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Les fiancés d'Anne de Bretagne
Un auteur a dit plaisamment qu'Anne de Bretagne fut, de son temps, la "petite fiancée de l'Europe". Cette formule, si l'on entend par là qu'elle eut de nombreux prétendants, traduit une réalité certaine. La situation géographique et stratégique peu commune de la principauté, le prestige de sa vieille dynastie, ses atouts exceptionnels dans le contexte international d'alors — notamment son commerce et sa flotte — expliquent qu'il en a été ainsi.
Par Louis Melennec pour Histoire et Identité le 6/01/08 7:51

Un auteur a dit plaisamment qu'Anne de Bretagne fut de son temps la « petite fiancée de l'Europe ». Cette formule, si l'on entend par là qu'elle eut de nombreux prétendants, traduit une réalité certaine.

La situation géographique et stratégique peu commune de la principauté, le prestige de sa vieille dynastie, ses atouts exceptionnels dans le contexte international d'alors — notamment son commerce et sa flotte — expliquent qu'il en a été ainsi.

Nous avons dit à maintes reprises que le duché est l'une des premières puissances d'Europe, avant sa destruction par la France lors des invasions de 1488 et de 1491. La situation s'aggrave brutalement par la chute de l'État bourguignon en janvier 1477. Charles le Téméraire, grand duc d'Occident, allié très puissant et ami sûr de la Bretagne, est retrouvé mort, défiguré, devant Nancy. C'est une perte irréparable pour les Bretons : le duc François II, père de la princesse Anne qui naît quelques semaines plus tard, se retrouve seul devant son ennemi mortel, Louis XI, dont les intentions maléfiques sont notoires.

Le mariage d'Anne revêt pour le duché, une importance considérable, dans un contexte devenu éminemment dangereux pour sa survie en tant qu'État souverain : il importe que l'alliance matrimoniale à venir soit la bonne, par la puissance à la fois militaire et financière du prétendant retenu par la Cour de Bretagne pour devenir le futur époux de la princesse.

Conformément aux usages du temps, le gouvernement breton élabore, dès la naissance de la princesse, des combinaisons matrimoniales multiples. Anne étant la plus riche héritière de l'époque (comme le fut Marie de Bourgogne, fille du duc Charles le Téméraire, peu de temps auparavant), les prétendants se pressent. Toutes les cours souveraines en situation de le faire se disputent sa main. Elle est promise successivement (ou simultanément, car les négociations sont secrètes), d'une manière plus ou moins officielle ou officieuse, à plusieurs princes très notables. La situation, comme on va le voir, est plus que singulière.

Sont sur les rangs :

- LE PRINCE DE GALLES, fils ainé du roi d'Angleterre (le traité est signé en 148, Anne a quatre ans !). Voir Pocquet du Haut Jussé : François II et l'Angleterre, Paris 1929, page 231).
Aux termes de ce traité, Anne épousera le prince de Galles, héritier du royaume ; sa sœur Isabeau épousera le frère cadet du prince. Si le prince de Galles meurt, son frère devenant héritier de la couronne, deviendra le mari d'Anne. En revanche, si Anne meurt, c'est sa sœur qui se substituera à elle (!).

- LE PRINCE JUAN, héritier présomptif des couronnes de Castille et d'Aragon, fils d'Isabelle de Castille et de Ferdinand d'Aragon.

- LOUIS, DUC D'ORLÉANS, neveu du roi Louis XI, cousin du roi régnant, Charles VIII. Il n'est autre que le deuxième personnage du royaume. Son jeune cousin Charles, dont il est le plus proche parent mâle, n'ayant pas d'enfant (il ne se mariera qu'en 1491), Louis est l'héritier présomptif de la couronne de France. Les négociations, secrètes, sont entamées très tôt avec la Bretagne (en 1482 semble-t-il, Anne ayant à peine cinq ans !), mais filtrent dans le public. De sorte que lorsqu'il vient à Nantes, en 1487, le duc d'Orléans est contraint de démentir publiquement qu'il poursuit un but matrimonial (voir Paul Pélicier : Anne de Beaujeu, Genève, 1882, page 127).
La singularité de la situation, est que Louis d'Orléans est déja marié. Et pas avec n'importe qui... Son épouse n'est autre que la fille de Louis XI (décédé en août 1483), la princesse Jeanne de France, laquelle, par ailleurs, est la sœur du roi régnant Charles VIII, qui n'entend pas du tout voir rompre le mariage de sa soeur. L'Église interdit d'ailleurs péremptoirement le divorce, et l'annulation d'un mariage est soumise à des conditions très restrictives, même pour les têtes couronnées. À ses proches, Louis n'a jamais dissimulé son intention d'intenter en Cour de Rome un procès en nullité, dès que les circonstances seront propices, compte tenu des conditions abominables dans lesquelles il a, par force, été uni à la fille de Louis XI, laquelle est une sainte fille, mais lourdement infirme, et impropre à lui donner des descendants, ne serait-ce qu'à cause de la répulsion que lui inspirent ses difformités physiques.

- LES DEUX FILS DU VICOMTE JEAN II DE ROHAN, François et Jean. Proche parent du duc régnant François II, le vicomte se dit descendant de Conan Mériadec, le premier roi mythique de la Bretagne armorique (dont l'existence n'a jamais été prouvée !). Il est marié à Marie de Bretagne, fille du duc François Ier. Au cas où le mariage avec Anne se réaliserait, les enfants à naître seraient donc les petits-fils de François II, et les arrière petits-fils de François Ier. Le vicomte est immensément riche. Son biographe, Yvonig Gicquel, affirme qu'il tient sous son contôle un quart à un cinquième de l'économie du duché. Les relations entre le père d'Anne et Jean de Rohan sont désastreuses. Le vicomte, invoquant l'inaptitude des princesses Anne et Isabeau à succéder à leur père, en raison de leur sexe, a d'ailleurs revendiqué publiquement pour lui-même la Couronne, avant que les États de Bretagne ne reconnaissent Anne comme seule héritière du titre ducal. Cette perspective d'une double union entre les fils du vicomte de Rohan et des deux filles du duc régnant présente de nombreux avantages ; mais il y a apparence que François II y est fortement hostile.

- LE ROI DE FRANCE, CHARLES VIII, est virtuellement sur les rangs. On en a la preuve par plusieurs documents (dont le fameux mémoire dit d'Adam Fumée, pièce extrêmement importante, car elle dévoile, bien avant l'invasion de 1488, les intentions criminelles de la France à l'égard de la Bretagne). Intentions réitérées dans un acte conservé aux Archives de Pau, signé par Charles VIII lui-même, dans lequel il est question de "la réduction totale de la Bretagne", ce qui lève définitivement toute ambiguité, s'il en subsistait.
La singularité de la chose est qu'il est quasi-marié. Par le traité d'Arras, signé en 1482 par son père Louis XI et Maximilien d'Autriche, futur empereur, il est promis à Marguerite, fille de ce dernier. La (très) jeune fiancée a été ramenée à la Cour de France ; la petite princesse est considérée par tous comme la reine putative (on l'appelle familièrement "la petite reine"). Nul n'imagine que ce "mariage par paroles de présent " puisse ne pas être consommé charnellement à l'échéance prévue, surtout pas le beau père Maximilien. Dans plusieurs documents, du reste, Charles VIII désigne Maximilien comme "Notre beau père".

- MAXIMILIEN, roi des Romains, archiduc d'Autriche, fils de l'Empereur Frédéric III, prince sympathique, courageux, bon capitaine, mais brouillon. Il a été marié à la fille unique de Charles le Téméraire, le très puissant et très riche duc de Bourgogne, la princesse Marie, avec laquelle il a formé un couple très uni, jusqu'à la mort prématurée de celle-ci, à la suite d'une chute de cheval. Ils ont eu une fille, Marguerite, dont il a été parlé ci-dessus, fiancée depuis 1482 à Charles VIII.

Les titres de Maximilien, même si certains ne représentent que des souvenirs ou des espérances (il n'est pas propriétaire effectif de toutes les possessions qu'il s'attribue dans ses actes, mais cela est une pratique fréquente de l'époque), ne manquent pas d'être impressionnants. Dans l'acte d'accréditation rédigé à l'intention des ambassadeurs qu'il délègue auprès du gouvernement breton en 1490, en vue de demander Anne de Bretagne en mariage, (Morice, Preuves III, page 661), voici ceux dont il se pare :

" Maximilien, par la grâce de Dieu roi des Romains, toujours auguste, archiduc d'Autriche, duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant, de Limbourg et de Gueldre, comte de Flandre, de Tyrol, d'Artois, de Bourgogne, Palatin de Hainaut, de Hollande, de Zélande, de Namur, de Zutphen et de Malines, marquis du Saint Empire, seigneur de Frise et de Salins, à tous ceux qui verront ces présentes lettres," etc...

- ALAIN D'ALBRET, seigneur alors considérable (il est entré dans l'histoire sous le nom d'Alain le Grand) se manifeste avec insistance et brutalité. Ses alliés en Bretagne sont importants. Il descend de deux ducs de Bretagne (Jean IV et Jeanne de Penthièvre) et a été marié à Jeanne de Bretagne. Il bénéficie d'appuis solides à la Cour ducale, étant le proche parent de Françoise de Laval — la propre gouvernante d'Anne de Bretagne — et du Maréchal de Bretagne, le sire de Rieux, personnages plus que troubles, avides, toujours prêts à trahir la dynastie légitime, malgré les bienfaits qu'ils en ont tiré. Selon les critères du temps, il est vieux (il est quinquagénaire au moment des faits), est père de plusieurs enfants légitimes (sept, dit-on), et de nombreux enfants illégitimes ; il est laid, repoussant ; c'est un vieux débauché, extrêmement ambitieux, cruel et sans scrupules. Plusieurs de ses enfants auront un destin étonnant : sa fille Charlotte épousera César Borgia, fils préféré de l'étrange pape Alexandre Borgia ; son fils Jean deviendra roi de Navarre par sa femme Catherine de Foix, héritière de son frère Phoebus.
Alain d'Albret est immensément riche (un auteur chiffre sa fortune, à un moment de son existence, à plus de dix fois le budget annuel de la Bretagne, à plusieurs fois le budget annuel du royaume de France ; ces chiffres demandent à être confirmés, mais ils en disent long sur la puissance du personnage).

- Parmi les autres candidats, on cite encore LE DUC DE GUELDRE. Sans doute y en a-t-il d'autres, qui ne nous sont pas connus.


La multiplicité et la puissance de ces candidats démontre, entre autres, qu'avant les invasions françaises de 1488 et 1491, le duc de Bretagne est un personnage considérable, son alliance étant recherchée par les plus grands, car il est l'un d'eux : de quoi faire réfléchir les jeunes Bretons d'aujourd'ui, à qui la propagande officielle a enseigné qu'ils sont fils, petits-fils, arrière petits-fils de ploucs. Sans jamais leur expliquer par qui et comment ils en sont arrivés là.

Le chassé-croisé des ambassadeurs, des négociateurs, est complexe. Il s'étale sur de nombreuses années et ne manque ni de pittoresque ni de péripéties curieuses. Le principal nous est connu, par des archives abondantes, dont toutes n'ont pas encore été mises au jour, mais qui donnent une vision claire des événements.

Docteur Louis MELENNEC, historien, docteur en droit.


II - À suivre : LES NÉGOCIATIONS DE MARIAGE AVEC LA COUR DE MAXIMILIEN D'AUTRICHE.

NOTA. Le présent travail prend place dans la réécriture de l'histoire de la Bretagne, durant la période charnière qui a précédé et qui a suivi son invasion par la France à la fin du XVe siècle, afin d'en éliminer les inexactitudes, les interprétations malveillantes, idéologiques, et surtout non informées, nombre d'ouvrages en circulation étant des recopiages plus ou moins adroits de livres antérieurement écrits par des auteurs qui, souvent, n'ont lu qu'un nombre de sources restreint, voire très restreint.
Il ne met évidemment pas en cause les recherches très sérieuses effectuées par nombre d'universitaires, notamment sur les finances ducales, le monnayage sous les ducs de Bretagne, les processus « d'intégration » de la Bretagne par le pays envahisseur (plus clairement : la digestion ou phagocytose de la Bretagne par la France, contre la volonté des Bretons, après la mort de la duchesse Anne en 1514), etc.
L'auteur est lui-même universitaire et chercheur, et sait mieux que quiconque qu'un mauvais article ou un mauvais livre contient en lui-même sa propre destruction.

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Histoire et Identité est un groupe d'historiens bretons dont le but est de restaurer la vérité sur l'Histoire de Bretagne. Le fondateur du groupe est le Dr Louis Melenec, docteur en droit et en médecine, diplômé d'études approfondies d'histoire, diplômé d'études supérieures de droit public, de droit privé, de droit pénal, ancien chargé de cours des facultés de droit et de médecine, ex-consultant prés le médiateur de la République française, ancien éléve de la Sorbonne et de l'École des Chartes de Paris.
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