Témoignage d'un couple venu passer une semaine de vacances en Centre-Bretagne cet été.
Enfant malade au milieu de la nuit. Comme tout parent : la voiture, l'enfant sur les genoux de la mère et zao ! Mais où trouver un service d'Urgences dans le Centre-Bretagne ?
Selon Google, il y a un hôpital au Faouët. Pas trop loin ! 15-20 mn à peine. Hélas, arrivé sur place notre petit patient est trop jeune d'à peu prêt 80 ans. L'hôpital du Faouët est en effet plus un mouroir qu'un hôpital. Ici, pas moyen de s'y faire soigner à moins d'être déjà dans le 4e âge bien tassé et d'arriver sur les genoux.
A défaut d'avoir pu offrir un service de santé correct aux habitants du Faouët, les autorités sanitaires ont bien fait les choses : le foyer logement, l'hôpital et le crématorium sont dans un alignement parfait. D'ailleurs, il n'est pas rare d'entendre les pensionnaires qui regardent le sinistre bâtiment situé de l'autre côté de la route soupirer «d'ici peu, je serai là-bas» .
Quoi qu'il en soit, l'hôpital public dans ce bout de Cornouaille a désormais choisi son public : les personnes (très) âgées. Pour les jeunes incongrus habitants encore le Centre-Bretagne, prière d'aller agoniser ailleurs. Et dire qu'il fut un temps où l'hôpital comptait un service radiologie et même une maternité de 10 lits !
Donc, exit Le Faouët, l'équipe médicale nous indique le prochain service d'Urgences : Carhaix. 34 km. Faut pas être un pressé de la blessure !
Arrivée aux urgences de la cité du Poher au milieu de la nuit avec la petite qui va de plus en plus mal. Bâtiments flambants neuf ! Nous sommes accueillis par une secrétaire. Humaine, sympa. En fait, au fil du temps, nous allons nous apercevoir qu'en plus d'être secrétaire elle est également brancardière, infirmière, aide-ménagère, technicienne de surface, etc., une vraie petite entreprise à elle seule !
De notre côté, nous respirons, nous voilà dans un service hospitalier ! La petite, qui n'arrête pas de pleurer depuis des heures, va enfin aller mieux... «On va enfin s'occuper d'elle rapidement» ... Mais rapidement on va revenir de notre rêve d'opaline. Un coin de couloir nous est alloué. Et un brancard. «Toutes les chambres sont occupées Monsieur» . Même pour une gamine de 2 ans. Les employés vont et viennent. Il n'y a qu'un médecin apparemment. Autour de nous, 4 autres brancards. Un vieil homme à l'agonie. Ah lui au moins est dans le tempo ! Un ado qui vient de faire une tentative de suicide, une dame âgée avec une vilaine plaie à la jambe et un homme allongé visiblement bien mal en point.
La secrétaire multi-fonctions passe régulièrement nous demander si la petite va bien. Elle finira d'ailleurs par s'endormir. Le personnel est charmant mais débordé par la tâche. Des éclopés arrivent toute la nuit. Et on leur invente des nouveaux coins. Les brancards finissent par s'accumuler ça et là. Entre eux, un drap ou une sorte de paravent. Bien entendu, nous savons tout des divers afflictions du vieillard et de la triste vie familiale de l'ado suicidaire puisque le médecin qui l'interroge paraît être sur mes genoux. Aucune confidentialité, aucune intimité.
Après deux heures et demi d'attente, un médecin se penche enfin sur le cas de notre petite. Malgré l'accumulation de misère et l'indigence en matière de personnel, celui-ci réussira à garder une certaine humanité à l'encontre d'une enfant. Une radio et une prescription plus tard, nous voilà sortis. Ce soir-là il aura fallu pas moins de 4 heures et 60 kms pour trouver un service de santé capable de traiter une gamine de deux ans.
A croire que ce coin de Bretagne a été promis à la désertification par les autorités de santé !
Témoignage de Sabrina, employée à l'hôpital du Faouët, dont l'Agence Bretagne Presse a recueilli le ressenti face à la situation précaire du service public de santé en Centre-Bretagne :
Noyés sous la paperasse
La situation est de plus en précaire en ce qui concerne les services de santé en Bretagne, c'est évident. On nous demande de plus en plus, à nous personnel de terrain, d'utiliser l'informatique, notamment mais pendant ce temps nous ne pouvons être auprès des patients. Or c'est notre place. Aujourd'hui, par exemple, on met de plus en plus l'accent sur la traçabilité. C'est une bonne chose en théorie, mais comme il n'y a pas d'embauche de personnel, c'est à nous de faire le travail supplémentaire. Il nous faut donc remplir des tonnes de papiers pour le moindre geste médical ou para-médical. Mais nous nous ne sommes pas formés pour faire ça. De plus, avec la surcharge de travail on arrive à une situation paradoxale où il y a de plus en plus de traçabilité et en même temps il n'y a jamais eu autant de fautes faites dans les hôpitaux.
Les gens sont stressés, sous pression, alors parfois ça va “a-dreuz” (de travers).
Dernièrement, il a été fait une scintigraphie à la place d'une radio des poumons par exemple. Et hop tout va être à refaire ! Les gens qui travaillent dans les hôpitaux sont fatigués. On peut leur demander de remplir des tonnes de tableaux et faire des comptes-rendus à la chaîne, ça ne changera rien. Nous maintenant, on met des haricots dans des boîtes, le patient est devenu une marchandise, une “chose”. Quand on s'occupe de personnes âgées, il faut savoir prendre le temps de les écouter, chercher à comprendre ce qu'elles veulent, surtout que beaucoup ne communiquent plus qu'en breton. Mais comme on nous demande d'aller de plus en plus vite, on n'a plus de temps à leur consacrer. Où est-ce qu'est le respect de la personne humaine dans tout ça ?
La co-direction : Le nouvel Ankoù des hôpitaux ruraux
Au Faouët, où la fusion de la direction de l'hôpital avec celle de Quimperlé a été annoncée, l'inquiétude grandit. Sabrina nous explique pourquoi :
Jusqu'à maintenant, nous avions, à l'hôpital du Faouët, une cantine «familiale» pour nos patients. Les anciens ont besoin de ce genre de cuisine, vous savez. Si la fusion a lieu, tous les matins, les repas seront apportés de Quimperlé en plats lyophilisés et nos anciens n'auront qu'à avaler sans avoir leur mot à dire.
Mais ce n'est pas encore le plus inquiétant.
Fusionner Le Faouët et Quimperlé signifie fusionner les personnels. Donc quand il y aura trop de mondes au Faouët, on vous enverra à Quimperlé, pour une journée, une semaine, un mois, qui sait ? Et comment voulez-vous avoir une vie de famille comme ça ?
Pour les anciens ce sera pareil, s'il y a un manque de places ici, les nouveaux arrivants seront expédiés à Quimperlé. S'il leur reste de la famille ici, comment se feront les visites ? Au-delà de 70 ans, il est parfois dur de prendre le volant surtout pour aller jusqu'à Quimperlé ! Alors quand l'époux ou l'épouse sera hospitalisé comment fera celui qui reste ? Il s'abstiendra d'aller le visiter ou attendra que quelqu'un veuille bien le conduire. Ça, les grands penseurs de la Santé n'y ont sûrement pas réfléchi. Est-ce que cela fait partie de leurs préoccupations d'ailleurs ?
Au niveau de l'hôpital rural, tous les petits hôpitaux locaux sont rattachés à un autre hôpital plus important (Carhaix rattaché à Brest par exemple), donc c'est la fin des hôpitaux de campagne. Nous, on ne servira qu'à s'occuper des personnes qu'on ne voudra plus ailleurs. Les vieux vraiment vraiment vieux. Ceux qui ne coûteront pas cher longtemps en gros, eh oui c'est comme ça qu'ils raisonnent, il ne faut pas se faire d'illusion.
En 2003, les hôpitaux de Guérande et du Croisic ont été fusionnés, en 2009, c'était au tour des hôpitaux de Dinan, Saint-Malo et Cancale de subir le même sort.
Même peine pour Brest et Carhaix la même année.
Un projet de fusion des hôpitaux de Guémené-sur-Scorff et de Loudéac/Pontivy est en cours.