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- Thèse -
Conclusions et perspectives nouvelles sur le Traité de 1532
Les pages qui précèdent démontrent qu'on est loin aujourd'hui encore de disposer d'une analyse claire et univoque du "Traité" de 1532 et du rattachement de la Bretagne à la France. Pour d'Argentré, même s'il n'a pas osé tirer toutes les conséquences de sa démonstration, les actes qualifiés "Traité
Par Louis Melennec pour Histoire et Identité le 7/11/05 20:13

Conclusions et perspectives nouvelles

Les pages qui précèdent démontrent qu'on est loin aujourd'hui encore de disposer d'une analyse claire et univoque du "Traité" de 1532 et du rattachement de la Bretagne à la France

Pour d'Argentré, même s'il n'a pas osé tirer toutes les conséquences de sa démonstration, les actes qualifiés "Traité de 1532" sont affectés d'un vice majeur : la Bretagne n'ayant pas consenti à être rattachée à la France, le vote des États ayant été acquis par dol et corruption, cette prétendue convention n'en était pas une : elle était nulle et de nul effet dès l'origine.

Pour Dom Lobineau et Dom Morice, le rattachement de la Bretagne fut le résultat d'un enchaînement quasi inéluctable de causes et d'effets. La Bretagne était trop faible pour se défendre plus longtemps contre un voisin devenu beaucoup plus puissant qu'elle : le Traité d'union était une sorte de fatalité historique ; dès lors, on ne pouvait que l'accepter. Si regrettable que soit cet événement aux yeux de ces auteurs, ils n'émettent aucun jugement sur la validité de l'acte juridique qui l'a formalisé, et ne songent pas à le remettre en cause ; au moment où ils écrivent leur histoire, personne n'y pense, d'ailleurs.

Pour les historiens du dix-neuvième siècle, le problème se pose encore moins. A l'exception de quelques auteurs considérés comme marginaux, le rattachement de la Bretagne à la France est rétrospectivement approuvé, considéré non seulement comme inévitable mais bénéfique, même si certains continuent à exprimer une certaine nostalgie, voire de la tristesse (La Borderie et Dupuy principalement). Le "Traité" a été appliqué pendant deux cent cinquante sept ans ; il a été suspendu par la révolution ; d'indépendante qu'elle était, la Bretagne est devenue province autonome, puis éclatée en départements et intégrée dans un même tout, la Patrie Française. Il est hors de question pour quiconque de remettre en cause l'état de fait créé par la révolution.

Les auteurs du vingtième siècle – certains d'entre eux en tout cas, des juristes principalement – élaborent une autre doctrine : non seulement le Traité fut valablement conclu, mais sa suspension par la révolution, imposée par la violence, a été illégale ; il en résulte qu'il est toujours valable. Si l'on veut que le Droit soit rétabli, il faut le remettre en vigueur. Ainsi la Bretagne retrouvera t-elle ses institutions, son autonomie, et le droit de se gouverner elle-même. A partir d'une analyse quasi identique à celle des auteurs du siècle précédent, les historiens juristes modernes en tirent des conclusions radicalement différentes.

Comment expliquer ces positions, dont certaines sont diamétralement opposées ? Le Traité de 1532 est-il un faux contrat, nul dès l'origine, ou au contraire une convention si solidement "ficelée" qu'il suffit d'un nouvel acte de volonté des parties pour qu'elle retrouve son efficacité ?

Si l'on s'interroge sur le pourquoi de ces thèses divergentes, on s'aperçoit qu'elles sont le reflet de leur temps.

A l'époque où d'Argentré écrivit son Histoire de Bretagne, la carte de l'Europe – et même du royaume – étant très mouvante, rien n'excluait que la Bretagne pût à nouveau redevenir un État indépendant, comme du temps des Ducs. La France faillit se désintégrer lors de la Ligue ; si tel avait été le cas, le duc de Mercœur et sa femme, descendante de Charles de Blois, de 1341 à 1365, eussent reconstitué le Duché à leur profit, et fussent montés sur le trône de Bretagne. L'ouvrage de d'Argentré arrivait à point, et fournissait aux ligueurs de Nantes une très brillante justification historique et juridique ; ceux-ci s'en servirent, d'ailleurs. Contrairement à ce qu'on a pu dire, d'Argentré n'était pas un écervelé, il était parfaitement inséré dans son époque.

Le contexte du dix-septième siècle est radicalement différent. Sous Louis XIV et Colbert, la centralisation a fortement progressé ; il n'est plus possible pour aucun historien de prendre le risque de constructions intellectuelles aussi hardies que celles de d'Argentré. Sans renoncer à décrire aucun des évènements qui firent la gloire de leur pays, les Bénédictins Lobineau et Morice enracinent l'histoire dans leur siècle. Leur version est la seule qui pouvait être écrite, compte tenu des pressions qui s'exercèrent sur eux, et des dangers auxquels tous auraient été exposés s'ils avaient procédé autrement qu'ils ne le firent. Destinée sinon à plaire à tous, en tout cas à déplaire le moins possible, leur œuvre était le reflet fidèle de leur environnement.

Au dix-neuvième siècle, le rattachement de la Bretagne à la France est devenu irréversible. Du moins le croit-on. Depuis 1789, la France a accaparé pour elle seule le droit de s'intituler Nation ; les peuples périphériques, qui pourtant députèrent en cette qualité aux États généraux, ont été privés de cette prérogative. La Bretagne n'est même plus une Province ; ses cinq départements ne sont plus que des fragments d'un Tout, la Patrie française, celle-ci étant de Droit pour tous les habitants de l'hexagone. La pensée étant totalement maîtrisée, il est impossible de se situer en dehors de la doctrine officielle, à moins d'être rejeté dans le monde des parias. La religion nouvelle, celle de la République Une et Indivisible est enseignée dans les écoles d'une manière unilatérale, non contradictoire. C'est l'époque où Jules Michelet peut écrire en 1846 dans le journal Le Peuple : " Le jour où, se souvenant qu'elle fut et qu'elle doit être le salut du genre humain, la France s'entourera de ses enfants et leur enseignera la France comme foi et religion, elle se retrouvera vivante et solide comme le globe". Les historiens du dix-neuvième siècle sont le produit naturel de cette éducation intellectuelle, à laquelle il n'est pas possible d'échapper ; tous y croient, car aucun autre choix n'est offert. La Bretagne est devenue une sorte de vieillerie ; elle a eu une histoire, elle n'en a plus : son sort se confond avec celui de la France. Il n'est plus temps de se lamenter sur le passé, la raison commande de le lire et de l'interpréter d'une manière sereine et optimiste. Dans cette optique, la propension à considérer le Traité d'union comme raisonné, raisonnable et juste s'explique parfaitement : on a presque atteint le stade de l'oubli et de l'erreur historique comme éléments constitutifs de la Nation, dans les termes décrits par Renan. De fait, les Bretons de la fin du dix-neuvième siècle et de la première moitié du vingtième siècle sont devenus français, à quelques irréductibles près.

Le vingtième siècle voit se désagréger de vastes ensembles territoriaux que l'on croyait solides, voire définitifs. Après les empires austro-hongrois et ottoman, c'est le tour des empires britannique, français, portugais, soviétique. Dans le même temps qu'apparaissent ou réapparaissent sur la scène internationale de nouveaux États, de petits pays se remettent à revivre leur histoire passée, et à rêver d'un nouvel avenir, davantage en harmonie avec leurs origines. On avait parlé du droit des nationalités ; on parle désormais du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Cette thèse – entre autres – facilite la décolonisation française en Afrique en 1962. A l'évidence, c'est dans ce contexte que prennent place les travaux de Jean Sicard, de Michel de Mauny et de quelques autres, qui visent à trouver une solution non violente au problème breton, qui se repose avec acuité à partir de 1960-1970. Là encore, les historiens épousent leur époque, leurs écrits ne sont pas le fruit du hasard ni d'une quelconque génération spontanée.

Si déroutantes que soient les positions des historiens bretons depuis le seizième siècle sur le rattachement de la Bretagne à la France, on voit qu'il y a dans les thèses exprimées, sinon une cohérence, en tout cas un lien évident : l'historien n'est pas seulement le photographe objectif et neutre des évènements qu'il décrit ; il est le reflet de sa société ; il met en forme ce que celle-ci ressent confusément.

Que peut-on attendre d'une nouvelle histoire de la réunion de la Bretagne à la France ?

L'histoire du rattachement de la Bretagne à la France doit-elle être réécrite une nouvelle fois ?

1. Les événements

La remarquable "Histoire de la réunion" d'Antoine Dupuy, dont nous avons parlé plus haut, s'est arrêtée à la mort d'Anne de Bretagne, en 1514. Nous avons dit notre conviction – renforcée par des conversations avec des historiens bretons – qu'en raison du tabou qui s'est instauré autour de cette période, que Jean Kerhervé désigne du joli euphémisme de période "sensible", personne n'a vraiment cherché à y voir clair ; pas plus que les historiens qui l'ont précédé et qui l'ont suivi.

Or, les archives bretonnes qui sont, jusqu'en 1532, non celles d'une Province mais d'un État, sont d'une richesse inouïe. Même s'il est vrai que le compte rendu de la séance houleuse du 4 août 1532, au cours de laquelle les États "votèrent" le rattachement à la France a disparu, comme probablement d'autres pièces importantes, la masse restante permet de reconstituer par le détail tout ce qui s'est passé durant la phase capitale qui a précédé la mainmise de la monarchie sur le Duché. Dominique Le Page a très largement ouvert la voie dans son ouvrage sur les finances et la politique de 1491 à 1547. Il suffit de compléter ce tableau, et de rebâtir tout l'édifice : cela est aisé, pour peu qu'on le veuille.

2. Le mécanisme de l'annexion de la Bretagne

Faute d'avoir dépouillé les documents originaux, on n'a pas encore "démonté" le mécanisme du rattachement de la Bretagne à la France. La relation des faits par d'Argentré, pour qui la réunion fut l'œuvre de quelques malfaisants corrompus par la France, qui acceptèrent de manipuler les États en les entraînant dans leur sillage, n'est pas satisfaisante, même si ce qu'il a relaté est vrai. Les choses furent beaucoup plus subtiles et plus progressives. A partir de la mort d'Anne de Bretagne, la monarchie française mit en œuvre, d'une manière tâtonnante certes, non concertée mais impitoyable, ce que l'on peut bien appeler une "politique d'intégration".

Tout d'abord, le "bouclier naturel" de la Principauté fut détruit : la dynastie ducale, une fois absorbée par la monarchie, la chancellerie bretonne fut fondue dans la chancellerie française ; le gouvernement breton (le Conseil) fut dépouillé de toutes ses compétences régaliennes, et transformé en un organe quasi figuratif. Le Duché, en tant qu'État, sombra corps et biens, à la manière d'un immense vaisseau naufragé, et disparut de la carte politique de l'Europe. Ce résultat fut acquis en quelques années, bien avant la mort de la duchesse Claude, qui survint en 1524.

Puis, la monarchie s'employa, par une série d'actes qui seront analysés ci-après, à dépouiller les vrais propriétaires du Duché (Claude et son deuxième fils, le prince Henry), de tous leurs droits. Cette opération n'est pas totalement méconnue mais n'a, à ce jour, été analysée en détail par personne.

Dans le même temps, par d'autres artifices – non violents, d'ailleurs – tous les compétiteurs au trône de Bretagne furent écartés, chacun en leur temps, et par les moyens les plus appropriés.

Le clergé fut gagné, sans aucune difficulté. La nomination des membres du haut clergé ayant été transférée au roi de France à la mort d'Anne de Bretagne, la monarchie n'eut qu'à attendre l'élimination, par décès, des évêques et des abbés bretons. En 1532, la quasi totalité des évêques, nommés par le roi, étaient ses sujets, ou acquis à ses intérêts.

De la même manière, tous les postes importants dans la justice, les finances, l'administration furent pourvus, à l'occasion de leur vacance, des mutations ou des créations nouvelles ou part des Français, ou par des Bretons qui avaient tout intérêt à s'entendre avec eux, pour des raisons évidentes de carrière, de prospérité financière, voire de tranquillité. La monarchie sut d'ailleurs opérer les "dosages" convenables pour que l'opération réussisse.

La noblesse, très dépendante du roi pour les carrières militaires, les promotions, les pensions, ne chercha pas à résister ; dans ce contexte, elle n'avait aucun moyen efficace à opposer ; un à un les seigneurs, qui n'avaient plus rien à attendre de la monarchie bretonne disparue, rallièrent la monarchie française, même si ce fut à regret, avec tristesse, et avec l'espoir de temps meilleurs.

Dans cette optique, on le voit, le Traité d'Union, quoi que formellement nécessaire pour parachever l'annexion, pour lui donner au moins l'apparence de la légalité, ne fut que la clé de voûte d'un édifice dont les pierres furent patiemment assemblées une à une, avec beaucoup de soin. La monarchie française, forte de l'expérience de plusieurs siècles, agit avec subtilité ; à cet égard, elle avait largement fait ses preuves d'ailleurs. Le tout se fit d'une manière si progressive et si habile que cela parut presque naturel. L'Europe ne protesta pas.

3. L'interprétation juridique

Mais cela ne résume pas toute la question, loin s'en faut. Les historiens traditionnels considèrent habituellement, devant cet enchaînement de causes et d'effets, que rien ne pouvait s'y opposer, que cette évolution était inéluctable, et que le Duché était condamné à être tôt ou tard englouti par la France. Pour eux, cette fatalité est synonyme d'acceptation. C'est ce sur quoi porte le différend avec les juristes. Il est de taille : les juristes pensent que ce qui n'est pas conforme au Droit est immoral et n'aurait pas du se produire. Si cela s'est produit, le Droit doit permettre de le détruire : un acte non conforme au droit est nul et de nul effet. Pour que les choses reprennent leur cours, il faut et il suffit que la nullité soit prononcée par l'autorité compétente, si elle existe.

Était-il normal que par des artifices pseudo-juridiques la France s'empare d'un pays, alors que celui-ci, pendant mille ans, avait lutté avec fureur et une énergie jamais démentie pour sa liberté ?

Voilà le fond du problème. Nous pensons que la théorie des contrats apporte une contribution irremplaçable et éclaire d'un jour tout à fait nouveau cette question de Bretagne qui, depuis près de cinq siècles, attend sa solution.

Nous nous emploierons, dans le présent ouvrage, à démontrer point par point, à la lumière des faits et du Droit, que ce qui fut improprement appelé "Traité" de 1532, était un leurre juridique, un montage habile destiné à masquer une réalité plus prosaïque : une annexion résolument non consentie.

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Histoire et Identité est un groupe d'historiens bretons dont le but est de restaurer la vérité sur l'Histoire de Bretagne. Le fondateur du groupe est le Dr Louis Melenec, docteur en droit et en médecine, diplômé d'études approfondies d'histoire, diplômé d'études supérieures de droit public, de droit privé, de droit pénal, ancien chargé de cours des facultés de droit et de médecine, ex-consultant prés le médiateur de la République française, ancien éléve de la Sorbonne et de l'École des Chartes de Paris.
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