de mon enquête. Il m'a donné de précieuses précisions. Mon livre lui est dédié, ainsi qu'à Breandan O'Scanaill, gardien de la mémoire du Bataillon des Saint-Patrick, à Clifden (Connemara). De même, j'avais rencontré à Lorient, en 2011 les sonneurs de La Banda de gaitas de Los San Patricios, un ensemble de sonneurs mexicains dirigé par Rafael Gutierez (lui aussi est dans les remerciements, à la fin du livre). Dans mon petit livre sur Saint-Patrick, paru en 2008, je consacrais déjà 5 pages aux "San Patricios".
ABP : Est-il vrai que quelques Suisses, Français, Ecossais, Allemands, tous catholiques, ont également rejoint John Riley et le bataillon des San Patricios ?
PM : Quelques-uns, oui. Plusieurs de mes personnages le sont (dont un Acadien d'origine bretonne), une poignée d'Ecossais fidèles aux Stuart (des descendants de la dernière charge des clans à Culloden en 1745), ainsi qu'un ou deux protestants modérés anti "ultras". Pour mémoire, l'un des héros des "United Irishmen", mouvement qui lutta pour l'indépendance de l'Irlande, était protestant et mourut en prison (NDLR : il s'égorgea). Les "San Patricios" lui rendent fréquemment hommage (voir pages 154-155). Il s'appelait Wolfe Tone, s'était inspiré de la "guerre d'indépendance américaine" et avait fait appel au Directoire pour faire débarquer des troupes (parties de Roscoff) à Bantry (1796) et Killala (1798). De ce dernier débarquement naîtra l'éphémère "République du Connaught" en Irlande, ditre "République des gueux", bientôt écrasée par les renforts anglais.
ABP : Pour beaucoup d'occidentaux qui ne connaissent le Général Santa Anna que par la bataille d'Alamo, le rejoindre ne peut être qu'un acte de trahison incompréhensible, non ?
PM : Ce sentiment ne guidait pas les "San Patricios". Ils ont déserté pour des raisons principalement religieuses : maltraitances, sévices, humiliations, brimades anti catholiques et anti irlandaises au sein d'une armée américaine encore très fruste. Ils se moquaient tout autant de la politique du président Polk, à Washington, que de celle de Santa Anna. De plus, ils n'étaient pas Texans et non concernés par Fort Alamo. Leur devise en langue gaélique : ERIN GO BRAGH !, signifie : "L'Irlande pour toujours !". Leur drapeau, brodé par les religieuses du couvent de San Luis Potosi était vert irlande orné de la harpe dorée.
ABP : Le 18ème Pdt des US, Ulysse Grant a dit, en 1869 : "La rébellion du Sud fut l'avatar de la guerre avec le Mexique", êtes-vous d'accord ?
PM : Ce fut, une sorte de théâtre de répétition militaire pour les Américains. Grant, le Nordiste, et le général Robert E. Lee, chef des armées sudistes, étaient dans l'Etat-major de Scott, le tombeur du Mexique. C'est grâce à Lee, d'ailleurs, que les Américains ont pu gagner, d'abord dans les montagnes de Puebla puis trouver la passe qui conduisit au couvent de Churubusco, là où les "San Patricios" ont mené leur ultime baroud. Les derniers prisonniers ont été pendus face au château de Chapultepec, aux portes de Mexico. Une exécution, la corde au cou, qui dura... Cinq heures ! Jusqu'à ce que le drapeau mexicain soit amené. J'en ai fait l'illustration de couverture : un tableau de Samuel Chamberlain, officier américain, exposé au musée de Houston parmi ceux qu'il a peints pendant la guerre Etats-Unis-Mexique (1846-47). En outre, depuis 1821, les lois de la guerre stipulent que les déserteurs, jugés coupables, risquent le poteau d'exécution et non la pendaison... Une interview faite par Irène Frain complète cet atricle. Patrick Mahé sera en dédicace le 16 mars à Vannes chez Cheminant à 15h30 et à Quimper chez Ravy le 26 à 17h30.