Après la censure de la loi Molac par le Conseil Constitutionnel, nous sommes contraints à de nouvelles formes d’action. L’article 2 est le couteau suisse de tous les opposants à la reconnaissance des langues. Ils n’ont plus besoin de réfléchir. On parle des langues, alors on sort l’article 2.
La décision du Conseil Constitutionnel concernant le texte de loi présenté par Paul Molac et voté par les députés, va nous obliger à radicaliser nos méthodes de revendication.
Ceux qui me connaissent savent que je ne veux pas dire par là qu’il faille devenir violent. Je ne suis pas un violent, je ne l’ai jamais été et ne le deviendrai pas.
Cependant il existe des formes de revendication plus radicales que la simple contestation des arguments de l’autre, surtout quand il n’en a pas. Nous défendons des principes qui sont précieux : l’égalité des langues et des cultures, donc des hommes et des femmes. Cela signifie que, à ceux qui affirment que le français est une langue supérieure, nous devons répondre de façon claire et déterminée. Leur article 2 n’est que la constitutionnalisation d’un préjugé qui les maintient confortablement dans leur croyance que seule une langue serait capable d’exprimer des valeurs universelles.
Rappelons que les principes républicains ne leur appartiennent pas et que la langue française non plus ne leur appartient pas. Elle est mienne au même titre qu’elle est leur. Et en tant que citoyen je suis libre de la faire cohabiter, dans un équilibre qui me convient, avec l’autre langue, que ce soit l’occitan, le breton ou le basque…
Nous sommes face à un adversaire qui vit sur une ignorance forte ; celle qui existe en France concernant les questions linguistiques. C’est un pays où l’on vit sur des préjugés encore transmis de façon massive par divers canaux et intégrés par différentes générations.
On raille ceux qui, comme nous, se battent pour leur langue. Je suis bien placé pour le savoir puisque je me souviens de quelques messages et réflexions de personnes qui disaient qu’il fallait être bien stupide pour mener une action comme une grève de la faim afin d’obtenir une avancée dans le domaine de la langue occitane. : « Faire ça pour ça ! C’est idiot, franchement ! » . Et ce n’était pas la simple réflexion d’un quidam de base.
Nous avons donc la responsabilité de donner à ce combat la valeur qu’il mérite. Il faut lutter contre la déqualification permanente dont il est l’objet.
Il nous reste à déterminer les armes pacifiques mais efficaces, que nous devrons employer.
Le pire serait d’en être réduit aujourd’hui à défendre ce que nous avons construit parce que des prétendus sages se sont appuyés sur une affirmation constitutionnelle ambiguë qui laisse entendre que le français serait la seule langue républicaine. L’article 2 est en effet rédigé de façon à donner du crédit à un préjugé répandu selon lequel le français serait la seule langue pouvant porter les valeurs de la République (1)
En être réduits à défendre les écoles immersives contre une possible déclaration d’inconstitutionnalité de leur méthode pédagogique serait une régression.
Notre indignation est légitime…mais
Il est évident que cette décision du Conseil Constitutionnel est scandaleuse et injuste ! Bien sûr, nous avons raison de nous indigner de l’incapacité de la France à entrer dans un monde où les langues et les cultures se respectent !
C’est une évidence que la menace qui pèse sur l’enseignement immersif est réelle après cette interprétation de l’article 2 de la Constitution.
Mais il serait naïf de nous étonner de cette décision. Elle est dans la droite ligne de ce qui se dit et se fait depuis des décennies, des siècles même.
Vous me direz que ce n’est pas une raison. Ce n’est pas parce que l’on trempe dans sa médiocrité depuis des années que l’on doit continuer à produire ce jus infâme.
Mais que nous apprend cette décision ? Elle nous dit deux choses :
—d’abord que nous sommes dans la continuité de ce qui est dit et fait depuis de longues années,
— que la question des langues est certainement l’un des sujets les plus politiques qui existe en France.
La continuité parce que, à droite et à gauche, les préjugés ont la vie dure et que l’ignorance dans le domaine linguistique est comme une médaille que certains accrochent au revers de leur veste. Fiers de leur certitude que le français est une langue supérieure à toutes les autres. Je vous conseille de relire les plus caricaturales déclarations sur le sujet qui ont pour auteurs un certain François Fillon et un certain Jean-Luc Mélenchon ; un de droite et un de gauche. Cela éclairera ceux qui doutent encore qu’il existe des acharnés.
Rappelons que jusqu’au vote de l’article 2 de la Constitution en 1992 des dizaines de propositions de loi sont parties à la poubelle.
Le refus de les faire, ne serait-ce que débattre par les députés, est le résultat du travail de sape de personnalités de gauche et de droite. Sur ce sujet la littérature est abondante et je pourrais longuement étayer mon propos par des citations aussi croustillantes que pénibles à lire pour qui estime que les principes de liberté, d’égalité et de fraternité sont importants et essentiels.
En 1984, par exemple, c’est un certain Laurent Fabius (aujourd’hui président du Conseil Constitutionnel) qui s’opposa à toute discussion d’une proposition de loi sur les langues, pourtant promise par celui qui était président de la République : François Mittérrand. Avant eux, la droite dans les débuts de la cinquième République n’avait eu d’autre ligne de conduite, que d’enterrer toute proposition de loi qui aurait permis d’avancer.
Donc gauche ou droite : match nul, mais vraiment nul !
Puis vint 1992. C’est la date du fameux article 2 de la constitution. Un article dont gauche et droite se disputent la paternité. Les avertissements selon lesquels cet article était un article scélérat ne furent pas entendus. Quelques années plus tard certains députés, qui l’avaient défendu, reconnurent qu’il s’étaient trompés (2). Trop tard. Le mal était fait.
De toute façon cet article 2 n’était qu’une arme contre nos langues. La France savait qu’elle devait faire quelque chose pour se protéger contre la Charte Européenne des Langues Régionales et Minoritaires qui devait arriver à la signature dès la fin de 1992. L’article 2 était l’arme de destruction massive. (3)
Qui s’y opposa ? Pas la gauche, pas la droite. Seuls quelques députés et sénateurs de façon isolée eurent le courage de dénoncer cette manipulation de l’idée républicaine au profit d’une vision coloniale des langues.
Je ne citerai pas les noms de tous ceux qui ont œuvré contre nos langues. Il y en a de droite et d’autres de gauche. Et ne cherchez pas à savoir si les députés occitans ont été plus intelligents que les autres sur le sujet. Leur implantation sur le territoire de la langue occitane ne les a jamais rendus plus clairvoyants…Ce serait même parfois le contraire.
Et aujourd’hui les adversaires qui sont-ils ?
Concernant le présent il suffit, pour comprendre ce qui vient de se passer, de relire le discours du président de la République sur la langue française et la francophonie prononcé en 2018. Il était une démonstration de la faiblesse de sa pensée sur le sujet. Il déclara ceci : «Au fond, nous sommes le seul pays de la Francophonie qui ne vit qu’en français (…) Il n’y a que les Français qui n’ont que le Français » . (4)
Quant à son intervention à Villers-Cotterêt quelques mois plus tard elle atteignait des sommets d’incompétence, ce qui n’est pas grave, et de mépris, ce qui l’est beaucoup plus. Il expliquait à des enfants d’une école que François 1er avait fait une œuvre majeure avec son édit de 1539 parce que sinon nous serions dans un pays ou nous ne pourrions pas nous comprendre puisque nous parlerions tous des « patois un peu différents » ! Admirez la précision du discours.
Puis il y a notre ministre de l’Éducation qui s’interrogeait en mai 2019 devant les sénateurs avec cette réflexion qui explique son acharnement contre l’enseignement immersif. Pour le ministre cet enseignement pourrait s’assimiler une une forme de maltraitance : « l’immersif est l’unilinguisme puisque ce qu’on met derrière la notion de maternelle immersive, c’est le fait que les enfants ne parlent que la langue régionale. Déjà, d’un point de vue pédagogique il y aurait eu beaucoup à discuter autour de ça, on pourrait arriver à dire que cognitivement ce n’est pas si bon que ça, précisément si l’enfant est mis dans la situation d’ignorer la langue française. Sur le plan pédagogique, il y a une véritable question sur l’immersion » .
Alors comment s’étonner de ce qui vient de se passer ? C’était écrit. Mais cela n’enlève rien au travail réalisé par Paul Molac et à l’énergie qu’il a déployée. Jamais nous n’étions arrivés aussi loin dans un débat à l’Assemblée Nationale sur le sujet. Cependant il reste le mur, construit en 1992 et dont l’utilité pour nos adversaires se vérifie régulièrement depuis bientôt trente ans. C’est leur couteau suisse. Ils l’ont en poche dès que nous bougeons le petit doigt. C’est l’outil magique.
Il n’y a pas de sujet plus politique que la question des langues.
Rien que l’acharnement dont fait preuve le système français centralisateur, avec l’aide d’une partie de ceux qui se prennent pour le coeur de la culture française (quelques femmes et hommes de médias, l’Académie Française , une intelligentsia autoproclamée…) devrait nous convaincre que jamais sujet n’a été aussi politique.
L’idée qui consiste à vouloir faire croire que toucher à la langue c’est toucher à la République est la plus grande imposture qui nous est présentée. Ainsi, de parler occitan, breton, basque…à nos enfants, de les scolariser dans ces langues, de leur donner des prénoms avec des accents qui n’existent pas en français, serait une atteinte aux principes républicains ? Quelle est cette farce ridicule ? Comment peut-on nous prendre à ce point pour des idiots ? Croient-ils vraiment à ce qu’ils disent ?
Leur foi en la solidité de la République est bien fragile s’ils pensent qu’un accent aigu sur un « i » ou un tilde sur un « n » peut faire s’effondrer cette République.
Allons nous laisser les idéaux républicains à des fanatiques du monolinguisme ?
Nous devons faire de la politique et placer cette question au cœur du débat politique et en faire un thème de combat. Il nous appartient de bien faire apparaître cette question comme une question centrale pour l’avenir. Et pas de demi-mesure ! Pas d’alliés enthousiastes dans les seules périodes électorales qui une fois aux affaires tiédissent avec l’argument toujours brandi des « priorités » ou des « urgences » .
En effet, nous avons nous-mêmes une responsabilité dans cette affaire. Nous avons tendance à accepter que la question de la diversité des langues soit classée dans la liste des questions subalternes. C’est ce qu’on nous dit et ce qu’on nous répète et peu à peu nous intégrons cette idée. Ce ne serait qu’un débat « culturel » donc pas vital au contraire du social, de l’économique ou de ce qui touche à l’écologie. Nous acceptons beaucoup trop cette idée, dans nos associations, nos partis, nos organisations diverses. Ce combat pour les langues est noble mais surtout central pour la démocratie, la tolérance entre les peuples. Ne nous laissons pas gagner par l’idée que ce qui est culturel serait une revendication de privilégiés alors que les gens du peuples auraient besoin de pain et pas de culture. Nous serions donc les porteurs d’une revendication de nantis, de gens installés dans leur confort, ignorant ce qu’est la vraie réalité du monde. Tout cela pue le mépris du peuple et ensuite ce n’est pas parce que je suis attaché à l’outil qui m’aide à communiquer, à penser, à transmettre que je suis un privilégié nanti.
Réveillons nous ! Quand des gens vous expliquent qu’il y a des sous-langues, donc des sous-cultures, nous sommes bien loin de la démocratie dont nous rêvons et loin des idéaux républicains. Comment peut-on accepter cela de nos dirigeants politiques ?
Quelle crédibilité donner à des gens qui tiennent de tels propos et qui, à côté, plaident pour la préservation de la diversité biologique, disent qu’il faut lutter contre la destruction de la planète ? Si le futur qu’ils nous proposent passe pas l’uniformité et par la destruction de langues et de cultures jugées comme inférieures, qu’en sera t-il de l’avenir des individus ? Quand on nie l’égalité des langues et des cultures on nie l’égalité des femmes et des hommes qui peuplent cette planète.
Je terminerai en disant que si l’État français se crispe sur cette affaire c’est en raison de son impuissance dans beaucoup d’autres domaines, comme bon nombre d’États. La question de la langue reste un terrain sur lequel il peut encore faire sentir son autorité. Il l’a perdue dans le domaine économique, écologique, et nous l’avons vu sanitaire. Affirmer sa puissance de façon presque pathétique, il peut le faire en se crispant sur la langue qu’il perçoit comme son seul marqueur identitaire. Parce que c’est bien face à un adversaire obsédé par l’identité que nous nous trouvons, face à un fanatique identitaire nostalgique, qui nous refuse la double identité.
(1) Qui n’a pas hésité en citant le fameux article entre ces deux formulations : « le français est la langue de la République » et « la langue de la République est le français » . Quelle est la bonne ? C’est la deuxième, mais cela laisse penser que la République ne peut exprimer ses principes que dans une langue. Il aurait été plus clair de dire : « La langue officielle de la République française est le français » . Ce ne fut pas écrit ainsi et je fais partie de ceux qui pensent que ce n’est pas neutre.
(2)J’en ai personnellement discuté avec Yves Dollo député breton PS de l’époque ainsi qu’avec Alain Lamassourre (qui fut ministre, député et eurodéputé du Pays Basque) qui lui revendiquait une partie de la paternité de cet article. Ils ont tous deux reconnu que cet article fut une erreur dans la mesure où il a servi contre nos langues alors que ce n’était officiellement pas son objectif. Le Garde des Sceaux de l’époque, le provençal Michel Vauzelle, promettait devant les sénateurs que jamais ils ne servirait contre les langues dites régionales alors que le sénateur alsacien H. Goetschy le mettait en garde. On a vu la suite.
(3)C’est en effet en novembre 1992 que la Charte Européenne est mise à la signature des États du Conseil de l’Europe, malgré les efforts de la France pour empêcher ce texte de voir le jour. La classe politique française avait d’ailleurs déjà été prise de frayeur en 1991 par les velléités corses de reconnaissance du peuple corse et de l’officialité de la langue. Toutes les conditions étaient réunies pour que soit construit le barrage qu’est l’article 2 rédigé sous le prétexte de se protéger de l’anglais …
(4) extraits du discours prononcé le 20 mars 2018 à l’Institut de France