Au cours de mon déjeuner de Nouvel an entre amis dans une crêperie de Quimper, nous avons discuté de la nécessité de sensibiliser davantage le grand public breton à la culture bretonne, en particulier dans deux domaines, "Histoire de la Bretagne" et "Langue bretonne".
Avant de quitter la crêperie, j'ai échangé aussi avec le patron de l’établissement sur cette question "Langue bretonne", lequel m'a déclaré avec conviction que le breton ne servait à rien et que les parents qui mettaient leurs enfants dans des écoles bilingues agissaient ainsi pour faire chic.
Il a affirmé aussi que la Bretagne était la seule région de France à panneaux de signalisation et de rues bilingues. Je l’ai informé qu’en réalité les panneaux bilingues étaient bien présents et nombreux dans les autres régions à langues particulières. Il a trouvé que cela se justifiait en Alsace par l’existence d’une langue régionale encore assez bien conservée contrairement à la Bretagne. Ce patron est un Breton pur jus approchant apparemment des 50 ans, au demeurant cordial, mais qui n’a pas manqué de dire sans ambages que les partisans du breton étaient ultra-minoritaires.
Il m'a semblé que le dialogue était resté bon enfant. Mais j’ai probablement perdu mon temps à essayer de convaincre, courtoisement selon moi, une personne aux idées si arrêtées.
Faut-il donc se contenter d’user du breton dans un ghetto bretonnant pendant que le nombre total des Brittophones (ou "Bretonnants" selon un terme plus connu) continue à se restreindre de plus en plus rapidement, soit 107 000 locuteurs selon le dernier sondage publié ces derniers jours ? Et combien d’entre eux ont l’occasion de le parler régulièrement avec autrui ?
Mon amie Marie-Noëlle, qui vit dans le Cap Sizun, propose un argumentaire s’appuyant sur son parcours réussi de néo-bretonnante. En voici la substance.
Comment peut-on dire que la langue bretonne ne sert à rien ?
Il est plus facile de dire que le breton ne sert à rien plutôt que de se mettre à l’apprendre et de réaliser qu'en fait cette langue est passionnante et enrichissante. Mais exposer quelques arguments en faveur du breton, du gallo ou de tout autre toute langue minoritaire, peut donner matière à penser aux opposants ou indifférents et finir un jour par conduire certains d’entre eux à réviser leur jugement si expéditif.
A minima la langue bretonne sert à comprendre et prononcer correctement les noms de lieux et de personnes. Les panneaux bilingues font comprendre aux gens d'ailleurs et à ceux d'ici qui voudraient l'oublier qu'ils sont en Bretagne brittophone (ou bretonnante selon l’appellation traditionnelle), c’est-à-dire en "Breizh Izel".
Connaître le breton permet de comprendre et d'apprendre des chants bretons anciens ou contemporains et de suivre une émission de radio ou de télévision en breton. Ces émissions, font découvrir un grand nombre d'évènements culturels bretons qui ne sont pas publiés par les radios-télévisions en français et la presse locale en français. Elles présentent aussi des interviews de gens brittophones extraordinaires dont le vécu en Bretagne ou ailleurs n’est guère évoqué dans les medias francophones.
La langue est l’un des éléments fondamentaux de l’identité culturelle d’un peuple, le peuple breton en l’occurrence, qu’il s’agisse du breton ou du gallo. Pour ce qui concerne le breton, l’expression "Hep brezhoneg, Breizh ebet" (sans le breton, pas de Bretagne), chantée par Alan Stivell reste d’actualité et on peut la transposer au gallo désormais mieux mis en lumière par ses militants. Il convient donc de réparer l'erreur de nos grands-parents et parents qui ont abandonné la transmission de leur langue, influencés par un jacobinisme persistant et contraignant.
Ils ont cru favoriser l’avenir de leurs enfants alors que tous les linguistes signalent que la connaissance précoce de la langue locale aussi bien que de la langue générale développe grandement l’apprentissage de différentes autres langues. N’avons-nous pas l’exemple, pour ne citer que celui-là, du Luxembourg où trois langues, le luxembourgeois, l’allemand et le français, sont parlées par la population sans aucun conflit linguistique ?
Personnellement, au fur et à mesure que j'ai appris le breton j'ai pris conscience d'un monde breton culturellement riche et plus ou moins résistant à l'assimilation, qui vit en parallèle au monde breton francisé.
Il y a des portes d'accès au monde bretonnant, mais encore faut-il avoir envie de les chercher. Ce n'est pas parce qu'on va danser dans un fest-noz ou assister à un récital de Nolwenn Korbel, Denez Prigent ou Alan Stivell qu'on va accéder à ce monde culturel et linguistique à redécouvrir. Mais comment créer des portes d’entrée, ménager des moments d'accueil conviviaux, nouer des liens chaleureux pour les gens qui y sont disposés ?
Quant à moi qui ai longtemps vécu hors de France et parle ainsi couramment anglais et allemand, la première fois que je suis rentrée en Bretagne en 1981, je suis allée à la librairie "Ar Bed Keltiek" de Quimper pour m'acheter un disque d'Alan Stivell et j'y ai aussi acheté des livres d'histoire de la Bretagne, qui sont essentiels pour comprendre l’identité de ce pays et de ses habitants, car il faut savoir d’où l’on vient pour comprendre qui l’on est et où l’on va.
Si à ce moment j’avais su qu’il y avait à Quimper des cours de breton en dehors de l’école et de la fac, j’y serais allée avec joie et j’aurais rencontré d’autres Bretons ayant comme moi la volonté de vivre leur identité bretonne.
Autrement dit, exposer des livres sur des rayons de librairies ou de stands est nécessaire mais pas suffisant. Il faut échanger et inviter les gens à entrer dans le monde culturel breton.
Mais de nos jours, existent différentes possibilités pour se familiariser avec le breton ou développer ses connaissances, lentement au début peut-être, mais sûrement si l’on reste persévérant, la motivation aidant. De nouvelles méthodes pour apprendre le breton sont apparues, des plus pédagogiques et efficaces. Il s’y ajoute les cours du soir réguliers, les stages de formation, les stages d’été, les cours à distance en ligne comme (desketa.bzh), les vidéos de (brezhoweb.bzh), les causeries d’associations où chacun peut s’exprimer à son rythme ou participer à des activités en breton (randonnées, conférences, activités pratiques) et des spectacles de théâtre en breton. Il y a aussi une véritable littérature contemporaine bretonne.
Même des parents non brittophones choisissent des écoles Diwan, non pas "pour faire chic", mais parce qu’ils savent que leurs enfants auront une plus grande ouverture d'esprit et une meilleure capacité de comparer et de raisonner. Ils savent aussi que les enfants comprendront mieux ce qu'est l'identité de la Bretagne et s'y attacheront d’autant plus qu’ils en auront découvert le patrimoine linguistique. Par là même, ils seront portés à agir pour son développement et illustreront ainsi le lien fécond entre économie et culture."
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