Il faut rendre la matière des finances si simple qu’elle puisse être facilement entendue par toutes sortes de personnes.(1) A la veille des Etats Généraux de Bretagne à Morlaix le 8 mars, il est bon de reprendre quelques bases essentielles de notre droit pour étoffer notre réflexion, aiguiser notre opinion sans tomber dans les préjugés et les lieux communs stériles. Nous avons à construire un nouveau monde, et nous en sommes sûrs, il naîtra à l’Ouest car c’est de là que viennent toujours de grandes tempêtes, et l’air iodé qui empêche les moutons de dormir.
Extrait de la déclaration des droits de l’Homme de 1789
Art. 13. Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
Art. 14. Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.
Art. 15. La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration
Réfléchir sur l’impôt est une tâche difficile car le sujet est complexe, on parle à juste titre de « maquis fiscal ». Ce dernier terme a le sens de « végétations denses et peu accessibles, de région isolée, montagneuse et boisée, mais dans son sens figuré, d’affaire compliquée, obscure et de situation inextricable » et bien évidemment le noble besogneux de notre région ne comprend pas grand chose et les spécialistes fiscalistes qui passent du temps sur ces bibles recherchent en vain la voix d’un seigneur qui pourrait les éclairer. Et nos entrepreneurs (petits et moyens, pas ceux du CAC 40), piqués sans arrêt par ces épines, étouffés par cette végétation incompréhensible se perdent dans des impasses, ne voient plus l’avenir, ne produisent plus...meurent.
Sur ces simples articles de 1789, nous pourrions déjà réclamer l’application de certains principes de base perdus dans l’empilement des textes, des institutions et des pouvoirs, monopolisés par une soi-disant élite...
Le bon père de famille(2), ce « nous tous » ne remettra pas en cause le principe d’une contribution pour le fonctionnement général et l’investissement public. D’ailleurs la générosité, lorsqu’elle est sollicitée reste généralement au rendez vous (l’article 13 est donc acceptable et accepté en général)
Le questionnement sur la fiscalité touche à tous les grands sujets de la société, elle est le précipité d’un « vivre ensemble », d’une « concorde » (ceux qui tiennent une même corde), la partie financière du lien social tendu par la triple fonction « donner-recevoir-rendre ».Le monde change vite et s’élargie constamment et les liens sociaux se déplacent. Nous traversons une grande révolution induite par les objets numériques qui nous envahissent.
Le sens même de l’impôt (sa justification, sa légitimité) s’effrite dans ce torrent et il serait absolument nécessaire qu’un grand pédagogue vienne nous expliquer, en toute honnêteté, les circuits de cet argent sacré, ce flux monétaire respectable, né de l’effort de tous, des plus humbles au plus riches. Expliquer pour comprendre, comprendre pour décider... Et nous avons sincèrement l’impression que les moindres décisions nous échappent, que nos avis ne sont pas entendus, que le fruit de nos efforts est peut-être dilapidé... La grogne de nos petits pays vient de là, d’un manque de démocratie, d’une coupure franche entre des décideurs arrogants, ceux qui pensent savoir et le citoyen de base (l’application de l’article 14 et 15 reste à ce jour très imparfait dans la complexité de tous les dispositifs fiscaux).
Le constat est clair et la plupart des économistes sont en majorité d’accord sur ces points :
Les prélèvements obligatoires atteignent des sommets insupportables : 966.90 milliards en 2013 soit 46.30 % du PIB, ils étaient de 635.90 milliards en 2000 soit 44.20 % du PIBiv d’où un « ras le bol fiscal » qui se développe, ainsi qu’un effet de massue qui ralentit l’économie dans un monde ouvert.
L’instabilité de l’impôt : chaque loi de finances apporte son lot de modification brutale ou subtile. Le chef d’entreprise, le bon gestionnaire a besoin d’un minimum de visibilité pour prendre des décisions, pour effectuer des calculs de retour sur investissements...
La complexité surprenante de l’impôt comme par exemple : la vente d’immeuble pour un particulier est susceptible de dégager une plus value. Cette plus value est assujettie à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux avec un abattement en fonction de la durée de possession. Pour le calcul de ces prélèvements, la durée de référence est de 22 ans pour l’impôt sur le revenu et de 30 ans pour le calcul des charges sociales avec des taux d’abattement différents pour chaque prélèvement ! (loi de finances 2014)
Dans son ouvrage Urgences françaises (4), Jacques Attali préconise 10 chantiers dont le premier est « réformer les institutions par référendum » (simplification de l’organisation territoriale) et le deuxième est « rendre efficaces les dépenses publiques pour maitriser la dette sans casser la croissance ». Dans ce chantier, un volet est consacré à la modernisation de la fiscalité.
Que serait alors un « bon » impôt ? Jacques Généreux (5) explique dans son ouvrage « les vraies lois de l’économievi » que selon la théorie de l’impôt optimal des Suédois Wicksell et Lindhal « l’impôt juste et efficace serait celui qui à chaque dépense publique ferait correspondre une modalité de financement choisie par les électeurs à la quasi-unanimité ou à une très forte majorité qualifiée. Une procédure parfaitement démocratique de détermination des dépenses publiques et de leur modalités de financement conduirait à une situation où l’impôt que chacun acquitte est exactement égal au prix qu’il est disposé à payer en contrepartie des biens publics...La théorie de l’impôt juste et efficace ébauchée par l’école suédoise est certes une utopie, mais elle montre un chemin concret : celui de la démocratisation réelle des choix publics. »
Grogner [Littré : « témoigner son mécontentement par un bruit sourd »] est un signe de vie, d’espoir et d’homme libre. Il nous faut ensemble réensemencer la Bretagne car nous avons probablement un des plus grands atouts par rapport à d’autres territoires, celui de la culture, de notre culture qui nous permet un « vivre ensemble ». « Etre breton, c’est important pour 86 % des habitants » selon le sondage paru dans le numéro 96 du magazine BRETONS. Nous possédons tous les talents pour écrire une histoire nouvelle.
La grogne fiscale révélée par la crise économique (il y aurait beaucoup à dire sur l’état permanent de crise depuis des décennies) met en évidence une crise de la démocratie. Cette crise s’illustre par des sentiments d’impuissance des votes, des sentiments de grand décalage entre les décideurs lointains (et de plus en plus lointains par l’Europe) et le besogneux, par un sentiment d’injustice (probablement amplifié par les grands médias) entre l’humble citoyen et la très haute finance internationale.
Des mots simples pour des revendications naturelles. Dans un espace mondialisé, si nous souhaitons maintenir une cohésion de la société, de notre société bretonne, si nous souhaitons affirmer nos repères essentiels, notre vision du monde, notre capacité à réunir les forces vives et créatrices de cette terre, il faut absolument régionaliser la majorité des décisions. Cela concerne notre avenir, l’avenir de nos enfants. Nous méritons un pouvoir proche et partagé pour des décisions efficaces et rapides dans une Europe réorganisée démocratiquement à l’aube du XXIe siècle. Toute cette énergie libérée redonnera l’espoir nécessaire à la jeunesse, favorisera la créativité économique, revivifiera la vie politique dans toute sa noblesse.
Il est temps d’agir, il est temps de se rassembler quelque soit nos sensibilités avec l’objectif de mettre en place enfin cette démocratie bretonne, ce grand projet collectif que nous espérons, pour apporter des solutions concrètes aux problèmes d’aujourd’hui.
Qui, mieux que nous, pourrait le faire ? Toutes les composantes sont éveillées aujourd’hui et nous pouvons très sincèrement remercier ces fameux portiques...
Ce matin, à l’heure où les grandes intuitions viennent toujours, je viens de réaliser avec un certain étonnement que Bercy, grand centre de la créativité fiscale, ressemble à un portique...
(1) Extrait du « traité de Finances » de Joseph Garnier 1872 - maxime attribuée à Colbert rappelée en introduction.
(2) La notion de « bon père de famille » est une notion juridique de droit civil. Normalement prudent et diligent, attentif, soucieux des biens et/ou des intérêts qui lui sont confiés comme s'il s'agissait des siens propres, le bon père de famille est utilisé par les juristes comme mètre étalon pour définir, dans un contexte donné, la norme comportementale en se rapportant à un individu de référence.
(4) Urgences Françaises – Jacques Attali – Fayard 2013 – page 177
(5) Les vraies lois de l’économie – Jacques Généreux – Editions du Seuil 2005 – page 137 Loi n°8