Alors que le Pays de Galles est la nation à l'honneur au Festival interceltique de Lorient cette année, l'Agence Bretagne Presse a pu interviewer le Premier Ministre gallois, Rhodri Morgan (Labour), à la tête du gouvernement gallois depuis la création de l'Assemblée nationale galloise et ceci depuis 2007 en coalition avec les nationalistes du Plaid Cymru.
ABP : Depuis 1999, le Pays de Galles dispose de son Assemblée Nationale : quel bilan tirez-vous de ces 10 ans de «dévolution» ?
Rhodri Morgan : « Je pense que le changement le plus important porte sur notre propre sentiment de confiance en nous-mêmes ; nous voulons et avons envie de prendre nous-mêmes nos propres décisions. Je crois que c'est ce que nous a apporté de mieux la dévolution.
La raison principale en est que la dévolution a aussi été et peut-être en premier lieu un succès économique accompagné du recul du chômage qui est maintenant au niveau de la moyenne britannique. Le Pays de Galles a, depuis 1999, créé un gain net de 150 000 emplois ; la dévolution n'a détruit aucun emploi contrairement à ce que nous annonçaient les anti-Dévolution, bien au contraire la dévolution a aidé à la création de nouveaux emplois.
Le Pays de Galles a évolué durant cette décennie ; en tant que nation, nous sommes bien mieux préparés à prendre la responsabilité de notre propre avenir, en tenant compte de nos propres erreurs et en en tirant les leçons nécessaires. C'est ainsi que se bâtit une nation.
En 1997, la majorité pour la création d'une Assemblée galloise était très juste ; depuis, divers sondages ont montré un soutien grandissant pour la dévolution et les nouvelles institutions galloises.
Cela ne m'étonne guère, dans la mesure où les craintes exprimées par les anti-Dévolution sur l'incapacité supposée des Gallois à gérer leurs affaires se sont révélées injustifiées. Les faits parlent d'eux-mêmes : la situation du Pays de Galles s'est nettement améliorée depuis la création de l'Assemblée nationale galloise.
Quelques exemples de décisions prises par notre Assemblée :
— dans le domaine de l'éducation, la mise en place d'une sorte de baccalauréat à la galloise pour les 16 – 19 ans ou la création de jardins d'enfants sur le modèle scandinave qui ouvriront en septembre prochain ; petit à petit, le système d'enseignement gallois s'éloigne du modèle britannique dominant depuis 125 ans.
— le système de bourses délivrées par l'Assemblée pour permettre au plus grand nombre de suivre des études supérieures, l'interdiction de fumer ou bien encore la délivrance gratuite de médicaments, autant de mesures qui améliorent la vie quotidienne des Gallois.
— autre exemple : le transport en bus gratuit pour les retraités, qui a donné la liberté à des milliers de seniors, non seulement de faire leurs courses hebdomadaires mais aussi de voyager à travers le Pays de Galles pour visiter leur famille ou leurs amis.
Notre approche de l'économie a considérablement évolué depuis 10 ans et nous continuerons en ce sens : terminée l'époque où nous construisions d'abord des zones industrielles avant de chercher ensuite des investisseurs pour remplir les espaces vides.
Maintenant nous encourageons les sociétés à développer leurs unités de recherche scientifique et technique au Pays de Galles.
Il y a une dizaine d'années, nous n'avions pas véritablement d'entreprises capables de développer une recherche de niveau mondial ; désormais, je peux citer EADS, IBM, Motorola, Avaya, GE Healthcare, General Dynamics et bien d'autres.
Dernier exemple : le site Airbus dans le Flintshire emploie plus de 6.000 personnes dans des postes de haut niveau technologique pour la fabrication des ailes de l'ensemble des avions de la marque. La future académie militaire à Saint Athan dans la vallée de Glamorgan créera des milliers d'emplois qualifiés dans un environnement universitaire qui n'aura rien à envier à Oxford ou à Cambridge. »
ABP : Les pouvoirs de l'assemblée galloise sont moins larges que ceux du Parlement écossais : souhaitez-vous une évolution vers le modèle écossais?
Rhodri Morgan : « L'Écosse a une tradition politique complètement différente de celles de l'Angleterre et du Pays de Galles mais c'est une question qui se pose désormais au Pays de Galles. Le décret de 2006 consacré au Gouvernement du Pays de Galles a mis en place la possibilité pour nous d'organiser un référendum portant sur un élargissement des pouvoirs législatifs de notre Assemblée nationale. Tant le Parti travailliste que le Plaid Cymru sont prêts à s'engager pour une issue positive à ce référendum qui pourrait avoir lieu en 2011.
Mon gouvernement a créé une Convention pour le Pays de Galles (All- Wales Convention) , présidée par l'ancien ambassadeur britannique aux Nations Unies, Sir Emyr Jones Parry, dans le but de recueillir l'opinion des différents secteurs de la société galloise concernant une possible évolution à l'écossaise des pouvoirs de notre assemblée nationale. Cette Convention rendra ses conclusions en 2010 et sur cette base, le gouvernement décidera de la date de la tenue du référendum. »
ABP : Depuis 1 an, le Parti travailliste gallois et les nationalistes du Plaid Cymru gouvernent en coalition l'exécutif gallois : quelles sont les nouvelles politiques que vous avez définies et mises en pratique ensemble ?
Rhodri Morgan : « Le “One Wales Program” du gouvernement Labour – Plaid Cymru est une synthèse des programmes de 2 partis, avec une priorité pour la santé, l'éducation, l'environnement et l'enfance en difficulté.
Cet accord a coïncidé avec l'obtention de nouveaux pouvoirs dans le cadre du « Government of Wales Act » de 2006, notamment de plus grandes compétences législatives nous permettant de voter nos propres lois et ceci pour la première fois depuis 500 ans [ndlr : depuis la fin du Parlement gallois mis en place par Owain Glyndwr].
Notre programme Labour – Plaid Cymru comprend près de 220 mesures à mettre en place d'ici 2010, ce que nous avons déjà fait sur de nombreux points, que ce soit, par exemple, les parkings gratuits pour les patients hospitalisés, la nomination d'un médiateur en charge des droits des seniors (une première mondiale !) ou le système scolaire pour les enfants de 3 à 7 ans sur le modèle scandinave.
Nous avons aussi arrêté un plan à long terme pour les énergies renouvelables et identifié les zones pour la création de fermes éoliennes qui seront notre contribution à la lutte contre le réchauffement climatique. »
ABP : Quelle place souhaitez-vous donner à la langue galloise dans la société galloise actuelle ? Votre politique linguistique est-elle bien admise à Londres, y compris au sein du Labour à Westminster ?
Rhodri Morgan : « La langue galloise a un rôle important à jouer dans le Pays de Galles d'aujourd'hui, d'autant qu'un nombre croissant d'élèves est scolarisé dans les écoles en gallois. Mon gouvernement est actuellement en négociations avec Westminster pour l'obtention de nouveaux droits législatifs qui nous permettront de voter une nouvelle législation portant sur la promotion de la langue galloise. »
ABP : Quels rapports avez-vous avec les gouvernements des autres pays celtiques, Irlande, Irlande du Nord et Écosse ? Que pensez-vous de l'évolution politique en Écosse et de la marche vers l'indépendance prônée par Alex Salmond ?
Rhodri Morgan : « Nous avons déjà d'excellentes relations de travail avec les autres pays du Royaume-Uni et d'Irlande : nous avons des réunions régulières au sein du Conseil des Iles britanniques où nous discutons de sujets d'intérêt commun ainsi qu'au sein du Comité inter-ministériel où j'ai des entretiens cordiaux et constructifs avec mes collègues d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande du Nord.
La question de l'indépendance de l'Écosse est du ressort du peuple écossais. »
ABP : Vous avez signé un accord de coopération avec Jean-Yves Le Drian, pour le Conseil régional de Bretagne (administrative) : quelles actions ont été menées dans le cadre de cet accord ? Pensez-vous possible de renforcer cette coopération entre les 2 pays ?
Rhodri Morgan : « Le Pays de Galles est tout à fait conscient des liens historiques avec la Bretagne. Cette relation particulière a été reconnue officiellement et consolidée par un mémorandum (Memorandum of Understanding – MOU) entre le Pays de Galles et la Bretagne [ndlr : administrative] en 2004. Ce MOU créé les fondations pour une future coopération entre l'Assemblée nationale galloise et le Conseil régional de Bretagne [ndlr : administrative] dans un certain nombre de domaines.
En 2006, le Pays de Galles et la Bretagne [ndlr : administrative] ont signé un plan d'action qui cadre les domaines de coopération dont, par exemple :
Le soutien du Pays de Galles pour l'adhésion de la Bretagne [ndlr : administrative] au réseau européen EARLALL (association européenne des régions et autorités locales pour la formation permanente)
Le travail en commun dans le domaine des langues minorisées : l'Office de la Langue Galloise anime un projet soutenu par le programme européen pour la formation permanente 2007-2013, projet qui comprend, notamment, un réseau de promotion de la diversité linguistique qui rassemble 18 organismes similaires représentant 11 langues minorisées à travers l'Union Européenne, dont le gallois et le breton.
La signature d'un accord de coopération porte sur le développement de l'agriculture bio, durable et solidaire entre le Organic Centre Wales Partnership et le FRCIVAM de Bretagne [ndlr : administrative] pour partager les expériences et initiatives au bénéfice des communautés rurales des deux pays.
Nous souhaitons continuer à développer les relations avec le Conseil régional de Bretagne [ndlr : administrative] dans un esprit chaleureux et amical. »
ABP : Le Pays de Galles sera fortement représenté cette année à Lorient : quelle image souhaitez-vous donner de la nation galloise à cette occasion ?
Rhodri Morgan : « Le Festival de Lorient est un événement culturel important ; le Pays de Galles étant la nation invitée, c'est une excellente opportunité pour proposer ce qu'il se fait de mieux en matière de musique et de culture galloises dans le cadre d'un festival celtique important. J'espère aussi que les musiciens gallois présents à Lorient pourront comprendre comment les Bretons ont réussi à imposer la musique celtique sur le marché français, ce que l'industrie galloise de la musique traditionnelle n'a pas réussi à faire sur le marché britannique. »
ABP : Merci.
Propos recueillis par Jacques-Yves Le Touze