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le carnet (archives familiales)
le carnet (archives familiales)
- Chronique -
Le journal d'un survivant de la bataille de Maissin
Le 22 août 1914 est le jour le plus sanglant de l'Histoire de France et aussi le jour le plus sanglant de l'Histoire de Bretagne depuis la bataille de Saint-Aubin du Cormier où 5 000 Bretons ont été tués
Philippe Argouarch pour ABP le 30/11/19 14:48
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Kléber Argouarc'h, à 18 ans juste avant la bataille de Maissin où il est grièvement blessé et fait prisonnier.

Un de mes frères a retrouvé le carnet de campagne de mon grand-père alors caporal au 19e régiment d'infanterie de Brest et âgé de 18 ans. Kléber Argouarc'h a survécu miraculeusement à la terrible bataille de Maissin en Belgique où beaucoup de Bretons ont été tués. Cela s'est passé le 22 août 1914.

Les plus chanceux ont été capturés et ont passé toute la guerre en captivité, comme mon grand-père, alors que leurs camarades ont presque tous été tués ou gravement blessés, soit à Maissin, soit au Chemin des Dames, soit à Verdun ou ailleurs, lors de cette terrible hécatombe. La guerre 14-18 fut une guerre terrible et insensée. Très éprouvé, décimé, au point d'avoir été reconstruit plusieurs fois, le 19e a participé aux mutineries de 1917.

Le 22 août 1914 est paraît-il le jour le plus sanglant de l'Histoire de France (*) et aussi sans doute le jour le plus sanglant de l'Histoire de Bretagne depuis la bataille de Saint-Aubin du Cormier où 5 000 Bretons ont été tués. Encore que le nombre de tués à la bataille du Mans en janvier 1871, quand les rescapés du camp de Conlie se sont retrouvés quasi sans armes devant les Prussiens, reste incertain. Le 22 août 1914, entre l'aube et la tombée de la nuit, pas moins de 27 000 soldats français sont tués, dont 7 000 coloniaux, à la seule bataille de Rossignol. C'était avant les tranchées. On chargeait les mitrailleuses allemandes à la baïonnette. Une vraie boucherie.

Au début de la guerre, le 19e RI de Brest, composé de Bretons du Finistère, du Morbihan, de la Loire-inférieure et de Vendéens, reçoit l'ordre de prendre le village de Maissin en Belgique avec en appui le 118e RI de Quimper centré sur Paliseul. Beaucoup seront tués (1459 tués à Maissin mais pas que du 19e RI) et le village restera aux mains des Allemands. Le village garde encore des traces des combats acharnés qui ont eu lieu dans ses rues et ses maisons. ll faut lire les récits poignants qu'en a faits Marie-Hélène Prouteau dans son livre Le coeur est une place forte ( voir l'article ) .Les noms des rues du village sont toujours Avenue Commandant de Laage de Meux, rue du 19e régiment d'infanterie de Brest, rue Henry Calvez, etc. Deux monuments en hommage aux soldats bretons et vendéens ont été érigés dans le village dont un calvaire breton qui y a été transporté.

Le Journal (première partie : jusqu'à l'arrivée à l'hôpital de Sedan)

Journal de la campagne 1914-15 du Caporal Kleber Argouarc'h blessé le 23 août à 9 h du matin au sortir du village de Messain en Belgique. (titre du carnet)

Le 22 à 10 h 30 du matin : rencontre de l'ennemi, la bataille s'engage aussitôt devant le petit village de Messain en Belgique. Nous occupons la lisière du bois à l'ouest du village.

Après 1/2 heure de fusillade, le capitaine de la compagnie ordonne la charge à la baïonnette. Nous nous élançons sur le village à 11 h et en un rien de temps nous occupons le bas du village.

Je m'engage dans le groupe qui fouille la partie sud-ouest de Messain ; une maison restant fermée nous essayons d'enfoncer la porte sans y réussir, alors par une fenêtre je rentre dans une cabane accolée à la maison. Je fais sauter la serrure de cette cabane, un camarade du dehors enfonce alors la porte d'un coup de pied, d'autres y mettent le feu afin que, s'il y a des boches dans cette maison fermée, ils y soient tous rôtis.

Ensuite le colonel essaie de faire enlever le haut du village à la baïonnette, mais le feu est trop nourri, pas moyen de traverser la rue du haut que les mitrailleuses allemandes ont prise en enfilade. Alors une ligne de feu est établie au sud-ouest du village. Toute la droite de la ligne reste sur le carreau, environ une trentaine de poilus, mais en revanche une section allemande ayant essayé de nous prendre à revers en traversant un champ découvert, il n'y en a pas dix qui en soient sortis, ils ont presque tous mordu la poussière.

Mais peu de temps après une de leurs sections de mitrailleuses ayant contourné le champ en passant sous bois commence à nous tirer dessus et les balles avec leur sifflement passent environ 1 m au-dessus de nos têtes. Avant qu'elle ait rajusté son tir, nous sommes dans le village. Quelques-uns sont tout de même blessés ou tués alors que la mitrailleuse les crible de balles, mais notre feu la fait taire et alors l'effort se porte sur le haut du village.

La 7 ème Compagnie réussit à passer et déloge les Prussiens du haut du village, mais, ayant prêté main forte, mon capitaine a été tué au début de l'action.

Le brave coeur, après avoir enlevé le bas du village, croyant enlever le haut avec la même facilité, avait continué la charge, arrivant le 1 er à la crête et à la fameuse rue prise en enfilade par le feu allemand. Voyant un Prussien, il le vise de son revolver, mais avant que le coup ne parte, une balle lui traverse la gorge, il tourne et tombe mort.

Donc le village est à nous sauf une maison qui est peut-être à 150 m à l'est, le colonel voyant ça, prend les six premiers hommes qui se trouvent sous sa main et leur donne ordre d'aller mettre le feu à cette maison, ils n'avaient pas fait 10 m qu'une volée de balles parties de la maison les fauche, 4 sont tués sur le coup. Le 5 ème, Le Jean de la 2 ème Compagnie, qui était de mon escouade à Coëtquidan, revient avec une balle dans la tête, essaie de se tenir au sergent. Le Gars penche la tête en arrière et tombe mort. Pauvre petit Gars, il me disait : " Kléber, si je tombe tu sais, il y a 40 francs dans mon porte monnaie faudra les prendre, je te les donne ". Mais ayant appris sa mort plus tard je ne le revis que le lendemain et il n'avait plus rien sur lui que je puisse porter à sa Maman.

Enfin vers 5 heures l'artillerie arrive, ce n'est pas malheureux ! L'artillerie allemande qui nous bombardait dans le village depuis le commencement de l'action ont vite fermé leur clapet quand les 75 ont parlé. Ce sont eux qui ont fait le meilleur travail à Messain. Nom d'un chien ! s'ils étaient venus au début de la bataille nous les aurions pilonnés. Enfin la nuit arrive, nous sommes maîtres du village et alors arrivent tous les régiments qui s'étaient battus aux environs de Messain.

On rassemble le régiment, on fait l'appel. Dans mon escouade 3 hommes disparus (tués probablement), 1 blessé, le pied cassé par une balle. Alors j'apprends les nouvelles : un sergent de la 2 ème compagnie est tué, quelques hommes et le capitaine.

L'ordre est alors donné au 19 ème d'occuper le village et de le préparer à la défense pour le lendemain. La 2 ème compagnie a l'ordre d'occuper le groupe de maisons situées au sud-est du village.

Moi j'ai ordre d'organiser avec mon escouade le 1 er étage et le grenier d'une maison (face à l'est). Je monte, nous faisons des créneaux dans le toit et nous mettons des matelas au 1 er étage et; après avoir fait sauter les vitres, nous faisons la même chose. Puis on s'allonge pour dormir un peu, hélas à minuit 1/2 la fusillade nous réveille aussitôt, nous nous mettons sur nos gardes mais jusqu'au matin rien que des coups de fusils par-ci par-là.

Enfin lorsque le jour eut dissipé les premières buées de l'aube, on se mit à l'observation mais rien. Nous tirons de temps en temps mais l'objectif est peu précis. À 8 heures un avion allemand vient survoler le village. Je lui tire 3 cartouches et les camarades font comme moi mais sans résultat. Nous tiraillons encore jusqu'à 9 h lorsqu'on vint nous dire de battre en retraite et que les autres régiments nous avaient quittés depuis 1 heure du matin. Des 400 hommes qui étaient dans le village, nous sommes une quarantaine à en réchapper, une véritable débâcle, l'ennemi étant au nord-est et sud, seule la route de Paliseul nous est libre.

Je m'engage dans le fossé de la route mais à peine sorti du village un feu d'enfer nous accueille. Fusil, mitrailleuse, artillerie, enfin j'arrive à faire 300 m sur la route et je m'aperçois alors que presque tout le monde est fauché et que nous ne sommes plus qu'une cinquantaine. Alors voyant une sapinière au nord de la route à 10 m tout au plus, je quitte la route pour me mettre à couvert sous les sapins mais en passant le fossé je sens comme un coup de fouet dans le côté droit, touché ! que je me dis en moi-même. Je sens alors le sang qui inonde ma poitrine mais j'étais lancé et j'ai la force de me rendre sous les sapins où je tombe et alors je vomis le sang.

Les obus arrivent toujours avec leur sifflement avant-coureur de l'éclatement, mon bidon étant plein je bois de l'eau puis je le remets à ma droite. Je retire mes équipements, place mon sac sur ma tête et à ce moment une balle d'obus vient crever mon bidon.

Dès lors plus d'eau, mais je me sens soulagé d'avoir rejeté ce sang qui m'étouffait, alors je me lève pour essayer de marcher. Chancelant d'abord, j'avance au milieu des balles que les Allemands me tirent du village qui maintenant est en leur possession. Mais ils ne s'avancent pas non plus car les 40 braves qui en ont réchappé sont à la lisière de bois et quiconque vient sortir du village pour nous poursuivre est fauché. Ils sont donc contraints à faire un mouvement, tournent vers le sud ou le nord.

Voyant le coup, les hommes se retirent et moi ayant réussi à gagner la route à l'abri des sapins, ils me recueillent. Il y a Jean Calvez qui vient me soutenir puis Cloarec qui a une éraflure de balle à la tête. Je marche soutenu par Jean qui me donne de l'alcool de menthe de temps en temps pour me ranimer et me donner des forces.

Enfin nous arrivons à Paliseul où l'on me dit qu'il faut aller à la gare, qu'un train est prêt à partir. Je me traîne encore jusqu'à la gare et là j'embrasse Jean-Louis Cloarec, ils m'aident, je monte dans le train qui part presque aussitôt. Il était temps, de nombreuses balles viennent frapper les wagons qui s'ébranlent lentement.

Je ne sais trop combien de temps je reste dans le train car je souffre beaucoup, nous sommes là entassés les uns morts, les autres râlant.

Enfin vers 3 ou 4 heures nous arrivons à Sedan. Je descends, on me panse et comme la blessure est trop grave pour me diriger sur Reims, l'on m'envoie à la Croix Rouge de Sedan (Hôpital Nassau). Là le docteur refait mon pansement et sur ma feuille marque "balle rentrée sous la pointe de l'omoplate ayant perforé le thorax, cassé la 4e côte, fait un sillon dans l'aisselle et étant sortie à la partie supérieure du muscle pectoral". Il repart en ordonnant de me piquer à la morphine si je souffrais de trop. Je passais une nuit sans sommeil, mais calme sans souffrance.

Le lendemain mon pansement est refait, le docteur me dit que ça va très bien vu que mes blessures ne suppuraient pas. Le bruit court que les Allemands vont venir, en effet l'on évacue Sedan, le dernier train c'est le mardi matin à 5 h. Le médecin me déclare "non transportable" ayant des craintes que je meure dans le train, alors les quelques blessés restants sont transportés à l'hospice civil à Sedan.

(*) L'ouvrage de Jean-Michel Steg, Le Jour le plus meurtrier de l'histoire de France - 22 août 1914 (Fayard)

Voir aussi :
Cet article a fait l'objet de 1831 lectures.
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Philippe Argouarch est un reporter multi-média ABP pour la Cornouaille. Il a lancé ABP en octobre 2003. Auparavant, il a été le webmaster de l'International Herald Tribune à Paris et avant ça, un des trois webmasters de la Wells Fargo Bank à San Francisco. Il a aussi travaillé dans des start-up et dans un laboratoire de recherche de l'université de Stanford.
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Vos 2 commentaires
P Le Guern Le Lundi 2 décembre 2019 22:52
Trugarez vraz Philip evit an desten-mañ,
Un de mes grands-oncles, Vincent le Roux, soldat de 1ère classe du 118ème Régiment d'Infanterie, a été déclaré "tué à l'ennemi" le 22 août 1914 à Maissin. Son corps n'a jamais été retrouvé. Il avait 22 ans, originaire de Purid/Peumerit.
Dalc'homp soñj.
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P. Argouarch Le Mercredi 11 décembre 2019 00:14
A ce sujet si il y a des descendants de Jean Calvez ou de Jean-Louis Cloarec, j'aimerais les rencontrer pour les remercier pour l'action de leurs grand-pères car ils ont sauvé le mien..
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