Certains faits récents nous renvoient aux pages les plus sombres de notre histoire. C’est la raison qui me pousse à rappeler ici que l’histoire repasse souvent les plats et que nous gagnerions à nous méfier. Ne considérons pas certains faits à la légère, et je regrette que tant d’autres, qui auraient toute légitimité à s’exprimer, préfèrent se taire. Après tout, nous savons à présent que la démocratie n’est pas éternelle, qu’elle est menacée de toute part dans sa capacité à maintenir des institutions libérales, à prendre en compte les droits des minorités et des plus faibles. Quant à la Bretagne, il n’est pas écrit que le chemin vers l’émancipation progressive de notre peuple breton sera celui que nous emprunterons. Le principe d’émancipation du peuple breton s’est retrouvé désamorcé par quinze ans de belles promesses socialistes. Le temps du recul est peut-être venu, au moins sous la forme technocratique avec la réforme Blanquer qui réduit nos langues au statut de langues mortes, alors même que Mr Le Drian n’y voit aucun souci et a choisi de rester Ministre. Mais d’autres nuages pointent à l’horizon. Il suffit de savoir entendre.
La bête hideuse nous menace. Certains propos tenus récemment par Gilles Pennelle, le représentant du rassemblement national, devraient nous émouvoir en ce qu’ils nous ramènent aux temps d’avant la révolution nationale de Pétain, aux temps des ligues, à l’époque où la droite antisémite aspirait à la vengeance, à la grande lessive… Au sujet des manifestants de gauche qui s’opposent à la venue de Marine Le Pen à Brest, « On s’en occupera particulièrement quand on sera au pouvoir, c’est-à-dire très prochainement et on les mettra hors d’état de nuire » affirme Gilles Pennelle. Dérapage verbal ? Je pense qu’il livrait là sa véritable pensée, la haine dans le cœur à l’encontre de tous ceux qui s’opposent à l’avènement du monde selon Le Pen, c’est-à-dire du monde où les hommes et les femmes n’ont plus qu’une seule tête, conforme à l’idéal parisien, et si possible une seule couleur. Gilles Pennelle ne nous a pas dit comment il mettra hors d'état de nuire de simples manifestants usant de leurs droits reconnus constitutionnellement. Dommage ! Il faut comprendre que Gilles Pennelle et ses amis s’occuperont de tous ceux qui ne partagent pas leur idéologie. Ils s’occuperont donc aussi de nous, les défenseurs de la Bretagne. Et bien soit, nous serons au rendez-vous, car c’est la seule manière de lutter contre ces dérives. Je m’étonne que de tels propos n’aient pas suscité de plus vives réactions. Même les esprits sont anesthésiés de nos jours.
Une autre menace non moins réelle est celle que je nomme « le retour des coupeurs de têtes » . Eux aussi ont choisi de réduire hors d’état de nuire tout ce qui n’est pas conforme à leur idéologie laïque et franchouillarde. « La libre pensée » et leurs amis de la France insoumise, s’en prennent ici à un calvaire qu’il faut détruire à Plorec-sur-Arguenon , et là, à nos vieux saints bretons au point de solliciter une nouvelle dénomination pour Saint-Brieuc, expurgée de son histoire : Port Brieuc. Ces gens-là poursuivent l’œuvre de Robespierre, en se servant des lois et des élections municipales, mais c’est toujours le même but, éradiquer tout ce qui déroge et surtout cette vieille culture bretonne qui n’a d’autre tort que sa différence au regard de la norme nationale, et avoir, il est vrai, un lien historiquement fort avec le catholicisme. Leurs dégâts sont encore visibles partout dans nos Eglises et nos chapelles, à la vue de ces têtes de saints décapités. Faudrait-il encore couper les têtes, en plein 21e siècle ? Nous voici donc réduits à leur donner la même leçon de démocratie qui consiste à accepter l’autre dans son histoire, dans son patrimoine, voire dans sa religion. Qu’on le veuille ou non, que l’on soit catholique ou non, nos vieux saints bretons participent de notre patrimoine. Il s’agit même d’une part de notre identité bretonne. Il est fini le temps où la Bretagne n’avait d’autre expression que religieuse. Elle s’est depuis longtemps émancipée de la religion, et c’est une bonne chose. Seulement, il nous reste notre histoire collective et notre patrimoine. Nos vieux saints fondateurs en font partie. Et ce sont des choses qui méritent le respect. Jamais nous ne forcerons ces messieurs de la « libre pensée » à aller à la messe, au pardon du Folgoët, de Rumengol ou à la Vallée des saints, car nous respectons les idées d’autrui. Mais nous sommes encore nombreux à les fréquenter, à chanter nos vieux cantiques en breton -quelle horreur-, et pour des raisons qui ne concernent que nous, par foi ou simple tradition. Notre vieille Bretagne est une terre de saints. C’est une part de nous-mêmes et nous y tenons.
Face aux assauts que la Bretagne reçoit et recevra de plus en plus, je suis effaré de l’absence de réaction de nos élus et de l’ensemble de la société. La Bretagne ne se réduit pas à nos langues, à la musique et à la danse. Elle dispose d’un patrimoine bien plus vaste et qui mérite d’être défendu, aussi. Nous avons trop souvent le tort de n’aborder notre patrimoine breton qu’au travers du petit bout de notre lorgnette. Ne pas s’exprimer, ne pas s’indigner, c’est laisser le champ libre aux coupeurs de têtes qui trouveront matière à s’enhardir. Méfions-nous de ceux qui veulent réduire le réel à leur dogme, à leur idéologie et abordons la Bretagne telle qu’elle est, c’est-à-dire dans son histoire et dans sa diversité. Au lieu d’être l’expression des vieilles haines, la Bretagne gagnerait à devenir le laboratoire d’une laïcité apaisée, car nous avons la chance de bénéficier encore de valeurs fortes et communes qui nous rassemblent.
J’essaie d’être respectueux des idées d’autrui, mais quand même, il faut savoir être cohérents. Si les partisans de la bête hideuse et les nouveaux coupeurs de tête n’aspirent au fond qu’à une Bretagne éradiquée d’elle-même, entièrement conforme à la norme parisienne, et si la seule pensée de notre patrimoine les fait vomir, et bien je leur conseillerais d’être fidèles à leurs convictions. Libres à eux de rejoindre Paris où ils trouveront leur eden aux trois couleurs. Car nous, nous ne lâcherons jamais rien de ce que nous sommes.
Yvon Ollivier
Auteur