- Chronique -
Opération Wuambushu à Mayotte, quelques réflexions, peuple historique et peuple juridique
La situation à Mayotte met en lumière des points de contradiction sur les notions de République, de Nation française, et de population française.
Par Émile Granville pour Action Pays de Redon le 8/05/23 11:20

L’opération Wuambushu à Mayotte met en lumière des points de contradiction sur les notions de République, de Nation française, et de population française. L’objectif du gouvernement est de s’attaquer à la délinquance et à l’immigration illégale, en procédant à des expulsions massives d’étrangers en situation irrégulière et à des destructions de bidonvilles.

Les Comores comprennent quatre îles colonisées par la France, en 1841 pour Mayotte et 1886 pour le reste de l'archipel. En 1974, un référendum pour l'indépendance s’est tenu dans chacune des îles. Dans l'ensemble de l'archipel, plus de 90% des habitants ont souhaité l'indépendance. Mais sur l'île de Mayotte, 65% de la population ont voté pour le maintien de la France. Les Comores proclament leur indépendance en 1975 et revendiquent l'intégralité de leur territoire. L'ONU donne raison aux Comoriens et « demande au Gouvernement français de se retirer immédiatement de l’île comorienne de Mayotte, partie intégrante de la République indépendante des Comores, et de respecter sa souveraineté » (Résolution 31 du 4/10/1976). La France continue donc d'administrer Mayotte illégalement selon la législation internationale. Un argument aussi évoqué pour le choix des Mahorais à rejoindre la France est le fait qu’il n’y aurait pas eu de nation comorienne avant la colonisation française, mais des peuples différents pour chacune des îles. L’intégration à la République française s’est ensuite poursuivie. Suite au référendum local de 2009, Mayotte devient département et région d'Outre-mer (DROM). En 2014, Mayotte change également de statut au niveau européen et devient une région ultrapériphérique de l'Union européenne. En parallèle, l’échec de l’indépendance de la République des Comores entraîne une immigration clandestine vers Mayotte. Les Comores n’ont profité aucunement de leur indépendance comme en témoigne le PIB par habitant en 2020 : 703 € aux Comores pour 9714 € à Mayotte (O.F. 23/04/2023).

Il y a plusieurs points de vue qui s’affrontent. Premier point de vue : les habitants de Mayotte sont des Comoriens et donc les migrants venant des autres îles de l’archipel ne sont pas intrinsèquement des étrangers. Deuxième point de vue : les habitants de Mayotte sont Français car Mayotte est un territoire français, seule la définition théorique de la République française sur ce territoire fait que les deux parties de cette population seraient de nature différente. Un troisième point de vue fait peu de cas de la population : le fait de revendiquer Mayotte pour des questions géopolitiques, une façon implicite d’avouer une situation coloniale de Mayotte, même si cela est fait au nom de la grandeur de la France. Généralement, les partisans de la République française à Mayotte font référence à la conception de la Nation d’Ernest Renan. Dans sa conférence de 1882, Qu'est-ce qu'une nation ?, Ernest Renan (1823-1892) définit la nation française comme le vouloir-vivre ensemble. C'est-à-dire une communauté d'individus qui, quelle que soit l’origine culturelle ou ethnique des individus en question, ont cette envie de faire partie d'une même entité.

Il est probable que les Mahorais français sont déjà minoritaires dans l’île. En 2017, 48 % des habitants étaient de nationalité étrangère dont 95 % de nationalité comorienne (O.F. 23/04/2023). Mais justement, les migrants étrangers qui s’installent à Mayotte veulent également ce vivre ensemble. Selon la définition de la nation française, ils seraient donc de facto Français. On voit bien que cette définition ne fonctionne pas. Une nation ne peut s’appuyer que sur l’existence d’un peuple historique. Cette distinction entre le peuple juridique et le peuple historique se retrouve en France comme clivage politique. Par exemple, Les Insoumis défendent une créolisation de la société : seule la citoyenneté compte et l’identité n’aurait pas d’importance. Au contraire, pour le Rassemblement National, une immigration massive et incontrôlée met en péril l’identité française. En fonction du point de perspective géographique, le type de nation auquel on se réfère est à géométrie variable. Les Mahorais, en dépit de leurs particularités ethniques justifieront leur appartenance à la France au nom de la nation exposée par Ernest Renan et refuseront d’être débordés par l’immigration incontrôlée d’une population qui leur est ethniquement très proche. Par contre, en France, c’est plutôt au nom du peuple historique français que l’on s’oppose à l’immigration incontrôlée.

L’objet de cet article n’est pas d’apporter un avis tranché sur la situation à Mayotte qui est devenue très complexe et par certains côtés inextricable. Je n’en ai pas la compétence. Par contre, cette situation illustre le hiatus qu’il y a en France entre le peuple juridique et le peuple historique. Pour nous, en Bretagne, notre objectif devrait être justement de faire correspondre, à plus ou moins long terme, le peuple breton historique avec une citoyenneté bretonne officielle. Faire correspondre au mieux ces deux réalités est justement la chance des petits pays comme le nôtre, la Bretagne. Sans jamais oublier que le maintien du peuple historique est la première pierre d’une citoyenneté véritable, et non pas d’une citoyenneté hors-sol et fourre-tout qui déracine les peuples.

Emile Granville, le 8/05/2023

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