Je suis indépendantiste depuis l'âge de 12 ans. Et pourtant, fils de militaire, nous n'habitions pas en Bretagne mais dans des villes de garnison un peu partout en France, en Allemagne et trois ans en Algérie pendant la guerre. Je ne suis moi-même pas né en Bretagne mais aux Sables d'Olonne.
Mon père m'avait alors donné à lire une histoire de Bretagne que j'avais trouvée passionnante. Je savais déjà à 12 ans que j'étais différent des autres Français de ma classe mais en lisant cette histoire et écoutant les explications de mon père, j'ai commencé à m'intéresser au pays de mes ancêtres même si une partie de ma famille est vendéenne. Dans les différentes écoles que j'ai fréquentées, j'ai commencé à dévorer tout ce que je trouvais sur la Bretagne et les Bretons, bien sûr les classiques de la littérature française, de Marie de France à Chateaubriand et à Renan, mais aussi tous les poètes bretons, d'Auguste Brizeux à Corbière. Quand j'avais épuisé la bibliothèque du lycée j'allais à celle de la ville.
La Bretagne devint alors pour moi un pays mythique, une sorte d'eldorado jardin d'Eden, objet de mes rêves d'enfant et puis d'ado. Mon premier contact réel avec ce pays imaginé fut un stage de voile aux Glénan que je me suis payé à 18 ans avec mes économies après mon premier boulot comme aide-cuisinier dans un restaurant. Découvrir la Bretagne aux Glénan c'est un peu comme découvrir un atoll de la Polynésie avant d'arriver en Australie. En 1968 l'archipel des Glénan était une Bretagne à l'état brut juste émergée de l'océan et d'une beauté sauvage, un archipel quasi-tropical les jours de beau temps et un déchainement des éléments les jours de tempête. Probablement l'archipel le mieux préservé de toute l'Europe atlantique. L'ensemble devrait d'ailleurs être un Parc régional.
Après une brève période gauchiste juste après mai 68, en particulier à la Gauche prolétarienne de Nancy où j'étais étudiant, période où j'ai vendu La Cause du Peuple à la porte des restos U, je suis arrivé à Rennes où j'ai commencé à militer dans le mouvement breton mouvance extrême gauche. J'ai commencé à m'intéresser au journalisme et j'ai participé au lancement du journal Gwirionez (Vérité) qui n'a dû avoir que deux ou trois numéros tout au plus. Adepte du terrain, je suis parti à Jersey ramasser les pommes de terre dans le but de faire un reportage sur les centaines de travailleurs saisonniers bretons qui partaient tous les étés y faire les récoltes.
En tant que Breton j'ai refusé le service militaire mais le certificat fait par le brave docteur GC recommandant qu'on me dispense basé sur ma personnalité n'y fit rien. Appelé sous les drapeaux en septembre 1972, j'ai déserté trois mois plus tard (1) le 13e régiment d'Infanterie de Marine. Dans mon armoire de soldat, j'y avais laissé une grammaire de Roparz Hémon et un cours de breton. J'avais en effet commencé les cours par correspondance de Marc'harid Gourlaouenn. Je viens de reprendre mes cours 40 ans plus tard.
C'est alors qu'a commencé un long exil qui durera de novembre 1972 à août 2001 soit au total quasiment 29 ans, en passant par la Belgique, la Cornouailles britannique, l'Irlande, le Canada et finalement les États-Unis où je suis resté 24 ans. Mon arrivée aux États-Unis sans papiers, en traversant la frontière avec le Canada clandestinement, ainsi que mon aventure américaine, pourraient faire l'objet d'une chronique régulière sur ABP si les lecteurs y trouvent un intérêt. Pour le moment il est important de dire que c'est lors de mon séjour dans la Silicon Valley que je suis vite passé d'un gauchisme puéril et romantique franco-breton au libéralisme entrepreneurial californien qui construisait le monde du futur sous mes yeux et générait des millions d'emplois à travers le monde. Oui, Steve Jobs, Sergueï Brin, Larry Page ou même Zuckerberg ont fait plus pour l'humanité que tous les politiques français et américains réunis. Je reviendrai sur cette philosophie californienne un autre jour ou dans un autre contexte.
J'ai eu aussi la chance d'être au bon endroit au bon moment car j'ai travaillé au début des années 90 sur le premier site web aux États-Unis et en fait le deuxième ou troisième au monde, celui du SLAC, du Stanford Linear Accelerator Center, où j'ai opéré pendant plus de sept ans un accélérateur de particules. Si j'avais été plus commercial ou plus intéressé pour devenir riche, j'aurais pu persister dans les start-up californiennes dont plusieurs sont devenues des Google, mais non, je suis rentré en France par passion pour la Bretagne, pour ajouter ma pierre à cette nouvelle Bretagne que nous construisons sur la route d'une indépendance dans une Europe des peuples.
Mon militantisme breton n'a pu reprendre qu'à mon retour en France.
J'ai alors rejoint le tout nouveau Parti Breton, un parti indépendantiste de centre droit, devenant un moment secrétaire de la section Île-de-France et membre du Conseil National.
À mon travail, comme directeur technique du site web de l'International Herald Tribune, et en lisant la PQR, le Ouest France que l'on trouve dans les kiosques parisiens, j'ai été sidéré par les pages régionales consacrées aux accidents de la route. Devant ce vide, j'ai alors réalisé qu'il fallait lancer au plus vite un webmédia breton. L'internet, cette invention du "grand satan ou du grand capitalist pig américain", selon les obédiences islamiste ou gauchiste, offrait des possibilités incroyables.
En octobre 2003, j'ai lancé avec l'aide de Ronan Le Flécher, le webmédia Agence Bretagne presse ou ABP, devenu 14 ans plus tard abp.bzh. Un site consacré uniquement à la Bretagne. À l'époque, les blogs et wordpress n'existaient pas et cela a représenté un sacré boulot, et plusieurs nuits blanches, de mettre tout ça en place.
Pour cause d'incompatibilité avec mes activités dans la presse, j'ai quitté le Parti Breton quelques années plus tard. Je me positionne aujourd'hui comme un indépendantiste breton du centre droit, en fait très proche politiquement d'un Carles Puigdemont en Catalogne, un journaliste de profession qui oui a créé l'agence catalane de Brest.
L'indépendantisme breton ou corse ou catalan ou écossais est avant tout une adhésion émotionnelle et donc irrationnelle. Ce n'est pas basé sur la logique politique, encore moins sur une idéologie. C'est quelque chose de très profond qui a à voir avec la dignité, la connaissance du passé et en particulier le sens d'une filiation avec ses ancêtres, et bien sûr un sens aigu de l'injustice.
Philippe Agouarch
(1) Condamné à 15 mois de prison avec sursis mais dispensé du service pour "soutien de famille" en 1981.