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- Chronique -
Il est dangereux de laisser à l'extrême droite européenne le flambeau de la démocratie directe
Pour la loi El Komri, si un référendum avait été organisé, et il n'est pas trop tard, on aurait pu éviter bien des manifestations, des blessés et maintenant des pénuries de carburant qui risquent de paralyser l'économie tout entière.
Par Philippe Argouarch pour ABP le 22/05/16 19:39

Norbert Hofer a failli gagner élections présidentielles en Autriche. Ce n'est pas le fruit du hasard mais correspond en grande partie à la démission des partis traditionnels de leur rôle de moteurs de la démocratisation.

Ce rôle, qui était souvent ce qui mobilisait les gens pour aller voter, a été progressivement éliminé par les conservatismes de tout genre et la corruption du rôle de représentant du peuple devenu représentant des intérêts d'un parti.

Les entreprises internet ont repris le flambeau de la démocratisation

Depuis 30 ans, le flambeau de la démocratie a tout d'abord été repris par des entreprises, pour la plupart californiennes qui, grâce à l'internet et au PC (personal computing), puis aux smart phones, ont su démocratiser l'accès à l'information, aux connaissances, à l'autonomie et maintenant l'accès à des revenus via l'ubérisation du travail. Apple et google ont probablement plus changé le monde que tous les partis politiques français depuis 50 ans.

L'extrême droite brandit le flambeau de la démocratie directe

L'extrême droite gagne des points dans tous les pays européens non seulement à cause de la crise migratoire, du faux espoir de pouvoir endiguer les mutations à réaliser pour faire face à la mondialisation, mais aussi parce qu'elle tente de reprendre le flambeau démocratique abandonné par les partis politiques traditionnels dont les élus, trop occupés à se faire réélire, et à faire appliquer les décisions de Bruxelles, ont abandonné l'idée de plus de démocratie. Comment en est-on arrivé là ? Les visionnaires qui ont instauré la démocratie directe en Suisse ou en Californie sont passés aux oubliettes de l'histoire et pourtant Rousseau, Proudhon, Arendt ou Kohr en avaient lancé les fondations souvent reprises par les anarchistes du siècle précédent...

Pour certains, c'est paradoxal et donc souvent ignoré par les médias mais l'extrême droite en France comme en Autriche, comme ailleurs, a inscrit dans ses programmes la démocratie directe. Une évolution qui n'a jamais été inscrite dans les valeurs de la République et qui pourtant redonnerait du pouvoir aux citoyens frustrés par des politiciens menteurs, dissimulateurs fiscaux ou pire, coureurs de jupons sexistes.

Une dose de démocratie directe ferait du bien à la France

Sans aller jusqu'aux souhaits de l'écrivain Michel Houellebecq qui déclare "Je souhaite généraliser la démocratie directe en supprimant le Parlement. À mon avis, le président de la République doit être élu à vie mais instantanément révocable sur simple référendum d'initiative populaire", une dose de démocratie directe ferait du bien à la France.

Sans aller jusque à la suppression du Parlement souhaitée par Michel Houellebecq, si tous les élus pouvaient être révoqués sur simple référendum d'initiative populaire, ils feraient moins de promesses durant leurs campagnes.

Toutes les grandes décisions peuvent être prises par consultations populaires. La démocratie directe élimine d'un seul coup les blocages politiciens des partis, le 49-3 et limitera les abus de toute une classe de privilégiés cumulards qui votent eux-mêmes leurs salaires, leurs retraites, leurs réserves parlementaires et le montant alloué à leurs frais les plus divers et les plus cocasses.

Il faut un référendum sur la loi El Komri

Interpellé par un député alsacien lors des séances de questions aux Gouvernement sur le référendum prévu en Loire-Atlantique le mois prochain, le Premier ministre Manuel Valls avait pourtant répondu que le référendum était nécessaire pour asseoir la légitimité d'une décision (ou d'une loi, donc) qui était fortement contestée (1). Pour la loi El Komri, si un référendum avait été organisé, et il n'est pas trop tard, on aurait pu éviter bien des manifestations, des blessés et maintenant des pénuries de carburant qui risquent de paralyser l'économie tout entière. Le référendum, populaire ou initié par le gouvernement, est toujours gagnant : soit il donne raison à l'État et donc assoit sa légitimité, soit, en cas d'échec, il lui donne l'occasion de sortir du conflit sans avoir donné l'impression de céder devant la pression de la rue ou simplement de l'opposition politique. La démocratie n'est que l'art de désamorcer les conflits par des procédés civilisés.

La démocratie directe ne peut marcher qu'avec le fédéralisme, la subsidiarité et une Constitution qui protège le droit des minorités

On ne répétera jamais assez la phrase d'Albert Camus "La démocratie n'est pas la loi de la majorité mais la protection de la minorité". Cette phrase devrait même être inscrite dans la Constitution ! Les minorités nationales sont des minorités politiques de facto. Que ce soit démocratie directe ou démocratie représentative, les minorités sont autant opprimées dans les deux systèmes si les droits de l'homme et des droits des minorités ne sont pas inscrits dans la Constitution. On se souvient que la co-officialité de l'espagnol avec l'anglais a été rejetée par référendum en Californie, tout simplement parce que les millions d'hispanophones restent une minorité et rien ne défend les droits de cette minorité dans la Constitution de l'état de Californie (2). Leopold Kohr, un farouche opposant du nazisme et du communisme, qui avait fui l'Allemagne en 1938 - et demanderait plus d'attention de notre part - dans son fameux livre The breakdown of Nations, explique quant à lui, que la démocratie directe ne pourra bien marcher que dans de petits États.

La démocratie n'est pas la loi de la majorité mais la protection de la minorité - Albert Camus

La démocratie directe prônée par le Front National serait un désastre total si la Constitution de la France n'était pas modifiée pour qu'y soient reconnus un minimum de fédéralisme, la reconnaissance de minorités nationales et de leurs droits, la pluralité des langues parlées sur le territoire, le droit des enfants d'être instruits dans la langue des parents (article de la convention internationale des Droits des Enfants non ratifiée par la France), et le droit des populations de déterminer les limites de leurs collectivités territoriales selon la charte de la démocratie locale et régionale pourtant, elle, ratifiée par la France.

Notes :

(1) La question du député alsacien au Premier ministre était "Pourquoi ne pas organiser une consultation sur la réunification de la Bretagne en même temps que la consultation sur l'aéroport de Notre-Dame des Landes". Valls n'a pas répondu sur la réunification, laissant entendre que les partisans de la réunification n'avaient pas la même détermination que les opposants à l'aéroport.

(2) Il faut préciser que même si l'espagnol n'est pas devenu co-officiel en Californie, la décentralisation poussée et la subsidiarité de l'éducation ont fait que chaque school district dirigé par un super-intendant des écoles du comté, un élu local, peut décider si les écoles seront bilingues ou pas.

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Philippe Argouarch est un reporter multi-média ABP pour la Cornouaille. Il a lancé ABP en octobre 2003. Auparavant, il a été le webmaster de l'International Herald Tribune à Paris et avant ça, un des trois webmasters de la Wells Fargo Bank à San Francisco. Il a aussi travaillé dans des start-up et dans un laboratoire de recherche de l'université de Stanford.
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