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Si Bergson (1859-1941) fut, après Descartes, le second « plus important philosophe français » (entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème), Sartre (1905-1980) fut le troisième (entre les années 1930 et 1960). Et cela, grâce à ce courant de pensée appelé « l'existentialisme ».

Ce courant de pensée doit tout au Breton Jules Lequier (1814-1862), tragiquement disparu à Plérin un 11 février (soit la même date de décès que René Descartes à Stockholm en 1650). Le choix de cette date et la noyade de Lequier en baie de Saint-Brieuc sont un puissant hommage à Descartes, ainsi que la dénonciation explicite du siècle « cartésien » que fut le 19ème (au cours duquel il ne fut, pour les Bretons, plus possible d'« exister »).

Jean-Paul Sartre eut connaissance de la pensée de Jules Lequier grâce à Albert Camus (1913-1960), qui comptait dans son entourage parisien de nombreux Bretons (comme Jean Grenier ou Louis Guilloux). Il faut rappeler à ce sujet que le père d'Albert Camus est décédé à Saint-Brieuc et que les intellectuels de l'époque avaient connaissance de l'oeuvre de Lequier grâce à son « ami parisien » : Charles Renouvier (1815-1903).

Notons le rôle ambigu de cet « ami » qui écrivait encore en 1842 « que Descartes était Breton » (cf. notre "Descartes, Breton ?", p. 206). En effet, si Charles Renouvier a publié à Paris pour la première fois, en 1865, le texte de Lequier intitulé "La recherche d'une première Vérité" (allusion au texte de Descartes intitulé "La recherche de la Vérité"), ce fut aussi "pour en minimiser l'importance".

Car il faut encore se demander pourquoi Jules Lequier a toujours été considéré en France comme « un philosophe difficile d'accès » et plutôt « obscur ». Sans doute, parce que son oeuvre ramène droit "à celle de Descartes". Si bien que les intellectuels parisiens (comme Renouvier) se sont toujours demandés s'ils la comprenaient vraiment, s'ils pouvaient seulement la comprendre et s'ils devaient encore la comprendre.

Ce qui explique aussi que la pensée de Lequier ne fut jamais enseignée et que Lequier lui-même fut oublié (et la Bretagne philosophique avec lui, puisqu'il n'y aura, après lui, avec Bergson et Sartre, de « véritable » philosophie que « française »). Jules Lequier n'était donc pas, pour les Français, un véritable « philosophe », ni un véritable « Français ». C'était un « penseur ». Qui plus est « breton ». Mais n'est-ce pas également le cas de René Descartes ? Avec l'étonnant excès de zèle autour de son oeuvre en 2013, il faut croire que oui...

La vérité demeure : plus on la refoule au loin et plus, comme la marée, elle revient. La pensée de Lequier contrevenait, au 19ème siècle, à celle du Descartes « français et cartésien ». Selon cette pensée (reprise par « l'existentialisme »), " on se fait soi-même en faisant". C'est la fameuse "méthode" de Descartes : en "réfléchissant", je « deviens », ou plutôt je « suis », moi-même. Si les Français n'ont pas compris cela, les Américains y ont été plus attentifs. En effet, l'oeuvre de Lequier fut introduite aux Etats-Unis par Jean Wahl (1888-1974), réfugié à New York pendant la seconde guerre mondiale (au même titre que de nombreux autres intellectuels français). Elle est aujourd'hui davantage connue grâce à l'Américain Donald Viney et au Breton Goulven Le Brech.

Simon Alain

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