Le document s'appelle «Propositions pour l'enseignement des langues de Bretagne» et il émane de la commission «enseignement, éducation, formation, enseignement supérieur, éducation populaire» du Conseil Culturel de Bretagne nouvellement reconnu comme «Chambre consultative» et intégré dans le giron du Conseil Régional de Bretagne présidé par le socialiste Jean-Yves Le Drian.
Placée sous la présidence de Jean-Pierre Angoujard, la commission compte diverses personnalités et une poignée d'intervenants extérieurs sollicités pour apporter leur expertise dans la rédaction de ce rapport qui fut présenté en session le samedi 14 mai dernier.
Le premier paragraphe intitulé «en première ligne la région Bretagne» part sur de bonnes bases car il ne demande pas moins que le transfert de compétences à la région en matière de politique linguistique. En termes clairs et avec les mots qui fâchent: l'autonomie linguistique. Le propos a le mérite de poser clairement l'enjeu: sans autonomie, les langues bretonnes n'ont aucun avenir.
Le deuxième point de ce premier paragraphe, décidément plein d'enseignements, est la volonté de passer d'une «politique de la demande» à une «politique de l'offre» . En termes moins barbares, comme en Corse, il s'agit de faire que l'offre d'enseignement en breton et en gallo soit un fait général en Bretagne et ce jusque dans les moindres communes et que le non-apprentissage des langues soit la conséquence d'un refus volontaire des parents. Là-dessus, il y aurait encore matière à discussion, après tout nous ne sommes pas encore rentrés dans l'ère de «l'école à la carte» où les parents d'élèves auraient le droit de refuser l'enseignement de telle ou telle matière.
Le breton et le gallo semblent apparaître comme des sujets sensibles pouvant heurter les convictions religieuses, philosophiques ou politiques de parents d'élèves. L'histoire-géo ou l'enseignement des symboles de la république française ne sont pas des matières optionnelles en primaire et les parents ne peuvent les refuser dans le cursus de leur progéniture. Pourquoi est-ce que le breton et le gallo devraient, eux, subir le poids de possibilités dérogatoires ?
L'enseignement des symboles de la république française, en Bretagne, il faut le dire, est l'expression d'une opinion politique. Ceci n'est pas vrai en Eure-et-Loir ou dans l'Yonne, où il n'y a pas d'opinion séparatiste mais en Bretagne, où la notion d'indépendance nationale est un fait social et politique, la république française et ses symboles sont et restent l'expression d'une opinion politique. Le nier c'est se mettre la tête dans le sable. Donc si les matières «breton et/ou gallo» peuvent être refusées par les parents, l'enseignement des symboles de la république française doivent également être soumis à cette possibilité.
Prudent, le rapport du Conseil Culturel n'avance cependant pas cette proposition et reste sur la perspective d'une «politique de l'offre» .
La suite du rapport met en avant tout une série de propositions pour le breton et le gallo frappées du sceau du bon sens. Et pour la première fois dans un document de cette nature, il est question de l'enseignement du et EN gallo. En gallo ! Il y a encore quelques années, la notion de l'enseignement du gallo était reléguée à l'extrême fin du paragraphe concernant la «culture de Haute-Bretagne» (quand il existait), entre la sauvegarde du rond de Saint-Vincent et la conservation des savoirs en matière de fabrication du cidre». Que de chemin parcouru donc ! L'observateur attentif y verra peut-être la main de l'excellent président du Conseil Culturel de Bretagne Paul Molac.
Dans le catalogue des propositions contenues dans ce rapport, on regrettera cependant l'absence d'une possible filière bilingue «breton-gallo» en plus des filières «français-breton» et «français-gallo» et de la filière immersive. La filière «breton-gallo» est loin d'être une utopie car aujourd'hui, dans les faits, c'est la filière bilingue de l'enseignement catholique (Dihun) et la filière Diwan (école primaire de Questembert et collège de Vannes) qui offrent les volumes horaires les plus importants et l'enseignement le plus abouti EN langue gallèse (et non pas l'enseignement de la «culture gallèse» en français, le distinguo est important).
Malgré cette suite de propositions tout-à-fait logiques et constructives, on regrettera l'absence de diagnostic et de propositions en ce qui concerne ce qu'on pourrait appeler le méta-scolaire. En effet, à côté du manque d'enseignants formés à l'enseignement en langue bretonne et en gallo, il existe un autre problème qui empêche bien souvent l'implantation d'une école par immersion dans telle ou telle commune : les locaux. En effet, bien souvent, alors qu'un noyau d'élèves est rassemblé et qu'un enseignant a été trouvé, les AEP (association de parents d'élèves) désirant créer une nouvelle école Diwan (par exemple) buttent sur l'impossibilité de trouver des locaux décents, aux normes, et accessibles au niveau loyer. Les maires, s'ils sont hostiles au projet, n'apportant bien entendu aucune aide aux AEP, celles-ci jettent l'éponge l'âge des enfants avançant. Tôt ou tard, il faudra bien poser cette question des locaux en termes clairs :
– ou les écoles bilingues ou par immersion restent sous la responsabilité des maires et de leur bon vouloir comme le sont les écoles communales – auquel cas il faudra obliger ceux-ci à leur donner des locaux décents –
– ou les écoles en langue bretonne ou gallèse bénéficient d'un statut spécial.
Le jour où le problème des locaux sera réglé il y a fort à parier que de nombreuses écoles par immersion verront le jour et parmi elles des écoles en gallo.
Deuxième point crucial pour les écoles par immersion : Les ASEM ou assistants maternels. Aujourd'hui, les AEP, n'ayant pas les moyens d'embaucher quelqu'un sur un contrat de travail classique, celles-ci sont obligées de passer par des contrats de type CAE, c'est-à-dire où la majorité des personnes éligibles sont, soit en rupture sociale, soit en situation de handicap. Sans stigmatisation aucune, il convient de constater que le public de ce type de contrat n'est souvent pas adapté à un travail avec des enfants et que, de surcroît, il est très difficile de trouver des néo-bretonnants remplissant les conditions éligibilité au CAE. Pour couronner le tout, les nouvelles dispositions gouvernementales empêchent les dérogations dont les AEP étaient grandes consommatrices. Les ASEM embauchés en CAE sont donc condamnés à ne rester en poste qu'une année et à ne travailler que 20 h par semaine. Les conséquences pour les écoles ainsi que pour les employés sont donc désastreuses : turn-over continuel du personnel non-enseignant, précarité, présence non-continue auprès des enfants, etc.
Il serait grand temps que la région se saisisse du problème et propose des contrats sur mesure pour développer cette «niche d'emplois» entravée par une législation française inadaptée.
Enfin, le budget des AEP ne serait pas aussi modeste si les mairies étaient obligées de verser le forfait scolaire pour les enfants ne bénéficiant pas, sur la commune, du service d'une école en breton et/ou en gallo. Cette discrimination est, concrètement, un poison pour les trésoreries d'AEP et empêche le développement de nombres d'écoles. La courageuse initiative de l'école Diwan de Guingamp ayant attaqué les communes réticentes devant le tribunal administratif est à saluer à ce sujet. Là encore, la législation française n'est pas adaptée à la situation particulière des écoles en breton ou en gallo et l'autonomie linguistique apparaît comme la seule solution logique.
Un point qui n'est également pas abordé dans ce rapport est l'isolement que ressente nombres de professeurs des écoles nommés sur des postes bilingues dans les écoles publiques ou catholiques. Souvent stigmatisés par leurs collègues et certains parents d'élèves des classes monolingues, manquant de soutien de la part des directeurs, ceux-ci évoluent dans un environnement par trop hostile. Une des solutions pour éviter cet ostracisme serait un partenariat entre les communes accueillant les écoles à filières bilingues et la région pour améliorer les locaux, dotations en matériel pédagogique, formation des enseignants et du personnel non-enseignant, etc. et ce afin que l'arrivée d'une classe bilingue dans une école soit vécue comme une chance et non pas comme une contrainte ou une menace pour les postes monolingues (les classes bilingues étant accusées de vider les classes monolingues).
Concernant le gallo, le rapport de la commission du CCB pèche par manque de réalisme. Le premier obstacle à l'enseignement du gallo n'est pas, en effet, le manque de professeurs mais le manque de gallésants capables de tenir une conversation en gallo tout simplement et par là-même le manque de formateurs qualifiés en gallo. En effet, il faut ouvrir les yeux, à moins d'embaucher – pour former des néo-gallésants – une grand-mère de plus de 90 ans, à moitié analphabète, habitant le fin fond du Mené et ayant eu un rapport très lointain avec le français, il n'existe qu'une poignée de personnes (5 ou 6 au grand maximum) capables de remplir sérieusement le rôle de formateur. Ceci est un fait. Les récentes formations de 3 mois initiées par Stumdi ont d'ailleurs montré s'il était besoin, le décalage criant entre les compétences affichées par certains et leurs compétences réelles en tant que locuteurs de gallo. Parmi ces 5 ou 6 personnes, seules deux voire trois sont employées occasionnellement pour former des néo-gallésants. Pourquoi les autres ne sont-ils pas utilisés d'office pour accomplir ce travail de formation ? Un seul exemple, pour illustrer ce paradoxe : le plus grand grammairien de la langue gallèse est aujourd'hui ouvrier dans une usine alors que ses compétences indéniables seraient plus utiles ailleurs et qu'il est, de surcroît, titulaire d'un CAFEP mais reste sans affectation (!)
Tout rapport traitant de l'enseignement du gallo doit poser impérativement ces questions de base et soulever ces paradoxes avant de parler d'enseignement du gallo dans les formations au CAPES ou CAFEP ou je ne sais quoi d'autre.
Quoi que puissent être les manques de ce rapport, celui-ci a le mérite d'exister, de tirer les bilans de 30 ans d'expérience et de poser le vrai problème-base de la politique en matière d'enseignement des langues de Bretagne : peut-on espérer une réelle avancée pour nos langues sans un minimum d'autonomie législative et décisionnelle en Bretagne ?