Les élections régionales achevées, déjà se préparent les élections cantonales de l'an prochain, puis l'élection présidentielle de l'année suivante. Les candidatures surgissent, les programmes s'esquissent, les coups bas pleuvent. Bref, les manœuvres politiciennes vont bon train.
Or, pour toutes les formations politiques, les élections régionales de ce printemps ont constitué un tournant. Le Front national s'est redressé (sauf en Bretagne), promis à une dirigeante moins abrupte que son prédécesseur. À l'UMP, les tergiversations des dirigeants et du gouvernement provoquent un ébranlement et suscitent des doutes, des ambitions et des rivalités. Chez les Verts, on s'affronte sur l'opportunité de constituer un parti aux ambitions plus larges qu'écologiques. Le Parti socialiste, tel Jupiter aux deux visages, montre une direction qui veut redevenir hégémonique et des présidents de région soucieux de plus d'autonomie. Les communistes se fondent dans des alliances diverses et les petites formations d'extrême-gauche chargées d'utopies s'amenuisent.
Compte tenu de ces évolutions, comment le paysage politique peut-il se clarifier ? Et comment défendre au mieux les intérêts des régions, en particulier des régions à forte identité ? À cet égard, c'est la position des deux principales forces en présence, l'actuelle majorité et le Parti socialiste, qu'il importe surtout de considérer.
Un centralisme accru
Chacun l'a maintenant perçu, pour le gouvernement l'heure est à la recentralisation étatique dans tous les domaines, même les plus minimes. On veut retirer aux présidents de région, pour la confier aux préfets, la possibilité de suspendre les allocations familiales en cas d'absentéisme scolaire. Le projet de loi sur la réforme territoriale implique de priver les régions de toute intervention dans les domaines de la culture et du sport(1). Il est prévu de transférer des collectivités territoriales à la Société du Grand Paris, c'est-à-dire à l'État, tous pouvoirs en matière de transport et d'aménagement des terrains jouxtant les gares du métro devant ceinturer la capitale… Et si l'on fait la chasse aux déficits dans les hôpitaux régionaux, on tolère qu'à Paris l'Assistance publique présente pour 2009 un déficit passé d'une année sur l'autre de 20 à 96 millions d'euros, ce qui élève sa dette à 1,873 milliard.
Les agences régionales de santé
Bien plus : nées en application de la loi Bachelot, les agences régionales de santé (ARS) constituent un exemple particulièrement éloquent de la recentralisation étatique. L'échelon régional est sans conteste le plus pertinent pour gérer la santé publique. Compte tenu de la diversité des situations dans l'hexagone, allait-on confier cette responsabilité aux régions, qui auraient adapté leurs politiques à cette diversité ? Non, c'est l'État qui prend tout en main(2).
Les ARS seront en effet dotées d'un conseil de surveillance présidé par le préfet régional. Leurs directeurs ont été nommés en Conseil des ministres et eux-mêmes nommeront les directeurs des hôpitaux. Les ARS gèreront les comptes de ces hôpitaux, l'organisation des gardes en ville, le nombre de places dans les maisons de retraite médicalisées, les alertes sanitaires. Elles recevront une partie des missions jusqu'ici dévolues aux caisses d'assurance-maladie cogérées par le patronat et les organisations de salariés.
Et déjà, s'élève le coût de cette centralisation étatique : 758 millions d'euros ont été attribués au seul fonctionnement des ARS, dont 110 millions pour la mieux servie, l'Ile-de-France évidemment, suivie par Rhône-Alpes (58 millions), Provence-Alpes-Côte d'Azur (51), Nord-Pas-de-Calais (42), Midi-Pyrénées (37), la Bretagne venant loin derrière.
On le sait et le résultat des élections régionales l'a confirmé, la résistance à la capitale par une vigoureuse décentralisation régionale constitue l'une des aspirations de nos contemporains. Devant la réétatisation en cours, les élus de la majorité regimbent. Ils ont en effet quelques raisons de s'inquiéter pour leur réélection.
Mutations en vue chez les socialistes
Dans l'opposition aussi, notamment chez les socialistes, des troubles apparaissent, mais pour des raisons différentes : d'un côté les succès enregistrés lors des élections régionales redonnent vigueur à la direction de leur parti ; de l'autre, les présidents de région, auteurs véritables de ces succès, voient leur autorité se renforcer et entendent la faire reconnaître.
Martin Malvy, président de Midi-Pyrénées, a lancé le débat : « Il faut que le PS se serve de son maillage local pour réfléchir à des thématiques qui concernent directement les régions. Nous pouvons servir à une réforme de la décentralisation… » . Gérard Collomb, président de Rhône-Alpes, s'est montré plus offensif : « Paris n'est pas la France. Il y a un décalage entre la direction du parti et les élus locaux, sociaux-réformistes en phase avec les réalités économiques et les changements sociaux. Ils sont moins dogmatiques que la direction… Il y a pas mal de socialistes déterminés à bâtir une alternative à la direction du PS » (L'Express, 24 mars).
Aujourd'hui, au PS, les présidents de région exigent de renégocier les contrats de projets avec l'État et ils lancent la bataille contre la réforme territoriale telle que la technostructure parisienne la dessine, ainsi que contre le pharaonique projet de Grand Paris. De leur côté, maints présidents d'assemblée départementale, incapables de financer les charges sociales dont l'État s'est débarrassé auprès d'eux, exigent leur dû et vont jusqu'à enfreindre la loi en présentant des budgets en déséquilibre.
Alors qu'approche l'élection présidentielle, les uns et les autres vont-ils tirer la conclusion de cette situation et entraîner leur parti dans une offensive contre la toute puissance étatique et pour une nouvelle étape de la décentralisation régionale, naguère impulsée par les lois Mauroy-Defferre ? Pour leur salut, cela semble inéluctable.
(1) D'où la récente protestation, dans Libération, de représentants du monde culturel, dont Claude Lelouch, pour qui "la mesure envisagée porterait atteinte au mouvement de décentralisation des savoirs et compétences en matière de création audiovisuelle et cinématographique qui a permis de créer des pôles régionaux d'éducation artistique et de formation au cinéma et à l'audiovisuel".
(2) Comme il a, l'an passé, pris en main le traitement de l'épidémie de grippe A. On sait ce que cette hypercentralisation étatique nous a coûté, et pour quel résultat…
Article paru dans le magazine armor sous la plume de Morvan Duhamel