(Rien à voir avec l'actualité immédiate, encore que…. Gant ar bed o tont, ne lavaran ket. Je n'ai pas la prétention de proposer des solutions aux difficultés économiques présentes de

(Rien à voir avec l'actualité immédiate, encore que…. Gant ar bed o tont, ne lavaran ket. Je n'ai pas la prétention de proposer des solutions aux difficultés économiques présentes de la Bretagne, ni aux différents conflits meurtriers en cours dans le monde. C'est une rêverie fraternelle que je propose aux lecteurs d'ABP.)

France 2 a diffusé le samedi 9 novembre 2013, à 13h15, un documentaire qui incitait à la méditation. C'est après avoir assisté à sa diffusion que j'ai écrit le projet du présent texte. Comme on le voit, je l'ai retenu plus d'une année ! La multiplication de bateaux chargés de malheureux en Méditerranée et les événements de Charlie Hebdo me poussent à le reprendre et à le publier. On voyait dans le film un village de Calabre où sont hébergées des jeunes filles migrantes venues d'Erythrée. Pour l'instant, c'est l'Europe qui paie pour leur accueil : 20 ¤ par personne et par jour, au lieu de 70 pour tenir quelqu'un enfermé dans le centre de transit de Lampedusa. Ça se passe si bien à Acquaformosa qu'on peut penser qu'un jour ces jeunes filles se débrouilleront toutes seules, deviendront européennes, par exemple en se mariant. C'était très émouvant de les voir se balader, faire leurs courses dans l'épicerie locale ; d'accompagner de petits enfants noirs d'autres familles à l'école (désormais sauvée près avoir été menacée) en empruntant le bus scolaire (sauvé) ; et de se réjouir avec de vieux Italiens de cet apport de sang neuf. Ils peuvent comprendre, les Calabrais : la plupart d'entre eux ont été travailleurs immigrés en France, en Allemagne, avant de revenir couler leur retraite au pays ; et ce sont des Albanais qui ont créé leur village il y a quelques décennies ! Impossible de ne pas nous souvenir que nous sommes nous aussi, Bretons, au moins culturellement, des descendants de migrants, venus au haut moyen âge de l'autre côté de la mer. (Un examen de mon ADN par la société américaine 23andMe m'a révélé que j'avais aussi au moins un Viking dans mes ascendants… l'un de ces farouches envahisseurs, massacreurs de moines armoricains ! Petra rin, mignoned, e-giz-se 'mañ ?)
En revenant au temps présent après ce visionnage, j'imaginais une Bretagne « envahie » à l'avenir par des migrants contraints à l'exil par des causes tant économiques que climatiques. Je voyais mon village léonard habité par une population majoritairement colorée ; doté de trois ou quatre restaurants, indonésien, afghan, malien ; proposant le samedi soir, en alternance, des festoù-noz et des soirées plus exotiques… Ça me plaisait plutôt ! Et ça plaisait à tous mes voisins « ensouchés », des enfants aux vieillards ! Ils sont accueillants, les Bretons, et eux-mêmes voyageurs.

Il est intéressant de prendre un peu de recul et de nous interroger sur les valeurs démocratiques, laïques ou religieuses, auxquelles nous souscrivons. Le message chrétien a le premier affirmé que tous les humains se valent. Saint Paul l'a dit avec une force sans réplique : « Il n'y a plus ni Juifs ni Grecs, […] car tous vous n'êtes qu'un en Jésus-Christ » ( Épître aux Galates, 3,28, lesquels Galates étaient des Celtes !) Quelques siècles plus tard, la Déclaration des droits de l'Homme a repris le même postulat. Alors comment s'opposer à l'égalisation des salaires sur toute la planète ou, tant que ce n'est pas le cas, au transfert de nos industries dans des pays plus pauvres ? Ils ont encore davantage besoin de développement que nous ! Le Christ et Jean-Jacques Rousseau approuveraient !
J'ai publié, il y a vingt ans, un livre de conversation avec le philosophe chrétien René Girard : Quand ces choses commenceront… (Arléa, 1994). Nous n'étions pas d'accord sur tout puisque je suis athée, mais nous étions l'un et l'autre capables d'amitié en dépit de nos différends. Girard est un penseur extraordinairement puissant, qui explique la formation des sociétés humaines, de leurs institutions, à partir du « désir mimétique » ; à partir, en somme, tout à la fois de l'admiration et de la jalousie ! Seule la passion du Christ aurait mis fin au mensonge des mythes et nourrirait toujours l'évolution présente de la planète. Si on cherche alors à faire dire au philosophe « vers quelle fin », il n'hésite pas à répondre en souriant : « peut-être l'Apocalypse ». Si tous les hommes sont égaux, il n'y a aucune raison que survive ce monde si injuste. Si un Brésilien vaut un Français, et c'est le cas, pourquoi préférer un ouvrier de Guerlesquin à son frère de Sao Paulo ?
Qu'on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas. Je ne propose pas pour autant de nous barricader derrière nos frontières. Au contraire. Je me demande « seulement » s'il ne faut pas nous préparer à des bouleversements considérables de notre environnement ; et notamment à des changements de notre Bretagne.
La faille, s'il y en a une, c'est que les morales universalistes oublient trop une dimension de l'homme, intermédiaire ente l'individu et l'humanité entière : l'identité culturelle, qu'on peut vouloir défendre aussi en faisant des poulets à Guerlesquin, pour continuer à y parler breton. Aucun État n'est moins bien outillé que la France pour envisager ce niveau. Un homme est un être pensant, parce que parlant. Pour parler, il faut une langue, laquelle est le trésor d'une communauté : mot interdit en France. Il est vrai que c'est une notion dangereuse si on s'en sert pour fermer et pour exclure. Mais sur ce terrain l'hypocrisie française est sans égale. Pour des esprits jacobins, toutes les communautés sont condamnables sauf la communauté française qui est admirable puisqu'elle représente l'humanité entière… Doctrine commune à la gauche robespierriste, à la droite bonapartiste, à l'extrême droite lepéniste.
Aux Bretons de savoir rester eux-mêmes, de « négocier leur différence », tout en s'ouvrant à celles des autres. Bon, on accepte quel pourcentage d'immigrés ? 75% ?

Michel Treguer