Jean-Michel Guilcher vient d'avoir 100 ans et il a été fêté comme il se doit par ses pairs de la communauté universitaire, à l'Université de Brest, le 14 novembre à l'occasion d'un « jubilé scientifique » ». Son nom ne dira quelque chose qu'à ceux qui savent que c'est grâce à lui que la recherche sur les danses issues de la tradition a pu être commencée sur les meilleures bases en France et que, grâce à lui, le patrimoine dansé de la Bretagne n'aurait pas pu être conservé en si bon état. Né à Brest dans ce qui était, alors la commune de Saint-Pierre-Quilbignon, il avait des attaches familiales rurales et une familiarité avec le breton. C'est ainsi qu'il pouvait entendre sa mère, née à Landéda, chanter le répertoire de sa propre mère, une chanteuse en breton réputée.
Pourtant, il arrivera à l'exploration des danses de tradition et des chansons qui peuvent les accompagner qu'après un détour curieux qui le conduit à étudier les sciences
naturelles à Paris. L'accident du destin qu'est la guerre le conduit à se réfugier, avec son épouse, Hélène, du côté de Barèges (Hautes-Pyrénées) et les fait entrer en contact avec les dernières personnes capables de leur montrer les danses locales. La guerre finie, il entreprend, toujours avec sa femme, une enquête personnelle sur les danses du Bas-Léon qui, de proche en proche finit par concerner 375 communes. Non seulement, il note les pas selon une technique de notation descriptive, mais, il les filme. L'un des apports décisifs est d'avoir observé plusieurs générations de danseurs et parfois, telle forme de danse pratiquée dans sa jeunesse par un octogénaire, né vers 1870, ressuscitait, car, la personne avait gardée la mémoire et la vigueur nécessaires. L'apport principal de JM Guilcher est de considérer le danseur dans sa psychologie, son évolution et ses capacités à faire évoluer ses co-danseurs.
Habitant Paris, il obtint les recommandations utiles pour entrer au CNRS et se lie avec de Georges-Henri Rivière, fondateur du Musée des Arts et Traditions populaires. Il fait paraître, en 1963 un gros volume, reflet de sa thèse d'État, intitulé La Tradition populaire de danse en Basse-Bretagne. C'est l'une des clés du renouveau des cercles celtiques qui participe grandement au réveil breton des années 70, car, le répertoire vivant des danses bretonnes est augmenté et suscite des recherches en Bretagne.
Les trois enfants de Jean-Michel Guilcher, qui ont vu leurs parents faisant des collectes, deviennent des propagateurs et des rénovateurs des danses chantées, qu'ils voient comme « la préhistoire du folk » , puisant dans les répertoires de toutes la France. Yvon, Naïk (Raviart) et Mône (Dufour) élaborent des versions musicales de chants à danser qui deviennent des disques cultes pour les amateurs de danse et de musique modale. Dès 1973, fondent le groupe Mélusine. Yvon, en parallèle à une carrière de professeur, suit les traces de son père et soutient une thèse à l'Université de Brest sur La danse traditionnelle en France : d'une ancienne civilisation paysanne à un loisir revivaliste (publiée en 1978). Il y étudie la descendance des pratiques observées par ses parents et qui sont très vivantes en Bretagne au XXIème siècle.
Son père avait poursuivi ses recherches partout en France et a publié des ouvrages de références sur les plus anciennes danses connues (les branles, dont les gavottes sont une variété) et la contredanse qui apparaît au XVIIème siècle. Avant sa carrière scientifique, il avait été amener à utiliser ses connaissances en sciences naturelles pour la rédaction de livres pour enfants dans le cadre de « L'atelier du Père Castor, un célèbre éditeur parisien » . Il a été professeur à Brest et co-fondateur du centre de recherches bretonnes et celtiques de l'Université de la ville où il a rencontré les chercheurs en ethnologie bretonne, Donatien Laurent et Daniel Giraudon.
Longue vie à un Breton éminent qui a tant apporté à cet élément fondamental qu'est la danse dans la culture bretonne, car, les Bretons ont toujours été réputés pour être infatigables dans cette activité sociale, synonyme d'harmonie.
Christian Rogel