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les Bretons 1870-1970 chez Michel Lafon.
- Chronique -
L'histoire de la jeunesse bretonne
Vaste sujet qui, à ma connaissance, n’a jamais été traité. Et pourtant, on en apprendrait beaucoup sur l’avenir. Et les historiens aiment bien, même s’ils s’en défendent, s’appuyer sur le
Par Frédéric MORVAN pour FM le 27/12/15 17:33

Vaste sujet qui, à ma connaissance, n’a jamais été traité. Et pourtant, on en apprendrait beaucoup sur l’avenir. Et les historiens aiment bien, même s’ils s’en défendent, s’appuyer sur le passé pour découvrir l’avenir. On se demande si certains ne veulent pas jouer un peu des dames Soleil. Moi, j’aime bien. Il est clair que nous sommes dans une période de grandes transformations, que peut-être on peut qualifier de Révolution. Vers où se dirige la jeunesse bretonne ? Comment va-t-elle agir ? Comment va-t-elle construire son avenir ?

On m’a dit qu’un jeune avait entre 15 et 35 ans, voire jusqu’à 40 ans – bien que l’on m’a dit aussi que des gens de 80 ans étaient jeunes d’esprit. Durant des siècles, des millénaires, à cause de la démographie, ce sont eux qui ont fait l’histoire. En exagérant un peu le trait, avant la Révolution démographique qui a commencé au milieu du XVIIIe, je dis à mes élèves qu’un quart des enfants mourait avant 1 an, un autre quart décédait avant 10 ans… et il fallait être une force de la nature pour dépasser les 50 ans. La société était peuplée de jeunes qui devaient affronter les malheurs des temps, pandémies, guerres, famines, qui n’épargnaient personne. Il fallait faire vite pour avoir un destin hors du commun. Il ne faut pas oublier que le Christ serait mort entre 33 et 40 ans. Alexandre le Grand est mort vers le même âge. La duchesse-reine Anne de Bretagne est morte à 36 ans. Les princes et les princesses étaient mariés à un âge qui nous scandaliserait aujourd’hui : Anne fut mariée à 13 ans, ce qui fait du roi Charles VIII de France, son cousin et époux, un pédophile. Anne n’est pas un cas exceptionnel. Il fallait faire vite lorsqu’il s’agissait d’héritage : et les héritiers d’Anne devaient avoir non seulement le royaume de France mais aussi le duché de Bretagne, le comté de Montfort, d’Etampes, de Vertus, etc.

Dans la population, on se mariait plus tard, pour les hommes vers 25-28 ans, pour les femmes un peu plus jeunes, surtout à partir du moment où l’on avait hérité, et où l’on pouvait vivre décemment et nourrir ses enfants. Il fallait faire vite car la mort était omniprésente. Ce qui est paradoxal dans un monde lent, lorsque l’on étudie comme moi les généalogies, surtout les généalogies d’origine médiévale, c’est la rapidité des successions et même souvent leur fluidité. On pensait davantage lignées, continuités et stratégies familiales, et cela sur plusieurs centaines d’années. C’est une véritable course pour se maintenir, pour durer le plus longtemps possible. On se reposait alors sur la jeunesse. Et il ne fallait pas perdre de temps.

Lorsque j’ai fait des recherches pour mon livre sur les Bretons de 1870 à 1970, j’ai été très surpris par deux choses : l’état déplorable de la jeunesse bretonne et le départ massif de la jeunesse de Bretagne durant cette période. On trouve sur Internet beaucoup d’articles et même des thèses de médecine catastrophique sur l’hygiène des Bretons à la veille de la Grande guerre. Les médecins militaires étaient effrayés par l’état physique des jeunes Bretons qui se présentaient pour faire leur service militaire, rachitisme, idiotisme, carences en tout genre, alcoolisme précoce. L’hygiène n’était pas une priorité. Et à cause du séisme de la Révolution française, la Bretagne du XIXe siècle ne disposait plus de la richesse des XVe-XVIIe siècles. On est loin du Breton costaud.

Comme ailleurs, les progrès de la médecine, de l’alimentation, de l’éducation – et Dieu sait que les Bretons et les Bretonnes ont travaillé dur à l’école – ont permis de réduire le nombre de décès à partir de la fin du XIXe siècle. Et comme ailleurs, on a continué à faire beaucoup d’enfants… et les jeunes étaient très nombreux, un peu beaucoup comme dans pas mal de pays émergents actuels. Et pendant des décennies, les jeunes Bretons et Bretonnes sont partis par centaines de milliers, vers les villes, vers les ports, vers Paris, à l’étranger. C’étaient les plus pauvres qui partaient, souvent les cadets et les puînés, pour ne pas trop diviser les fermes. Peu instruits et parlant une autre langue méprisée par les élites, ils étaient ouvriers, bonnes ou prostituées. Très bons dans les études et grâce à l’égalité devant les concours de recrutement dans la fonction publique, ils accédèrent à partir de l’Entre-deux-guerres à des métiers plus lucratifs, plus importants, plus respectables, ingénieurs, professeurs, commandants dans l’armée ou la marine, etc… tout en devant quitter la Bretagne.

Nous arrivons alors dans les années 1970 où la jeunesse bretonne trouve du travail en Bretagne grâce à l’essor économique. La stratégie du CELIB – ce groupe de personnalités du monde politique, économique et culturel – a réussi son pari : développer économiquement la Bretagne pour garder sa jeunesse au pays.

Pourtant, récemment, peut-être seulement depuis quelques années, une décennie, la jeunesse bretonne repart ; manque de travail en Bretagne, c’est certain, mais il n’y a pas que cela. L’heure n’est plus aux grandes usines employant des milliers d’ouvriers et d’ouvrières ; l’agro-alimentaire et l’agriculture bretonne, parmi les meilleures du monde, doivent s’adapter à de nouveaux modes de consommation. La jeunesse bretonne est bien placée dans la Révolution numérique. Les Web masters bretons se comptent par milliers. Mais force est de constater qu’ils partent, contraints et forcés car la Bretagne n’est pas assez attractive. Force aussi est de constater qu’un autre phénomène est apparu – et je suis très loin d’être le seul à l’avoir remarqué – totalement inédit aujourd’hui : la mise à l’écart de la jeunesse. La jeunesse n’a plus du tout la même importance qu’il y a un demi-siècle. Elle doit attendre son tour car l’espérance de vie a particulièrement progressé pour atteindre des niveaux jamais égalés. Et on est encore en pleine forme à 75-80 ans. Alors qu’il y a un siècle, il n’était pas très courant de connaître tous ses grands-parents, aujourd’hui, un jeune peut connaître ses arrières grands-parents, qui sont souvent en bonne santé. Et bientôt, avoir des arrières-arrières grands-parents ne sera pas quelque chose d’extraordinaire.

Le problème est que chacun doit avoir sa place. Aujourd’hui, quatre ou cinq générations vivent ensemble, alors qu’auparavant c’était deux et au maximum trois. Et évidemment l’esprit de permanence et de continuité familiale sont comprises différemment. Tout ne se repose plus sur la génération des jeunes de 15 à 35 ans, mais sur l’ensemble des générations qui ont la certitude maintenant de survivre durablement. Il faudra s’y faire et mesdames et messieurs les jeunes, il faudra vous y faire. Et quant aux plus âgés, surtout à ceux qui ont toujours le schéma traditionnel dans la tête, il faudra bien partager… et beaucoup le font déjà, et cela afin d’éviter des guerres civiles générationnelles.

historien de la Bretagne
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