Un musée en perdition : le Musée de la préhistoire de Penmarc'h.
De nombreux nouveaux musées ont vu le jour en Bretagne depuis cinquante ans et des investissements considérables ont été faits par l'État, la Région, les départements et les municipalités pour enrichir et rénover des musées existants dans les cinq départements. Quelques musées aussi ont dû fermer leurs portes : soit des musées privés comme par exemple celui du costume au château de Crévy, près de Ploërmel ; soit des musées publics, comme plusieurs petits musées maritimes dépendant du Musée national de la Marine à Paris, dont celui-ci a décidé de regrouper les collections dans un souci d'économie. Il y a également ceux dont les collections sont conservées dans des caisses, faute de crédits et d'intérêt des responsables : il y aurait ainsi à Brest une magnifique collection de cornemuses destinée à la création d'un musée qui n'a jamais vu le jour... Ajoutons ceux qui sont en perte de vitesse, voire dans un état d'abandon et le tour sera complet.
Le Musée préhistorique de Penmarc'h qui a plus de 80 ans est aujourd'hui le cas le plus criant en Bretagne
Au lendemain de la Première guerre mondiale, un artiste peintre qui venait en été peindre à Porz Carn, Georges Alexandre Boisselier ; un ecclésiastique, le chanoine Favret, fondateur du musée d'Épernay et un ancien officier de marine, le commandant Charles Bénard (dit Bénard Le Pontois) qui venait d'acheter une maison à Saint-Guénolé au printemps de 1919, se trouvèrent réunis dans une même passion pour les monuments mégalithiques du pays Bigouden et constituèrent bientôt ensemble le "Groupe Finistérien d'Études Préhistoriques", auquel adhérèrent les commandants Devoir et Morel, le docteur Louis Capitan, un commerçant de Pont-l'Abbé, Georges Monot, et d'autres personnes attachées à cette région de Bretagne. Ils entreprirent de fouiller les abords de divers mégalithes et d'autres sites et découvrirent de nombreux squelettes, des armes, des haches de bronze et d'autres objets qu'ils entassèrent dans un bâtiment provisoire. Le commandant Bénard Le Pontois réalisa en 1920 une "carte des monuments mégalithiques du pays Bigouden" en collaboration avec un jeune homme âgé de seulement 18 ans, mais déjà licencié ès sciences, Théodore Monod, venu en Bretagne étudier la faune marine des îles Glénan. Théodore Monod, on le sait, allait entrer bientôt au Muséum national d'histoire naturelle et devenir un naturaliste de réputation internationale et un grand spécialiste du Sahara...
Dès 1921, le projet fut lancé de créer un musée archéologique à Porz Carn.
Les membres du Groupe Finistérien d'Études Préhistoriques engagèrent des démarches avec beaucoup d'énergie et de persévérance pour faire classer comme monuments historiques les mégalithes du pays Bigouden. La fortune de Gabrielle Philippson, épouse du commandant Charles Bénard, fut largement mise à contribution. Le projet bénéficia aussi du soutien financier d'autres personnalités de la région et également, quelques années plus tard, de celui de Lord Robert Mond, le "roi du nickel" qui avait épousé une jolie Bretonne de Belle-Isle-en-Terre, Marie-Louise Le Manac'h. La première salle du musée fut inaugurée le 19 août 1923 et la deuxième le 31 juillet 1927. Une plaque, toujours visible dans la première salle, entre les bustes du docteur Capitan et du commandant Bénard, rappelle que ce musée eut pour "Haut protecteur et Président d'honneur, M. Gaston Doumergue, Président de la République française". Après la disparition tragique de Charles Bénard en novembre 1931, c'est le peintre Georges Alexandre Boisselier qui y assuma la fonction de conservateur de 1932 à 1939.
Son existence pendant la Deuxième guerre mondiale
Le secteur se trouva en zone interdite. La plage de Porz Carn, située à moins de 200 m de ses salles et qui aurait été très propice à un débarquement d'engins amphibies, fut entièrement minée. Après la guerre, à partir de 1947, un jeune et brillant chercheur du CNRS, Pierre-Roland Giot (1919-2002), en poste à la faculté des sciences de Rennes depuis 1943, entreprit avec rigueur et méthode de réorganiser les collections. Ses fondateurs qui étaient tous des amateurs, avaient souvent confondu les époques allant jusqu'à classer dans l'âge de bronze des squelettes datant seulement du Haut Moyen-Âge. Pendant plusieurs décennies, ce lieu servit de base avancée pour des chantiers de fouilles menées dans la région par des étudiants de la faculté des sciences de Rennes. Il recevait de nombreux visiteurs chaque été qui bénéficiaient de la présence d'étudiants et de chercheurs heureux de partager leur savoir.
Va-t-on laisser mourir ce pôle de connaissances et d'attraction touristique majeur ?
Depuis le départ en retraite du professeur Giot en 1986 et surtout depuis sa mort en 2002, ce musée a cessé de jouer ce rôle et il est largement perçu comme un "boulet" administratif et financier par l'Université de Rennes-I dont il dépend. Le statut de ses collections, qui ne peuvent quitter les lieux selon la volonté même des donateurs, empêche leur transfert vers un autre musée à Pont-l'Abbé, à Quimper, voire à Rennes ou même à Saint-Germain-en-Laye, où ont abouti trop de "trésors" archéologiques bretons depuis un siècle. L'impasse est totale. Il est question de le fermer définitivement, ce qui signifie que tôt ou tard, il tombera en ruines. Or, il contient des collections remarquables qui mériteraient une nouvelle présentation. Dans beaucoup d'autres régions d'Europe, de telles richesses seraient mises en valeur.
ABP/BLN
Philippe Argouarch