Plus souvent qu'à son tour, la Bretagne sert de punching-ball pour une partie des commentateurs. Il est très agaçant de voir fleurir des appréciations ou des prévisions totalement invérifiables et parfois reprises en boucle par des politiques ou des médias réputés sérieux. Assommer le public de noires prédictions, n'est-ce pas, le plus souvent, assommer le débat et, à la fin, n'être écouté que d'une oreille distraite ?
Deux exemples : le futur de l'agriculture bretonne et celui du transport aérien.
L'Agence Bretagne Presse a déjà montré que les médias parisiens, déstabilisés par leur incapacité à mettre une étiquette sur les Bonnets rouges (mouvement social ? jacquerie manipulée par le syndicat agricole majoritaire ? manifestation d'un esprit indépendantiste ? manipulation poujadiste ? réaction antifiscale ?) se sont perdus dans les à-peu-près et les rapprochements improbables ( voir notre article ). Comme il était question de trois usines agro-alimentaires et d'un syndicaliste agricole, un flot de remarques sur la supposée faillite du supposé «modèle agricole breton » a envahi la presse et Internet.
Les Bretons sont menacés par une marée de déjections animales, ce qui est de leur faute. Ils sont trop conservateurs pour produire quand il faut et comme il faut et, donc, s'il y a des problèmes de débouchés, c'est encore de leur faute (bis). De toute façon, ils ne savent réagir que par des actions violentes, donc, il faut les réprimer et bien leur faire entrer dans la tête, à coup de matraque, si nécessaire, que tous leurs problèmes sont toujours et encore de leur faute (ter).
Le pire de tout, selon certaines bonnes âmes, c'est qu'ils refusent de ne produire que du bio, ce qui prouve bien que tout ce qu'il leur arrive est définitivement de leur faute (quater).
Tous ces admirables discours, dont une partie est alimentée par l'inénarrable parti politique Europe-Écologie-Les Verts (EE-LV), ne sont presque jamais appuyés par aucun chiffre sur l'importance (capitale pour la France elle-même) de l'agriculture en Bretagne, sur ses nombreuses filières de production, dont quelques-unes sont reconnues de grande qualité dans le monde entier, sa recherche agronomique, ses puissantes coopératives, ni même, sur ses réelles faiblesses comme la stagnation relative de la valeur des productions au cours des 20 dernières années, un État éléphantesque, des lois obsolètes, le surendettement, ainsi que le vieillissement des exploitants. Il y a, bien sûr, des problèmes conjoncturels : quelques filières mal organisées et produisant peu de valeur ajoutée, deux ou trois coopératives à réformer, un taux encore élevé de nitrates dans les eaux de surface (mais, en baisse générale).
La Bretagne reste une terre d'élection de l'agriculture, qui a un avenir assuré, même si des crises passagères viennent des hoquets du marché mondial. Son atout essentiel est un climat océanique qui permet une agriculture sans irrigation et suffisamment de soleil pour faire pousser en abondance un riche éventail de productions. La production bio augmente, les magasins bio et les circuits courts sont en fort développement.
La hargne se focalisait sur les deux abattoirs de volailles qui semblaient menacés à la mi-2013. C'était simple : tous les aviculteurs bretons (donc tous stupides, sans doute) étaient tous tombés dans les mirages du poulet, soi-disant de mauvaise qualité, à exporter vers ces (non moins stupides) Arabes du Moyen-Orient.
On prédisait que la Bretagne allait devenir un immense cimetière d'élevages avicoles et porcins et d'abattoirs. Certains ajoutaient que c'était toute son industrie agro-alimentaire qui allait couler du fait de sa supposée courte vue. Toute cette éloquence funèbre tournait autour de trois usines en difficulté (Doux, à Châteaulin, Gad, à Lampaul-Guimiliau et Tilly-Sabco, à Guerlesquin), au milieu de centaines d'autres.
Les Bonnets rouges sont apparus en octobre et en novembre, alors même que les usines tournaient à plein régime pour remplir les chariots des acheteurs des fêtes de fin d'année, alors, imaginez les sourires que ces prédictions ineptes suscitaient en Bretagne !
François de Rugy, l'un des rares députés sérieux d'EE-LV, se laissait aller à prétendre que les porcs bretons partaient en Allemagne pour y être abattus à bas coût et revenaient y concurrencer les abatteurs. C'était faux (démontage de Patrice Moyon, dans Ouest-France du 9-12-14), mais ce bobard a été repris massivement.
Après la foire aux suppositions débiles, on a le fin mot : les deux usines de poulets export ont passé l'hiver et ont trouvé une solution au début 2014 pour l'une et fin 2014 pour l'autre. Il y a eu des pertes d'emplois regrettables, mais pas assez pour faire bondir le taux de chômage.
On doit déplorer la suppression des 800 emplois des l'important abattoir de porcs Gad, à Lampaul-Guimiliau, mais, elle est moins le résultat d'une crise profonde que de mauvaises décisions prises bien avant la chute.
L'avion a deux inconvénients : il ne marche pas à la force des jambes et il semble n'être utilisé que par des touristes en goguette qui vont se faire bronzer excessivement loin. Certains écologistes ont donc trouvé la solution à ces deux problèmes en préconisant de fermer les aéroports pour économiser du pétrole et, faisant d'une pierre deux coups, empêcher les gens de passer des vacances idiotes.
A défaut du vélo, ils préconisent le train qu'un « bon » touriste (on ignore les besoins des hommes d'affaires « coupables » d'être vendus au Capital assassin) doit donc envisager de faire Brest-Palerme ou Lille-Séville par le train. Qu'importe les dizaines d'heures, le prix et l'éventuelle nécessité de traverser la mer, il s'agit de « sauver la planète » .
En 2004-2008, ceux (surtout Les Verts) qui contestaient le transfert de l'aéroport de Nantes prédisaient l'arrêt du trafic aérien à court terme et brocardaient les doux rêveurs qui croyaient à son développement, alors que les attentats de septembre 2001 pesaient sur le moral des voyageurs. Heureusement qu'on n'a pas écouté ceux qui proclamaient que Nantes-Atlantique allait fermer par manque de clientèle d'abord et de pétrole ensuite !
Le trafic aérien mondial se porte si bien que les fabricants d'avions ont un carnet de commandes rempli à ras bord pour vingt ans et qu'il y a trop de pétrole par rapport aux besoins.
Les mêmes bricoleurs de prédictions réfutent la prévision, qu'ils pensent truquée, d'une saturation imminente de l'aéroport, arguant du fait que Londres-Gatwick et Genève ont un trafic double avec une seule piste. Caramba, encore raté ! Ils oublient qu'ils habitent dans un État dont la réglementation ne dépend pas de la logique, mais des rapports de force avec la population ou les syndicats, dont la capacité de nuisance n'est pas proportionnelle aux effectifs.
Proposer d'augmenter le nombre d'avions autorisés sur une heure (70), c'est comme demander une loi qui abaisserait les salaires de 15%. Les fanfarons font semblant de savoir comment réorganiser le contrôle aérien français. Bon courage !
Depuis 2004, l'État a donné la planification des aéroports secondaires aux régions et le vrai pilote du transfert est Nantes Métropole (600 000 habitants) qui file vers le but en arguant des consentement renouvelés du peuple électoral. Elle n'a que faire d'objections qui l'empêcheraient de récupérer un grand terrain pour des milliers de logements proche de réseaux d'égouts et susceptible de desserrer la pression démographique (+ 3 000 habitants nouveaux/an).
Son problème, hors les piqûres de guêpes des opposants, est d'être prête à l'heure et non pas de débattre d'une éventuelle rénovation de Nantes-Atlantique. Celle-ci ne pourrait se faire qu'avec plus de fonds publics, sans les collectivités non nantaises et avec l'obligation d'insonoriser des milliers de logements en cas de nouvel axe de piste ou bien, ce qui est pire, les interdictions de construction resteraient.
Les deux cents hectares à urbaniser devraient, indirectement, être pris sur les marges agricoles de la Métropole. Nantes-Atlantique n'existe virtuellement plus et tout est anticipé en fonction de cela. Les objections sur une baisse du trafic aérien sont devenues inaudibles, tant son avenir apparaît radieux et la hausse de la fréquentation inéluctable.
Que ce soit pour l'évolution de l'agriculture ou pour les projets d'équipement, on est renvoyé au vieux débat des années 70 : les minorités agissantes peuvent-elles influer sur des mécanismes de décision qui comportent, à la fois, une part d'arbitraire et de jeux d'influences, une part de réflexion, une part de coercition, mais, n'excluent pas une part de validation par une majorité silencieuse.
Certains proposent de dépasser la démocratie représentative par un système dans lequel les minorités pourraient donner leur consentement après réduction complète des divergences. Voir à ce sujet l'article du Wikipédia sur la sociocratie qui suppose cependant que toute les membres du groupe disent, en préalable, que le groupe a de l'importance pour eux.
Faire reculer sur l'écotaxe est à la portée d'une minorité, promouvoir une révolution agricole et des pouvoirs locaux est difficilement atteignable à court terme, mais, ce qui semble simple comme faire annuler un projet local, l'est moins, dès qu'on aperçoit que le jeu est beaucoup plus complexe qu'on ne le croit, à première vue.
Les prédictions catastrophiques sur des phénomènes à variables multiples se révèlent le plus souvent très peu en rapport avec la réalité constatée ensuite. Il ne semble donc pas conseillé d'en faire de trop nombreuses.
Christian Rogel
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