Chronique. Suite du journal de campagne de Jean-Charles Perazzi
Dans deux précédentes chroniques je proposais l'édification de deux statues à deux grands serviteurs de la Bretagne : Jean-Marie Kerloc'h, maire de Plogoff au moment des événements que l'on sait et René Vautier, le cinéaste. Pour notre grande poétesse Anjela Duval, je n'y suis pour rien. Mais elle aura bien sa statue, elle, inaugurée dimanche prochain au Vieux-Marché. Alleluia !
J'ai perdu le jour de notre rencontre dans sa demeure de Traoñ an Dour. Et pourtant elle a fait date dans ma carrière. Elle m'a marqué un peu comme elle a marqué le rugbyman Frédéric Michalak rencontrant les Lolos noirs de Cao Bang, au Viet-Nam.
Toute la Bretagne qui milite a poussé un jour ou l'autre la porte de son logis où son chien, allongé sur la table, un œil fermé, l'autre attentif à la présence du visiteur, suivait la conversation. Mon confrère reporter-photographe et moi étions sous le charme des propos de la vieille dame au sourire malicieux, à la voix chantante.
Elle nous parla longuement ce jour là. De la Bretagne, bien sûr, du mauvais traitement infligé à sa culture, sa langue, de sa rude enfance, de ses poèmes, de son goût de la liberté. De la terre surtout, à laquelle elle avait le même attachement viscéral que les indiens d'Amérique ont pour Pachamama qui nourrit les hommes comme une mère nourrit ses enfants. Et qu'il importe donc de respecter.
Quelques années auparavant, dans l'émission « Les conteurs », d'André Voisin, elle avait exprimé à son endroit et avec des mots simples, son sentiment profond et un regret : « On ne travaille plus avec le même amour qu'autrefois. Ça devient une sorte d'industrie. Le métier de cultivateur ce n'est pas un métier, ce n'est pas une profession. C'est une vocation. Autrefois on ne demandait pas à la terre plus qu'elle ne pouvait donner. Elle n'est plus regardée avec respect. C'est une sorte de prostituée. On en tire tout le bénéfice qu'on peut ».
Un plaidoyer plus que jamais d'actualité pour un retour à l'agriculture paysanne.
L'émission valut à Anjela un courrier de ministre et une avalanche de critiques plus élogieuses les unes que les autres.
« Anjela est la preuve vivante du tarissement de cette source paysanne d'où nous venons tous » (Le Télégramme). « Les habits noirs d'Anjela n'ont rien de triste. Ce n'est pas le deuil, mais la sagesse et ça c'est l'âge qui passe, mais pas la jeunesse » (Télérama). « Anjela Duval (…) est un personnage tout à fait étonnant et attachant » (L'Humanité). « Tant qu'il y aura des conteurs et une télévision pour les écouter, on a encore raison de croire en l'humanité » (La Tribune de Lausanne). « Comme on se sentait loin de la vulgarité commerciale, de la putasserie de bas plaisir et de faux semblants qui sont d'ordinaire à la lucarne ! » (Le Canard enchaîné). Etc.
Le soir tombait sur Traoñ an Dour. Avant de nous quitter, nous lui demandâmes évidemment de nous réciter l'un de ses poèmes.
Va micher zo bet a-viskoazh troc'hañ buzhug.
Ha komz 'ran d'am leoned 'vel pa vefent tud.
Va micher am eus kavet atav plijus,
Evel kav plijus ar pesk an dour.
Mon métier, de tout temps, a été de trancher les lombrics.
Et je parle à mes bêtes comme à des personnes.
Mon métier m'a toujours plu,
Comme l'eau plait au poisson.
Jean-Charles Perazzi