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Témoignage : Yann Cheun Veillard (1939-2020), une action culturelle au service de la Bretagne
ABP a justement annoncé les deux décès de militants bretons importants pour leur action culturelle qu'ont été Donatien Laurent et Yann Cheun Veillard. Tous les deux ont joué un rôle capital dans la dynamisation culturelle de la Bretagne à partir du courant des années 1950.
Par Jean-Jacques Monnier pour Jean-Jacques Monnier le 26/03/20 21:02

ABP a justement annoncé les deux décès de militants bretons importants pour leur action culturelle qu'ont été Donatien Laurent et Yann Cheun Veillard. Tous les deux ont joué un rôle capital dans la dynamisation culturelle de la Bretagne à partir du courant des années 1950.Qu'il nous soit permis ici d'apporter des précisions sur le second, et de lui rendre son identité bretonne telle qu'elle apparaissait dès le titre du livre d'hommages publié lors de son départ à la retraite de l'an 2000. Avoir travaillé avec lui pendant 45 ans ne rend pas la tâche beaucoup plus facile ! Mais la période particulière exige que l'hommage soit écrit, la présence sur les lieux des obsèques s'avérant impossible.

Ce livre aux intervenants diversifiés permet de mieux se rendre compte du rôle de YCV dans l’histoire de la Bretagne d’après-guerre. Il ne s’agit pas d’être d’accord ou pas sur les choix et les évolutions de l’homme mais de porter un regard sur son action et sur son bilan, impressionnants. Une personnalité compétente et énergique, soutenue par une équipe, peut réaliser des prodiges. On en jugera par la seconde partie de l’article.

Le livre d'hommage publié en 2001 lors du départ en retraite de Yann Cheun Veillard (nom en breton reconnu!)

Le militant conséquent

Il est à la fois d’une génération chrétienne de gauche, bretonne et anticolonialiste. On le retrouve dès 1957 au Cercle celtique de Rennes au sein d’un petit groupe qui voulait vivre ses loisirs en langue bretonne (danse, culture, conversations), que YCV avait apprise. Tous avaient bretonnisé leur prénom, puisque la loi avait interdit à leurs parents de leur donner des prénoms bretons. Pas de trace de passage aux scouts Bleimor comme on le lit parfois. Par contre, on le retrouve membre du Mouvement pour l’organisation de la Bretagne (Mob) , et au sein du mouvement où les sensibilités étaient variées, dans la fraction jeune et orientée à gauche qui publiait les “Kaieren an Emsaver Yaouank” (Cahiers du jeune militant).

C’était la guerre d’Algérie et le rapprochement entre les deux situations de domination coloniale était au cœur de leur réflexion. Une partie d’entre eux veut faire connaître ce qui se passe en Algérie et vend à la criée “Témoignage Chrétien”, qui met en évidence le comportement de certaines forces militaires françaises. L’argent des ventes était apporté à un autre militant anticolonialiste, le jeune historien universitaire Jean Delumeau (récemment décédé lui aussi).

Désireux de militer au sein du peuple breton, Yann Cheun travaille un temps dans le Morbihan dans l’entreprise agroalimentaire Le Méliner. De retour à Rennes, il est dans le groupe des 17 qui fondent l’UDB, premier parti de gauche breton de l’après-guerre. Il est donc le premier directeur du mensuel Le Peuple breton dont le 1er numéro paraît le premier janvier 1964 et dont le n° 674 est paru… en mars 2020. Le but est de sortir le mouvement breton du ghetto politique où les événements de la guerre l’avaient placé, l’intégrer au mouvement social et de l’ancrer à gauche, l’analyse étant faite que la prise de conscience bretonne passait par la gauche et réciproquement. En parallèle, Yann Cheun passe son Capes d’histoire et rédige une thèse de doctorat d’Etat sur les architectes et urbanistes à Rennes au XIXe siècle.

Un conservateur innovant !

En 1967, il devient conservateur du Musée de Bretagne en cours de réalisation et va être le “père” de ce Musée ouvert sur le monde et sur l’ensemble de la Bretagne historique, dans l’esprit des Musées des arts et traditions populaires. L’inauguration de la salle ovale d’histoire contemporaine avec de nombreux vidéoprojecteurs est une révolution pour l’époque.

C’est aussi le temps des grandes expositions itinérantes sur les 5 départements, parfois réalisées dans le cadre de l’association Buhez qui regroupe les musées bretons et dont il est l’un des fondateurs. La plus remarquée, à la veille du départ de Yann Cheun en retraite, est celle sur les Seizh Breur, bilingue, avec deux livres catalogues, dont l’un entièrement en breton. Des ouvrages qui font encore référence aujourd’hui. L’exposition, ses maquettes, ses meubles, ses objets de toutes sortes, fut une découverte pour beaucoup et suscita la réaction hostile d’un groupuscule qui y voyait- cela deviendra une habitude – un éloge du… nazisme! Rien de plus étranger pourtant à YCV et aux compétences multiples qui avaient participé à l’événement.

YCV lance aussi le musée dans une grande politique d’acquisitions sur tout ce qui concerne la vie quotidienne en Bretagne, notamment de gigantesques fonds photographiques (plus de 500 000 unités), mis à disposition après classement des associations d’éditions, pour une plus ample vulgarisation. Tout avait commencé par l’acquisition de “Brigitte”, la statue de la déesse du Menez Hom, devenue célèbre.

L’ambition était immense, mais le budget limité puisqu’il ne s’agissait que d’un musée municipal. A partir de 1977, le partenaire municipal est Edmond Hervé, que YCV a côtoyé pendant sa période d’engagement politique direct, de 1964 jusqu’au milieu des années 1970.

Pourtant, le musée a mis ses ressources à la disposition de nombreux enseignants et éditeurs, c e qui fait que le musée a beaucoup rayonné. Les éditions Skol Vreizh lui doivent une bonne partie de leur iconographie originale pour leur série historique, Le Dictionnaire du Patrimoine breton des éditions Apogée également.

Inlassable, exigeant, YCV a également fait aboutir le projet d’éco-musée de la ferme de la Bintinais, au Sud de Rennes, consacré à la vie agricole et rurale et ouvert à un large public : telle cette exposition en cours sur les pommes en Bretagne, de la production à la transformation.

A peine ce projet abouti, YCV est chargé de la coordination du Nouvel Equipement Culturel (NEC) qui porte aujourd’hui le nom de Champs Libres, avec médiathèque, salles de conférences, planétarium et Musée de Bretagne. Ce dernier, refondu par rapport au premier Musée de Bretagne, n’est pas abouti et YCV ne l’aura pas vu fini de son vivant.

Depuis 13 ans, à la suite d’un AVC, “Monsieur le conservateur” (très innovant !) avait perdu l’usage de la parole, sanction terrible pour ce grand esprit curieux et cultivé. Malgré tout, il a continué à aller chaque jour travailler au musée, comme si de rien n’était, tant que c’était physiquement possible.

Derrière ce personnage suractif, toujours en éveil, curieux de cultures du monde, amateur de voyages et finalement assez mystérieux, se cachait un esprit vif, parfois sarcastique, un sens de l’humour extrême, et un habitué de la prise de risques, professionnels (là ça fonctionnait), automobiles et cyclistes (beaucoup moins convaincants). Et aussi une personnalité très proche des humbles, supporter du Stade Rennais Football Club, un temps pratiquant de ce sport avec des membres du personnel communal de Rennes.

On aurait compris que cet article très long est en fait très court pour illustrer la vie d’un des grands bâtisseurs culturels de la Bretagne. “Lui parlait peuple breton et moi je parlais République”, résume Edmond Hervé. Evidemment, pour YCV, il n’y avait pas d’opposition entre les deux pour peu que la République soit vraiment démocratique.

PS: je reçois un message de Jean-René Le Quéau, directeur des éditions Skol Vreizh (émanation du mouvement Ar Falz). Il souligne des aspects négligés par l'article et je les ajoute ci-dessous :

"Tous les Bretons qui s'intéressent à l'Histoire et aux cultures de Bretagne ne manqueront pas de saluer sa mémoire. Nous lui devons beaucoup.

Sa vie fut bien remplie, il la consacra à sa passion d'éveiller les consciences : en participant à la création d'un parti politique, l'UDB, d'une association gallèse, d'un musée dédié aux cultures populaires de Bretagne.

Cette passion de transmettre l'Histoire et la culture des "gens de peu", paysans, marins pêcheurs, ouvriers, artisans, fut une entreprise originale, de longue haleine : collectage d'objets d'usage quotidien à une époque où il était de bon ton de les jeter à la décharge (il n'y avait pas encore de déchèterie !) ; rédactions de catalogues et d'ouvrages de références (Dictionnaire du patrimoine rennais, Dictionnaire de patrimoine breton (avec DVD !), Dictionnaire d'Histoire de Bretagne…

Faut-il ajouter qu'il fut un des premiers conservateurs des musées de Bretagne à lancer la numérisation des collections (vers 1980/ 1990), qu'il fut associé à la réflexion de ce que devait être un musée du XXIe siècle ; ce qui aboutit aux Champs libres, œuvre de l'architecte Christian de Portzamparc) et dont il fut le premier conservateur.

En définitive, il a donné aux "gens de peu", une place que l'Histoire ne leur reconnaissait pas".

Voir aussi sur le même sujet : Histoire, Musée, culture, Bretagne
Jean-Jacques Monnier est historien et écrivain.
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