Bernard Rio, journaliste et écrivain de métier, a, comme beaucoup de Bretons, un attrait vers les légendes celtiques et les anciens cultes, dont il cherche les traces. Son livre, dont le titre «Voyage dans l'Au-delà : les Bretons et la mort» résume bien le projet à deux faces. Du côté pile, il montre, avec force citations de toutes les époques, que la Bretagne a toujours été le lieu de pratiques originales, montrant une grande familiarité avec les morts, qu'ils viennent de «passer» ou justement qu'ils n'aient pas forcément réussi à passer, du premier coup dans l'au-delà. Il prolonge ainsi Anatole Le Braz et sa «Légende de la mort chez les Bretons armoricains» (1893).
Du côté face, l'auteur instruit un procès aux dernières générations de Bretons qui ont coupé les liens avec les morts et l'Au-delà, au point de ne plus être capables de les voir quand ils leur lancent des appels pour les aider à faire le grand saut. Ils ne respectent plus les traditions millénaires.
Autrefois, tous les Bretons savaient que l'Ankou, qui évoque un Hercule gaulois ou un Ogme irlandais, dieux capables de destruction ( voir notre article ), voyage en carriole la nuit pour aller ramasser les âmes et n'hésite pas à en cueillir au passage, si leurs propriétaires se promènent à une heure indue. Ils savaient aussi reconnaître les intersignes qui annonçaient les morts, ainsi que les voix plaintives ou les fracas venus des âmes qui hantaient les lieux de leur trépas, maisons, forêts ou étangs, et dont ils n'avaient pu s'éloigner. Ils entassaient, parfois, les squelettes exhumés dans les ossuaires et mettaient leurs crânes dans des petites boîtes sur des étagères. Avant l'enterrement, ils veillaient les morts, jour et nuit, quitte à faire bombance et à rire, danser ou chanter dans la pièce à côté.
Bernard Rio a recueilli des témoignages datant de moins de 50 ans auprès de personnes qui ont osé confier leurs cauchemars prémonitoires ou leurs visions, car, un mort peut envoyer un message par un répondeur téléphonique ou tout autre matériel. Il nous apprend ainsi qu'un logement de fonction du lycée de Pontivy est hanté par un moine du couvent qui se trouvait en ce lieu au XVIIIème siècle. Il rapproche la chevauchée de la déesse irlandaise Rhiannon, les récits de Dame blanche et l'auto-stoppeuse du pont de Plougastel. Il rapproche aussi la pratique du mell beniget (maillet béni), dont on frappait la tête du mort à l'emplacement de la fontanelle avec le rite identique pour les papes décédés mais le maillet est, alors, en argent.
Cette érudition et cette enquête sont accompagnées de remarques qui n'expriment pas seulement le regret d'un passé révolu. Bernard Rio déplore que les Bretons soient devenus si insensibles à la réalité de la présence des morts. Il convoque les accusés à son tribunal de papier : ils se nomment, selon les pages, le positivisme, le rationalisme et le «bazar du matérialisme» . Derrière ces mots, il y a les rationalistes qui se nomment saint Thomas d'Aquin, Descartes et Kant. Ils ont étouffé ceux que le sort des âmes en peine sur terre préoccupait, saint Augustin, saint Bernard de Clairvaux et les évêques du Concile de Trente. Il faudrait dépasser le discours de la raison et admettre la coexistence du monde visible avec un monde invisible et la relativité d'Einstein y aiderait.
Chacun pourra donc lire le livre qui lui convient : un excellent manuel d'ethnologie bretonne ou un appel à une recherche des messages de l'Invisible.
L'iconographie de l'ouvrage est tout à fait remarquable.
Voyage dans l'Au-delà : les Bretons et la mort, Éd. Ouest-France, 2013, 285 p. ISBN 978-2-7373-5809-8
Note : la peinture de Johann Heinrich Füssli (Henry Fuseli), réalisée en 1781, évoque le lien entre la cavale blanche et le cauchemar dont parle Bernard Rio.
Christian Rogel