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- Chronique -
Liberté, égalité, fraternité, ou la mort !

"l'état-nation a rendu les peuples superflus" (Friedrich Sieburg) La devise française Liberté Egalité Fraternité charme le poète planplan et le cerveau superficiel. Voila une formule qui ne veut rien dire et

Jean-Pierre Le Mat pour ABP le 5/02/13 21:11

"l'état-nation a rendu les peuples superflus" (Friedrich Sieburg)

La devise française Liberté Egalité Fraternité charme le poète planplan et le cerveau superficiel. Voila une formule qui ne veut rien dire et prétendant tout dire. C'est à la fois génial et affligeant. Très français, finalement.

Bien des esprits acérés ont bien vu qu'il n'y a, dans ce triptyque, aucune complémentarité et donc aucune vérité.

"La liberté et la fraternité sont des mots, tandis que l'égalité est une chose" (Henri Barbusse)

"… l'égalité et la liberté sont des droits, la fraternité est une obligation morale" (Jacques Attali)

"La fraternité n'a pas ici-bas de pire ennemi que l'égalité" (Gustave Thibon)

"Ils (les Français) n'aiment point la liberté ; l'égalité seule est leur idole. Or l'égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes" (François-René de Chateaubriant)

"Liberté, égalité. Ces deux principes se nuisent. Car la liberté permet le développement des inégalités naturelles." (Paul Valery)

"Autant la liberté et l'égalité peuvent être perçues comme des droits, autant la fraternité est une obligation de chacun vis-à-vis d'autrui" (Paul Thibaud)

On est prié de voir dans la formule initiale un appel sublime au sacrifice. La liberté, l'égalité, la fraternité, ou la mort ... La mort pour moi, bien sûr, si je trahis cette noble aspiration ! En réalité, cette interprétation romantique est complètement fausse. Pour retrouver la vérité de la formule, il faut remonter à sa naissance.

Elle est attribuée à Robespierre. Dans un discours imprimé mais jamais prononcé à la date indiquée, à propos de l'organisation des gardes nationales, le grand révolutionnaire propose un décret dont l'article XVI serait : "Elles (les gardes nationales) porteront sur leur poitrine ces mots gravés : LE PEUPLE FRANÇAIS, & au-dessous : LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE. Les mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux, qui porteront les trois couleurs de la nation."

C'est la Commune de Paris qui adoptera la formule. Son maire, Jean-Nicolas Pache, fait peindre sur les murs des bâtiments municipaux, en 1793 : "La République une et indivisible - Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort".

Unité, indivisibilité, mort : là, au moins, les trois termes sont en cohérence. La mort est une et indivisible.

Les deux formules jumelles "République une et indivisible" et "Liberté, égalité, fraternité", souvent fusionnées, illustrent la rencontre de deux rêves, de deux ambitions, de deux certitudes.

Le rêve de l'égalité républicaine des Jacobins y a rejoint le rêve de liberté et de fraternité universelle des Sans-culottes parisiens.

C'est aussi la rencontre de deux ambitions : celle des provinciaux venus à Paris aux Etats-généraux de 1789 et celle des révolutionnaires parisiens qui y ont vu l'opportunité de soumettre à leur pouvoir les provinces "réputées étrangères", la Bretagne de Lanjuinais et l'Artois de Robespierre.

On sait que la dictature est le fruit d'une certitude, alors que la démocratie naît souvent d'un doute. Les formules jumelles établissent une relation entre la certitude jacobine que la nation française est unique, dans tous les sens du terme, et la certitude de la Commune de Paris de représenter, à elle seule, les intérêts et les aspirations de toute la nation.

Les Jacobins voulaient une république une et indivisible, centralisée sur Paris. Les révolutionnaires parisiens se considéraient légitimes pour exercer un contrôle populaire sur un tel gouvernement. Que devenait dans cette histoire les peuples réels, le peuple breton en particulier ? Leur présence devenait inutile dans l'espace public. L'état-nation a rendu les peuples superflus, comme l'a dit si justement Friedrich Sieburg, l'auteur ironique de "Dieu est-il Français ?"

Les deux formules "une et indivisible" et "Liberté, égalité, fraternité", ensemble ou séparément, sont devenues populaires au moment de la Terreur. La première condamnait le fédéralisme. Les événements rendaient la signification de la seconde évidente pour tous : La mort pour ceux qui n'ont pas les mêmes certitudes et le même vocabulaire que les dictateurs au pouvoir. La formule a été appliquée dans toute sa logique meurtrière jusqu'au 28 juillet 1794, 9 Thermidor, date du renversement du tyran.

"Liberté, égalité, fraternité ou la mort" : peine capitale pour quiconque, après un procès d'intention sur sa moralité. Le slogan correspond à la loi des suspects, votée le 17 septembre 1793. Sont considérés comme suspects ceux "qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté, ceux qui ne pourront pas justifier, de la manière prescrite par le décret du 21 mars dernier, de leurs moyens d'exister et de l'acquit de leurs devoirs civiques ; ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme, les fonctionnaires publics suspendus ou destitués de leurs fonctions par la Convention nationale ou par ses commissaires et non réintégrés, ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou s½urs, et agents d'émigrés, qui n'ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution, ceux qui ont émigré dans l'intervalle du 1er juillet 1789 à la publication du 30 mars - 8 mars 1792, quoiqu'ils soient rentrés en France dans le délai prescrit par ce décret ou précédemment". Sont donc suspects, d'abord ceux qui ne pensent pas comme il faut, et ensuite les pauvres.

Le 11 octobre 1793, la Commune de Paris définit les suspects d'une façon qui donne tout pouvoir aux délateurs et aux bourreaux : "Ceux qui n'ayant rien fait contre la liberté, n'ont aussi rien fait pour elle".

Dès la fin de la Terreur, la formule "Liberté, égalité, fraternité" fut immédiatement amputée de sa menace "ou la mort". Le plus souvent, elle fut tout bonnement retirée des façades et des discours. Cette réaction générale montre bien qu'elle était associée à la dictature. Elle était son mot d'ordre.

Les deux formules "une et indivisible" et "Liberté, égalité, fraternité" disparaissent pendant une cinquantaine d'années, avant d'être revendiquées à nouveau ici et là. En 1848, les deux formules réapparaissent ensemble, et disparaissent ensemble quelques mois plus tard. Elles sont présentes de nouveau en 1871 à Paris, et se fixent durablement sur les monuments publics sous la Troisième république.

Le slogan "République une et indivisible", en vieillissant, a perdu son « une » dans l'article premier de la Constitution française. En revanche, le triptyque « Liberté, égalité, fraternité » fait partie de la légende dorée de la France républicaine. On a oublié son odeur de sang et de mort. La menace qui y était attachée est écartée, niée, perdue. La double certitude jacobine et parisienne est maquillée en idéal démocratique universel. Le temps d'une coagulation, le poète planplan et l'esprit superficiel s'émerveillent à nouveau devant cette saillie génialissime.

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Cet article a fait l'objet de 2688 lectures.
Vos 8 commentaires
  Christophe David
  le Mercredi 6 février 2013 21:23
M. Le Mat,
C'est marrant. Ce texte sur votre (excellentissime!) site contreculture.org sonne juste, alors qu'ici, il sonne creux.
Parce que l'autre site fait la part belle à l'Histoire, à la culture et à l'esprit critique, lorsqu'on y découvre ce texte on retient essentiellement les éléments d'Histoire que vous nous exposez, et on s'attache beaucoup moins aux conclusions que vous en tirez.
Quand on lit ce même texte sur bretagne.com, plus axé sur l'actualité c'est au contraire le coté "critique" de votre texte que l'on perçoit (par rapport à la devise nationale de la France) et votre sujet parait du coup plus "dérisoire". S'il est intéressant en effet de connaître l'histoire de la devise L.E.F (en l'occurrence on peut parler de mise en bière), on peut aussi se dire que si le dernier terme de la devise originale a été supprimé, c'est que le pays qui avait fait sienne cette devise avait changé.
PS: Pardon pour les fautes, j'écris depuis une tablette.
(0) 
  Marcel Texier
  le Jeudi 7 février 2013 08:46
Superbe ! A diffuser sans modération !
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  Yannig BARON
  le Vendredi 8 février 2013 11:26
Pour bien comprendre la devise de la France il suffit de remplacer les virgules par des points et alors tout est clair.
Liberté (point) Egalité (point) franternité (point)
Et bravo pour la qualité des analyses de Jean Pierre Le Mat.
(0) 
  Yann-Ber TILLENON
  le Vendredi 8 février 2013 21:48
Setu ur gentel a-zoare a-zivout an istor ! Fenozh e komzen diwar de benn, Jean-Pierre Le Mat, gant va c'heneil Yeun Gourves. Kontañ a rae din penaos en deus da skoazellet evit bezañ dieubet p'edos en toullbac'h war-dro tregont vloaz 'zo !... Setu un dra a zo en istor "Breizh" ha neket en istor "Frañs" !...
An daou zanvez-diazez eus stummadur an emsaverion eo ar yezh hag an Istor, rak diazez an Emsav e-unan ez int.
Kentañ pazenn an Emsav eo ar brezhoneg. Kentañ tra a ra an deskad emsaver eo diazezañ e vuhez e brezhoneg, adfurmiñ e brezhoneg kement moul-lavar a zo ennañ. An eil pazenn eo an Istor. Pal an deskad emsaver eo diazezañ e vuhez en Istor, adfurmiñ en Istor kement moul-ober a zo ennañ.
Dont d’ar brezhoneg n’eo ket hepken degemerout mennozioù war ar brezhoneg ; heñveldra, dont d’an Emsav n’eo ket hepken degemerout mennozioù war Vreizh. Evel ma ranker bezañ deskad war ar yezh, e ranker ivez bezañ deskad war an Emsav : ur vicher eo da gentañ an Emsav, rak ar pezh a zesker da gentañ evit bezañ emsaver n’eo ket mennozioù met un ober.
Deskiñ a reer an Emsav evel ober dre e zeskiñ evel Istor. Al lakadenn-mañ a c’houlenn spisadurioù, rak n’eo ket fraezh bepred ster ar ger Istor er speredoù. Daou zoare zo da gompren an Istor, ha ret-mat eo diforc’hañ :
– an Istor a anavezer evel darvoudoù na gemerer ket perzh enno ; an hanez eo ;
– an Istor evel m’en anavez an emsaver, da lavarout eo unan a gemer perzh en darvoudoù.
Den eus ur mare eo an istorour, pezh a lavarer c’hoazh : emañ an istorour en Istor. An hanezour avat a ra evel pa ne vije ket en Istor, evel pa vije o plavañ a-us dezhañ er-maez eus an amzer. An tun-se a ranker kemer d’o aozañ zo si bras an hanezioù.
Daoust ma fell d’an hanezourion teurel war an Istor sell an dreamzerelezh, e tleer bepred lakaat an hanezioù en Istor en-dro, evel frouezh {106}spered ur mare.
D’an emsaver ez eo an Istor oberoù, ha da gentañ an oberoù ma kemer perzh enno. E-se ez eo disheñvel-krenn an Istor anavezet gant an hanezour hag an Istor anavezet gant an emsaver :
– evit an hanezour, ez eo an darvoud un arvest, un danvez da zanevellañ, amzeriet dre ret en tremened ;
– evit an emsaver, ez eo an darvoud un ober, un danvez da seveniñ ; ober dec’h a vez adkemeret gant ober hiziv, ha dre-se ne reont nemet unan : tremened an Emsav a chom bezant en endon an Emsav-bremañ, – en doare end-eeun ma chom e labour tremenet e daouarn ar micherour, e stumm ur skiant hag ur galloud prest bepred da dalvezout.
An emsaver ne zianavez ket darvoudoù an tremened evel m’o danevell an hanezour, – o anaout a ra evel tu diavaez an ober tremened, evel rusk ar gwrizioù taolet en tremened gant an ober-bremañ.
Boas eur d’ober un istorour eus an hanezour. Muioc’h a abegoù a ve da reiñ an titl-se d’an emsaver, rak eñ ne zisrann ket an ober diouzh an anaout. An hanezour a zibourc’h an anaout eus e zilhad-labour, ha goude lakaat warnañ ur gwiskamant bourc’hiz e c’houlenn digantañ « ober Istor evit an Istor », evel ma reer ivez « Arz evit an Arz ».
An emsaver n’eo ket un tourist en Istor, met ur micherour eus an Istor.
(0) 
  Jacques Lord de La Ragotière
  le Samedi 16 février 2013 20:10
En fait il s\\\'agit d\\\'une devise maçonnique....la République Une et Indivisible...
(0) 
  eugène Le Tollec
  le Dimanche 17 février 2013 16:33
M.Le Mat
Une seule question
Faut-il revenir sur certains acquis intellectuels de la Révolution?..
et sur certaines théories déviées de ces principes qui ont fleuri durant la seconde moitié du XXsiècle( voir diversité -Multiculturisme - Mixité).
Je pense que oui(voir la reprise en main des hollandais )
Faut-il revenir sur le principe de laïcité?
(0) 
  jean-claude even
  le Vendredi 1 mars 2013 23:05
Dans la suite logique du propos, il y a la Terreur, c'est-à-dire la mise en place d'un système d'extermination systématique, non seulement des combattants, mais aussi des membres de leurs familles, y compris enfants, femmes et vieillards. Et toujours dans cette suite logique, il y a la notion de "sang impur", qui est une véritable injure à l'humanisme et aux Droits de l'Homme. Aujourd'hui, cela est passible du tribunal international pour crimes contre l'Humanité.
Jean-Claude EVEN.
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  SPERED DIEUB
  le Samedi 2 mars 2013 11:54
Sans vouloir me faire l'avocat du diable voici un lien sur le jacobinisme , quelle aurait été la position de La Chalotais homme des lumières dans la logique du futur club breton et défenseur des libertés bretonnes s'il avait ait vécu au moment de la révolution ???? La question est fondamentale encore aujourd'hui car l'idée d'émancipation de la Bretagne peut être dévoyée par des personnes qui sont dans la logique de l'ancien régime et la noblesse bretonne surtout la haute a sa part de responsabilité du fait de son intransigeance dans la succession d'évènements tragiques qui vont suivre à compter de 1789 ,ce n'est pas un hasard si cette révolution a débuté en Bretagne .En 1788 le tiers état breton défendait encore bec et ongles les libertés bretonnes dans la logique de la révolte des bonnets rouges que s'est t-il passé ensuite ??? Je n'en veux point aux descendants de la noblesse bretonne pour autant car il se peut comme beaucoup que je m'en voudrais à moi même. Les révolutions c'est toujours le même refrain il n'y a qu'à voir celle du moyen orient aujourd'hui les nouveaux maitres finissent par devenir pire que les anciens c'est aussi réalité de la nature humaine
http://revolution-francaise.net/2006/03/02/29-centralisme-jacobin-vraiment
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