L’utilisation des derniers chiffres disponibles (2013) permet de prendre un peu de recul pour envisager l’évolution démographique de la Bretagne sur 14 ans. Que de changements !
14 ans… C’est peu au regard de temporalités bien plus longues envisagées par d’autres études (1). Mais 14 ans, c’est beaucoup puisque les écarts se sont récemment creusés. En ce laps de temps, des territoires bretons ont souffert ou se sont dépeuplés quand d’autres ont vu leurs populations doubler ou tripler. Et tout n’est pas ici une affaire ou non de bonnes gestions communales, d’autant que l’essor démographique n’est pas forcément synonyme de qualité de vie. Comment analyser les évolutions démographiques ? Que retenir de cette carte de synthèse ?
Globalement, l’arbre démographique breton se porte bien. 4 millions d’habitants en 1999 mais 4,6 en 2013, soit 600.000 habitants de plus. Sur 14 ans, la Bretagne a gagné en moyenne 40.000 habitants par an. Il s’agit d’une des régions les plus attractives de France puisque l’essentiel des gains s’opère en lien avec un solde migratoire favorable, même si les gains d’espérances de vie aident à l’évolution.
À l’inverse, cette croissance ne profite pas également à toute la Bretagne. Certes, il est loin le temps où la Bretagne connaissait une catastrophe démographique (1,1 million de Bretons obligés de quitter le pays entre 1832 et 1962, 254.000 Bretons obligés de partir sur la seule période 1946-1954 !). Depuis 1968, le solde migratoire s’est retourné et la Bretagne dans son ensemble est attractive. Si le bleu clair est utilisé dans la carte pour accentuer la lisibilité, il faut insister sur le fait que cette catégorie de commune est démographiquement stable (-0,6 %) et même positive (jusqu’à + 6,6 %). Mais, sur la période, la moyenne bretonne est de + 15 %. Toute chose égale par ailleurs, cette carte de synthèse permet donc de repérer l’accélération de déséquilibres majeurs.
Le premier, bien sûr, est l’opposition renforcée entre la « haute » et la « basse » Bretagne. Les écrits scientifiques nous rappellent qu’il y avait en 1950 à peu près 500.000 habitants de moins en Basse Bretagne qu’en Haute Bretagne. Le chiffre a désormais presque triplé (1,4 million). À l’échelle régionale, personne ou presque ne pose la question de cette évolution majeure. Or, il faudra bien un jour politiquement s’y intéresser. Globalement, la carte montre à l’est comme un triangle isocèle de croissance, dont les trois pointes sont l’est lorientais (Hennebont-Kervignac-Languidic), l’arrière-pays malouin et le sud-est de la Loire-Atlantique. On observe de façon manifeste le poids des aménagements et par exemple des axes routiers dans cette évolution (l’axe Rennes-Saint-Malo, l’A 84, le lien Nantes-Ancenis ou l’axe Rennes-Nantes).
A l’inverse, le centre-ouest Bretagne est manifestement à l’écart. Entre RN 12 (Rennes-Brest), RN24 (Rennes-Ploërmel-Vannes) et RN 165 (Quimper-Nantes), il existe comme un enclos faiblement dynamisé. Au-delà des routes qui sont loin d’expliquer l’ensemble, les écarts entre des villes de taille comparable sont frappants. Si Brest était plus peuplée et dynamique que Rennes en 1800, il n’y a plus aujourd’hui photo. Il en va de même entre Quimper et Vannes. Et ne parlons pas de Lorient et notamment de son secteur ouest, de Morlaix, des situations très difficiles rencontrées par une collection de villes moyennes ou petites de Basse Bretagne (Carhaix, Douarnenez, Landivisiau, Rostrenen, Gourin...). Le constat, réalisé il y a une décennie, s’est accéléré. La prime accordée aux métropoles de l’est suscite une périurbanisation toujours plus lointaine avec l’émergence des troisièmes couronnes nantaises, rennaises, voire brestoises. Comme annoncé, le peuplement s’accélère dans les zones rétro-littorales (arrière-pays de Vannes, de Saint-Malo, voire de Lannion et de Paimpol) alors que les villes centres sont à la peine. Saint-Malo a perdu plus de 5.500 habitants en 15 ans (de 50.675 habitants à 44.919). Douarnenez ou Paimpol plus de 10 % de leur population.
Au déclin des centres classiques, s’associe souvent la déferlante périurbaine, ce qui pose bien sûr le problème du gâchis d’espace, de l’héritage architectural laissé par notre époque, la question de l’équilibre urbain breton, plus largement celle du projet de société breton. On ne cesse de prôner les mobilités douces et l’on bâtit de plus en plus au loin des métropoles. C’est-à-dire dans des communes où les transports publics sont introuvables ou très difficilement trouvables. Le déclin de nombreuses communes littorales est très frappant et ne parlons pas des îles qui connaissent une situation d’ensemble catastrophique puisque seule Belle-Île s’en sort, lorsque toutes les autres perdent des habitants (- 2 % à Groix, - 6 % à Ouessant, - 11 % à Sein, - 14 % à Batz, - 26 % à Houat, - 36 % à Molène…). Souvent, le renchérissement du foncier fait fuir la population permanente et le littoral devient inhabitable pour les jeunes. Surtout, ce déclin d’ensemble du liseré littoral traduit l’immense carence du projet maritime breton.
La Bretagne ne voit plus que par la terre et les grands projets sont presque tous localisés à l’est (le TGV, l’aéroport…). Elle est en train d’oublier sa génétique maritime qu’a provisoirement relancée Alexis Gourvennec, qu’avait voulu mettre en place le CELIB en lançant en 1973 l’arc Atlantique. Aujourd’hui, Combiwest a été volontairement planté et les projets intéressants sur le seul port de Brest auront des difficultés à renverser la tendance. En réalité, la Bretagne n’a pas de réelle stratégie maritime, comme l’illustre la situation littorale de la presqu’île de Crozon, du cap Sizun, du pays bigouden, du Léon autour de Morlaix, du pays de Dol, du Trégor-Goélo… Ce n’est pas parce qu’on réalise une poignée d’hydroliennes qu’on a un projet maritime. Si ces opérations pilotes sont vertueuses et annoncent peut-être des lendemains qui chantent, il serait temps d’en revenir à des fondamentaux, à l’histoire de la Bretagne, aux veines d’activités qui ont porté son développement.
Deux éléments sont essentiels. La Bretagne a toujours été prospère lorsqu’elle était maritime et lorsque l’armor et l’argoat se soudaient. Aujourd’hui, autour de la valorisation de nouveaux produits (les algues par exemple), des chefs d’entreprises aimeraient retrouver cette dynamique qui, par exemple au XVIIe siècle, a toujours fait la prospérité bretonne. Or, le fait est que cette vision n’est pas suffisamment partagée par l’ensemble des pouvoirs en place. Certes, la région a promu la glaz économie et fait parfois ce qu’elle peut pour redynamiser l’armor. Toutefois, une très large part des espèces sonnantes et trébuchantes reste allouée à des projets de finalité terrienne, avec des métropoles bretonnes, et plus largement françaises, qui doivent être les dernières au monde à confondre le critère de taille et celui de performance (2). Des problèmes clés d’acceptabilité ne sont pas résolus pour autoriser le développement économique de l’armor et non sa mort programmée dans une économie de villégiature. Ici, des chefs d’entreprise ne disposent que d’une heure pour ramasser les algues et doivent donc les importer de Vendée pour faire marcher leurs usines. Ailleurs, des projets voulant valoriser les fantastiques ressources maritimes sont bloqués pour l’essentiel par des riverains qui défendent leurs intérêts propres et non l’intérêt de la Bretagne. Certes, il ne s’agit en aucun cas de faire n’importe quoi avec la mer et chaque projet doit être l’enjeu d’une négociation complexe, au cas par cas. Mais aujourd’hui, la Bretagne délaisse trop les dynamiques océaniques. Si les options prises à l’est du pays sont utiles à l’est et aident naturellement à l’essor de la Bretagne, il lui manque aujourd’hui un projet de rééquilibrage armor-argoat. Ce n’est pas faute de l’avoir évoqué (3). Mais il en va de l’avenir de l’équilibre régional et de la Basse Bretagne. Cette dernière a commencé à se marginaliser dès que la Bretagne a oublié sa vocation maritime, plus exactement sa fonction qui est de marier l’armor et l’argoat. « Warc’hoazh marteze e vo sklaeroc’h an amzer » . Demain la situation s’améliorera peut-être. Encore faut-il, en lien avec les forces vives du territoire, qu’un projet territorial émerge. Où est-il ? Il est encore temps d’agir mais l’originalité territoriale bretonne est aujourd’hui à la peine. Où est, aujourd’hui, « l’ambition nouvelle » (4) évoquant un avenir collectif pour le territoire breton ?
Le Comité de rédaction de Construire la Bretagne
1. (voir le site) Voir aussi Bretagne, 150 ans d’évolution démographique, Presses Universitaires de Rennes, 2005, 368 p.
2. Voir entre autres : (voir le site) A noter aussi le projet urbain polycentrique de la Suisse de façon à ne pas ruiner la qualité de vie urbaine par la présence de villes trop importantes qui multiplient les « externalités négatives » (congestion, temps consacré aux déplacements, prix du foncier, pollution…). Il n’existe dans le monde strictement aucun critère permettant d’associer la taille des villes à leurs dynamismes.
4. CELIB Bretagne : une ambition nouvelle, Presses Universitaires de Bretagne, 1971.