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L’émigration bretonne vers Jersey
L’émigration française vers Jersey 1850-1950 de Michel Monteil. Publications de l’Université de Provence. 2005. 300 pages. 27 euros. Le livre aurait pu et sans doute aurait dû s’intituler " L'émigration bretonne vers Jersey (1850-1950)" puisque cette émigration fut principalement bretonne. La spécialisation de Jersey dans la production agricole requérant une importante main
Philippe Argouarch pour ABP le 3/07/05 18:44

L’émigration française vers Jersey 1850-1950 de Michel Monteil. Publications de l’Université de Provence. 2005. 300 pages. 27 euros.

[ABP] Le livre aurait pu, et sans doute aurait dû, s’intituler " L'émigration bretonne vers Jersey (1850-1950)" puisque cette émigration fut principalement bretonne.

La spécialisation de Jersey dans la production agricole requérant une importante main d'œuvre saisonnière attira de nombreux Bretons qui souvent finirent par rester sur l’île. L’étude de cette immigration n'avait jamais été faite. Le professeur Michel Monteil, de l'Université de Provence vient de combler cette lacune.

Avant la conquête de la Gaule par les Romains, ces îles faisaient partie du territoire des partie du territoire des Unelles (cotentin) qui eux-mêmes faisaient partie de la confédération armoricaine, ils étaient alliés des Vénétes et prirent part à leur insurrection. Les îles furent rattachées au Royaume breton sous son roi Nominoé en 846 puis furent rattachées à la Normandie par Guillaume Longue-Epée vers 933. La toponymie est d'ailleurs d'origine scandinave.

Les îles anglo-normandes firent donc partie de la Grande-Bretagne dès 1066. Bien avant le Pays de Galles en 1282 et bien avant l’Ecosse en 1707. À noter que dès 1215, un décret royal accordait aux îles anglo-normandes une très large autonomie. Une démarche judicieuse des Rois d’Angleterre qui, sans doute par là, empêchèrent les îles de retourner au duché de Bretagne ou au royaume de France. La reine d’Angleterre règnerait sur les îles anglo- normandes pas en tant que Reine d’Angleterre mais en tant que duchesse de Normandie, titre qu'elle porte toujours. Philippe Auguste en 1206 renonça officiellement à leur conquête alors qu'il avait conquis le reste de la Normandie.

Le français fut langue officielle avec l’anglais jusqu’en 1939. Le Jeriais, le patois franco-normand des îles est en voie de disparition mais la société Jersaise, a relancé son apprentissage à l’école.

Un certain nombre de descendants de travailleurs agricoles bretons établis à Jersey connaissent le breton et sont en fait trilingue ou bilingue (breton-anglais) du fait que leurs parents venaient de villages brittophones du centre Bretagne. Certains habitants de Jersey comprennent toujours le breton qu’ils ont appris de leurs parents.

Dès le XIIIe siècle, les îles ont une Cour royale ou Jurat qui acquit avec le temps des pouvoirs législatifs similaires en quelques sortes aux Etats de Bretagne. Les jurats étaient sous la supervision directe du Roi ou de la Reine. Autrement dit seul le roi y était reconnu, mais pas le gouvernement de Westminster. Le roi et son private counsel faisant objet de juridiction d’appel. Au milieu du XIX siècle, le pouvoir législatif est institutionnalisé: Ce sont les Etats (the states) avec prérogative sur le budget et les lois. Les états sont mixtes avec des membres élus et des membres nommés par le Roi. La Reine nome le gouverneur (titre honorifique sans pouvoir véritable), et le Bailly qui lui détient le pouvoir exécutif.

Pour un Breton arrivé sur ces îles anglo-normandes gouvernées par des États et organisées en paroisses, elles-mêmes dirigées par des connétables et des recteurs, c’était donc un peu retourner sous l’ancien régime du Duché de Bretagne.

Jersey a reçu son lot d’expatriés français. Il y eut d’abord des Huguenots; puis des nobles dont plusieurs centaines de familles appartenant à la noblesse bretonne; enfin des républicains dont le plus célèbre est Victor Hugo établi sur Guernesey. En 1848 c'est 2000 républicains qui arrivent, et encore 2000 en 1852. Puis vinrent les ordres religieux persécutés: jésuites, oblats, compagnons de Jésus, et l’ordre breton des Frères de Lamennais. Jersey fut aussi un havre d'asile pour les insoumis au service militaire-- surtout sous le second empire. Jersey était l'endroit pour se faire oublier, mais suffisamment proche des côtes de France pour pouvoir revenir à l'occasion.

L'immigration la plus importante vers jersey est l'immigration agricole entre 1850 et 1950. Ce sont les Bretons des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) qui affluent le plus à jersey mais aussi du Morbihan. En fait tout le centre Bretagne est concerné. La première ville d’origine aurait été Pontivy et la deuxième Guingamp. D'après Monteil, la population des Côtes-d'Armor diminua de 18 % entre 1866 et 1946 (page 64). Entre 1914 et 1925., 70 % de tous les passeports délivrés par la préfecture des Côtes-du-Nord sont pour se rendre à Jersey. En 1924 c’est 87%. Jersey faisait partie des destinations des Bretons qui émigrent alors en masse vers Paris, le Canada, le reste de la France et Jersey. La Bretagne était d’ailleurs à la merci des famines comme en Irlande puisque la mauvaise récolte de 1847 aurait entraîné la mort de 20 000 personnes. L'auteur reporte aussi 250 000 tués (1) durant la première guerre mondiale.

A Jersey la vie n'était pas vraiment plus facile. Le travail, essentiellement le ramassage des pommes de terre, était extrêmement dur. Il fallait travailler au moins 56 heures par semaine. Les conditions de logement étaient très rudimentaires. On dormait souvent à même le sol et l’on devait faire sa cuisine sur un feu de camp. Il y a eu des grèves et des sévices de la part de la population locale.

Certains pourtant décidaient de rester. D'après Monteil » »Les Bretons et les Normands qui se rendaient a Jersey partaient officiellement pour les 6 a 7 semaines de la saison des pommes de terre primeurs. Si les plus entreprenants d’entre eux trouvaient aussi du travail pour l'été et l’automne avec les foins ou la récolte des tomates, puis pour l’hiver pour s’occuper du bétail, ils pouvaient ensuite régulariser leur situation en demandant un visa au consulat de Saint-Hélier. Les plus chanceux sont ainsi devenus agriculteurs avec leur lopin de terre.

Aucune association culturelle de Bretons ou de Français en général semble avoir existé à Jersey.Un curé, le Père Herménégilde Cadouellan a pourtant tenté d’organiser les Bretons. L’architecte breton Pierre Lemoine installé depuis trés longtemps à Jersey,et le président actuel de la « Société Jersiaise de Bienfaisance », a aussi tenté de construire un foyer breton, mais les autorités s’y opposèrent. D'après Pierre Lemoine, la cooperative agricole de Landerneau a aussi joué un rôle d'organisation et de soutien en envoyant par exemple, entre 1972 et 1980, un assistante sociale.

Malgré un racisme rampant contre les travailleurs agricoles français, Michel Monteil rapporte la rapidité avec laquelle les Français, Bretons ou Normands, se sont intégrés dans la population Jersaise. Le phénomène est assez similaire aux Français de Californie qui à la deuxième génération devenaient Californiens. À Jersey comme en Californie, bien souvent la France ne représente plus, dès la seconde génération, que la célébration du 14 juillet. On est français un soir par an comme les Chicanos sont mexicains le cinquo de mayo. Contrairement aux Français de Californie de la même époque, qui avaient même des quotidiens, les Français de Jersey n'auraient jamais eu de presse, pas même une feuille de chou.

Le livre est riche en analyses sur l’identité et ce qui fait l’identité avec des sections comme "identité et insularité","Intégration et religion", "assimilation et langue", anonymat, ruraux et urbains, etc... L'auteur explique l'assimilation rapide des Bretons par la superficialité de leur identité française, mais aussi par la précarité de leur situation économique les poussant à vouloir l'intégration pour bénéficier de ses avantages sur ce plan. On peut conclure qu'un Breton arrivant a Jersey ou dans la Beauce passait par les mêmes processus, l'un pour devenir sujet de sa majesté, l'autre, un citoyen français à part entière. Tous deux toutefois, semblent avoir perdu leur identité ancestrale.

Depuis une dizaine d’années, les Portugais ont remplacé les Bretons à Jersey mais dans des conditions toutes différentes.Alors que le consulat français de St Helier ne faisait rien pour les immigrés français de Jersey (le consulat est d’ailleurs maintenant fermé), le consulat portugais a fait construire un foyer, a organisé une équipe de foot, un club de danse et a fait venir un prêtre qui dit des messes en portugais à Saint Thomas, la cathédrale de St Helier.

En 2004 ce sont les Polonais qui sont arrivés pour écrire un nouveau chapitre de l’histoire de Jersey.

Philippe Argouarch

(1) Je rapporte à nouveau ici ce chiffre car il est contesté. Venant d'un universitaire, de surcroît non breton, il finira peut-être par s'imposer.

voir un texte en Jeriais: (voir le site)

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Modifié le 24/12/2018

Cet article a fait l'objet de 4539 lectures.
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Philippe Argouarch est un reporter multi-média ABP pour la Cornouaille. Il a lancé ABP en octobre 2003. Auparavant, il a été le webmaster de l'International Herald Tribune à Paris et avant ça, un des trois webmasters de la Wells Fargo Bank à San Francisco. Il a aussi travaillé dans des start-up et dans un laboratoire de recherche de l'université de Stanford.
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Vos 1 commentaires
Ghildas Gw. DURAND TOUZ Le Mardi 31 août 2010 23:27
Actuellement, les Normands tendent à imposer définitivement leur concept d'îles "anglo-normandes", ce qui est abusif. Elles sont, historiquement, beaucoup plus "britto-anglaises" ou "anglo-bretonnes". Naguère, dans les années 1970, le Pr. Paul Quentel, phililogue connu spécialisé dans l'onomastique (science des noms propres) et particulièrement en toponymie, a montré que les toponymes de Jersey dérivent pour la plupart du Breton. Je peux retrouver sa démonstration parue dans la Société internationale d'Onomastique. Gh. D.T. 8/4/09 .
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