J’ai lu deux des entretiens journalistiques de M. Joël Cornette, historien à la mode (en ce moment), avec des journalistes du mensuel Bretons et un autre publié sur ABP et dans Armor réalisé par Ronan Le Flécher. Le livre que j'ai feuilleté à La Procure m’a semblé être une collection de redites et de banalités.
La période charnière de 1532 n’est absolument pas comprise, pas davantage les relations de la Bretagne et de la France au cours des siècles précédents. Rien d’important n’y est traité : ni les conflits britto-francais, ni leur nature, ni le problème de la Nation Bretonne (elle existe depuis au moins le VIIIe siècle, même si la théorisation de la nation est tardive, guère avant le XVIIe siècle), ni la notion d’hommage au Roi de France (l’hommage au moyen âge n’est rien d’autre qu’un contrat créant des droits et des obligations réciproques, même si l’une des parties dispose d’une certaine prééminence). L’auteur ne sait pas ce qu’est la souveraineté, pivot autour duquel s’articulent les relations brito-françaises. À vrai dire, tous ces problèmes majeurs ne peuvent pas, et ne pourront jamais être traités par des historiens, même si leur mérite est grand de découvrir les textes anciens ; et de les traduire.
Presque toutes les sources importantes de l’histoire – dons, legs, contrats de marriage, traités, testaments, etc.…, sont des textes juridiques.Un horloger ne peut pas construire une automobile, un philatéliste ne peut pas construire une cathédrale : même si les travaux des historiens sont utiles, voir indispensables, l’interprétation des sources exige aujourd’hui des connaissances très étendues .
En premier lieu, il faut connaître tout ce qu’on peut de l’histoire de l’humanité ; en second lieu, il faut être excellent sociologue ; en troisième lieu, il faut être historien des institutions - et savant en droit constitutionnel ; enfin, il faut non seulement être juriste, mais connaître l’histoire du droit, pour éviter l’anachronisme qui consiste a interpréter les fait passés au regard du droit et des mentalités actuelles . (voyez le lamentable débat sur le colonialisme, le racisme et l’esclavage).
À ceux qui souhaitent s’informer sur ce qui s’est passé en Bretagne après la mort d’Anne de Bretagne, en janvier 1514, jusqu'à l’annexion du pays par son ennemi millénaire, la France, je conseille l’excellente thèse de Dominique Lepage, consacrée au thème "Finances et politique en Bretagne au début des temps modernes (1491-1547)". Cet ouvrage est celui d’un savant, mais est d’une lecture difficile pour les non-spécialistes. Il est indispensable pour entrer dans la mécanique infernale par laquelle la France a subjugué le Duché souverain de Bretagne. Pour l’interprétation des faits, on retombe dans l’analyse ci-dessus : l‘auteur, malgré ses mérites, n’est ni juriste, ni sociologue : il entrevoit assez bien de quelle manière la France s’est emparée du Duché, mais ne sait pas en tirer les conclusions. Malgré cela, sa contribution est très importante, et l’on ne lui en voudra pas.
Louis Melennec
Voir mon article paru sur ABP le 23 avril dernier: "Le traité de 1532 était illégal" : ( voir notre article )