L'Union démocratique bretonne (UDB) va fêter ses cinquante ans d'existence, à Lorient, les 2 et 3 mai prochains. C'est la formation politique bretonne qui aura duré le plus longtemps, car l'Union régionaliste de Bretagne, fondée en 1898, ne peut être vue comme un vrai parti politique. Elle a fait éditer un livre sur son histoire à paraître sous peu
Bien que souvent dénigrée par les (faibles) formations bretonnes concurrentes, elle est admirée pour sa constance dans l'organisation, son nombre respectable d'adhérents et ses places d'élus municipaux et régionaux élus grâce à des coalitions de gauche. Pour les européennes 2014, elle a présenté sa propre liste, sans alliés officiels, mais, en l'ouvrant à des personnes non encartées.
La version de l'UDB de la « crise gauchiste » (fin 1968 jusqu'au début de 1970) peut interroger. La mise en accusation et le procès clandestin des responsables de la Section de Paris-Nord, suivi d'une pression (im)morale sur les militants sommés de signer ou de partir est décrit et apparaît comme un décalque fidèle des sales méthodes alors en vigueur à l'intérieur du Parti communiste, qui sera érigé en modèle. Dans le livre édité par l'UDB elle-même, on lit une phrase cocasse : les exclus voulaient "aligner (l'UDB) sur les thèses de Rosa Luxemburg ». La pauvre Rosa, simple journaliste à la gauche du SPD, en aurait été étonnée. Alain Le Guyader, qui est devenu depuis, professeur d'université en philosophie, n'aurait pu dire une telle énormité : il avait seulement indiqué que parmi les écrivains marxistes qui avaient parlé des relations entre entre la lutte des classes et le nationalisme, il y avait une Juive polonaise (1871-1919), devenue citoyenne allemande, qui s'était opposée à la résurrection de la Pologne. Elle se battait pour la liberté de la presse et avait prédit l'évolution des bolchéviques russes vers la dictature. La direction de l'UDB accusait d'ailleurs les Parisiens de léninisme (sous-entendu adeptes des coup de force internes), ce qui était à l'opposé de leurs convictions.
Le choc d'un nom inconnu ( « pas vu » dans la presse régionale), a été, semble-t-il, terrible pour les militants et ils ont signé des deux mains l'exorcisme, afin de ne plus jamais voir un groupe de Parisiens ( « des intellos éloignés de la réalité bretonne » ) qui leur imposerait une nouvelle religion. Les dirigeants historiques, moins crédules, étaient, avant tout, ulcérés d'avoir du concéder le poste de trésorier à Jean-Yves Guiomar, futur historien du « bretonisme » et essayiste critique du concept de nation et manigancèrent l'épuration de plusieurs dizaines de militants. Quelques anciens, outrés, s'éloignèrent, puis, revinrent au fil des ans.
L'UDB a été créée, principalement par de jeunes militants du Mouvement pour l'organisation de la Bretagne qui ne pouvaient plus travailler avec des conservateurs, dont certains étaient partisans de l'Algérie française. Le service militaire avait ouvert les yeux de quelques-uns sur la prétendue mission civilisatrice de la France dans ses colonies, même déguisées en départements. Cette expérience et un rapprochement avec la mouvance dont sortira le Parti socialiste unifié et la « deuxième gauche » apporteront l'idée que la Bretagne est une sorte de colonie et que la première étape d'une émancipation bretonne est la régionalisation, suivie d'un régime socialiste.
L'UDB réfutait l'idée qu'elle faisait partie du mouvement breton, car elle se posait en une version totalement nouvelle, soucieuse de l'avenir des masses d'ouvriers et d'employés. Elle ne se posait pas en mouvement national, mais, elle concédait, dans sa « charte », « que la Bretagne a une vocation nationale ». Elle voulait convertir la Bretagne à un socialisme de proximité et imaginait qu'elle pouvait accrocher son wagon à une gauche française qui se cherchait, avec un PCF isolé, mais puissant, une SFIO en déclin et une « deuxième gauche » en plein essor.
A cette gauche et aux électeurs, il fallait vendre le programme minimum démocratique régional (PMDR) et par un militantisme très actif drainer l'adhésion populaire, afin de doucement manger la laine sur le dos des alliés électoraux bretons.
De théorie sur la nation bretonne à venir, il n'y avait pas besoin. De stratégie à moyen et long terme encore moins. Des efforts pour théoriser le fonctionnement de la société bretonne? La vulgate socialo-communiste, surtout communiste, pouvait être achetée en kit. Rien qui ressemblât aux programmes théoriques et thématiques très élaborés et très complets des partis d'Outre-Manche, écossais et gallois, dont l'UDB célébrait les bons résultats électoraux.
Le mouvement de 1968, qui a impacté fortement l'Université de Rennes, avait mis au jour les carences, mais, la « ligne du parti » (sic) et la crispation sur le « centralisme démocratique » (re-sic) ont ont été l'équivalent parallèle et contemporain de la glaciation brejnévienne et une lecture politique émancipée et fondée théoriquement a été renvoyée aux calendes grecques.
Bordurée par une gauche française centraliste et uniformisatrice, l'UDB essayait de mettre en lumière les particularités de la société bretonne, en appuyant les revendications par l'Histoire (les « Bonnets rouges » de 1675), par la langue bretonne et par le renouveau culturel breton des années 70. Le discours social était, donc, à double fond : les ouvriers bretons sont des ouvriers comme les autres, mais, ils subissent plus d'exploitation du fait des « patrons négriers » , des bas salaires des usines décentralisées pour en faire du profit et du fait de la négation de leur culture bretonne. Un volet concernait les paysans soumis aux diktats d'un gouvernement adepte de la méthode du bulldozer (image et réalité) pour « moderniser » l'agriculture.
La montée de l'Union de la Gauche, victorieuse en 1981, provoqua une embellie passagère qui fit dépasser le millier d'adhérents, mais, le slogan « Bretagne = colonie » parut caduc et, en 1980, la notion de « bloc progressiste breton » prépare à ne pas faire de l'Union de la Gauche l'unique accès à l'autonomie, mot qui n'était pas prononcé, car, sentant le soufre. L'attrait du pouvoir réel provoqua des transferts individuels vers le PS, mais, celui-ci trahissant les promesses et accumulant les scandales, l'enthousiasme en prit un coup.
Herri Gourmelen, ancien dirigeant éminent de l'UDB, fait remarquer que, dans les années 90, lors de son « revival » qui coïncide avec le deuxième qu'ait connu la culture bretonne ( « Héritage des Celtes » , Denez Prigent, Ar Re yaouank), l'UDB a remplacé, se calant sur l'évolution du PS, les notions de lutte des classes et de socialisme qui permettrait d'accéder à l'autonomie bretonne par celles de démocratie et de Droits de l'Homme (p. 214 de l'ouvrage cité sur l'UDB). Cela lui avait fait perdre, par scission, un nombre important de militants de la région de Brest.
Un réalignement idéologique eu lieu au congrès de 2000 qui réécrit la Charte de l'UDB en avançant la notion d'institutions autonomes (art.5), remettant en selle la vocation nationale sous un autre nom. Après avoir réaffirmé le rôle primordial des organisations syndicales et d'une société solidaire, l'article 11 introduit la notion de développement durable qui préserve l'avenir de la planète. L'UDB finit par se déclarer officiellement comme un parti autonomiste.
Il s'ensuit une période de cache-cache avec les forces écologistes montantes en Bretagne, au cours de laquelle l'UDB écologise de plus en plus son discours et, constatant les convergences, finit par s'allier avec les Verts, d'autant que que le PS, surtout en Bretagne où il est fortement influencé par le Grand Orient, reste centraliste et industrialiste, tout en profitant d'une décentralisation qui laisse le vrai pouvoir aux mains de Paris.
Après 2000, l'UDB cherchera des alliances locales avec les Verts, sans toujours y parvenir. Les meilleurs résultats électoraux sont acquis en 2004 (9,7%) et en 2010 (12,2% et 17,3%), grâce à cette alliance, tandis qu'au niveau municipal, l'UDB préfère les alliances avec le PS et le PC. Aux élections cantonales, qui sont individuelles, les résultats sont généralement faibles, rarement supérieurs à 4%.
Se mettant, en travers de l'hégémonie du PS et déjouant avec l'aide d'EELV, les manipulations douteuses et le déraillement sans classe de Jean-Yves Le Drian qui, voulant imposer l'union au premier tour, avait cru malin de susciter un groupe écolo-breton fantôme, elle a conquis sa place (4 élus) au Conseil régional de Bretagne. Or, l'UDB, au contraire d'EELV, a réintégré la majorité et c'est un indice du différend latent entre une UDB écologisée et un parti qui vient de rompre une alliance gouvernemental et qui ne peut pas avoir une politique spécifique pour la Bretagne.
Parallèlement, l'affaiblissement du PS (et du PCF) au niveau électoral, dont bien peu croyaient qu'il toucherait à ce point la « forteresse » bretonne du socialisme municipal, vient d'introduire un nouveau facteur de perturbation pour l'UDB.
Bénéficiera-t'elle du jugement de vérité que procurait Saint-Yves dans sa chapelle (démolie sur ordre du recteur) du Minihy-Tréguier. « Tu pe du ? » (de quel côté est le vrai?). Car, le monde politique breton est devenu un peu instable. Les « Bonnets rouges » semblent ringardiser les belles machines pyramidales, Christian Troadec n'en fait qu'à sa tête et prend une partie de la lumière, tandis que le Parti Breton émerge un peu plus. Il est peut-être temps que l'UDB se pose à nouveau, en les adaptant à notre siècle, les questions théoriques sur lesquelles elles a fait l'impasse en 1970 et qu'elle a remplacées par des à-peu-près. En clair, deviendra-t'elle autonome?
Note :