La partition de la Bretagne est sans cesse imposée du sommet de l’Etat central français. Nantes, Rennes ou une assemblée bretonne n’ont ni voix au chapitre ni pouvoir législatif. La doctrine de Michel Debré est plus que jamais d’actualité, impulsant la promulgation de tout décret sur la régionalisation par la Cinquième République française, dont celui du 2 juin 1960.
Paris, 2 juin 1958 : En pleine crise des « événements d’Algérie » , le Général de Gaulle obtient les pleins pouvoirs du Parlement français pour former un nouveau gouvernement et rédiger une nouvelle Constitution. Le projet est piloté par le ministre de la justice, le Dr. Michel Debré, maître de requêtes au Conseil d'Etat à Vichy de 1941 à 1943 et qui prêta serment au Maréchal Pétain en 1941, au cœur d’un Etat collaborant tout entier avec l’Allemagne nationale-socialiste.
En septembre 1957, Michel Debré fait paraître son livre « Ces princes qui nous gouvernent » , lequel fait l’effet d’une bombe parmi les milieux politiques de la Quatrième République. Il pilote les débats sur l’élaboration de la Constitution, y compris sur les collectivités territoriales, de mi-juin à mi-juillet 1958. Le 8 janvier 1959, Debré redevient lui-même « prince » , c'est à dire Premier ministre. Arrive le 12 mai 1960 et la question des limites territoriales des régions. « Je ne vois pas là de question, les limites de la Bretagne, tout le monde les connaît, elles n’ont jamais changé » reconnaît Charles de Gaulle, président de la République, en conseil des ministres (notes du Ministre de la justice Edmond Michelet).
Nous sommes à Paris, le 12 mai 1960. Son constat indéniable se base sur une cohérence, celle de l’unité de destin : la Loire-Atlantique appartient à la Bretagne depuis plus de mille ans. Mais il va s’aligner sur la doctrine de sa haute fonction publique : « Une région n’a pas de territoire, seule la Nation en a un » . Pourtant, le constat indéniable du Général se base sur une cohérence, celle de l’unité de destin : la Loire-Atlantique appartient à la Bretagne depuis plus de mille ans. Mais il va s’aligner sur la doctrine de sa haute fonction publique : « Une région n’a pas de territoire, seule la Nation en a un » .
Son premier ministre, Michel Debré, ne veut pas de réponse administrative à cette question administrative : « Laisser Nantes à la Bretagne, mon général, ce serait de la trahison ! » assène-t-il (notes du Ministre de la justice Edmond Michelet). Le huis clos du Conseil lui permet de ne pas rendre publique cette politique d’Etat de partition de la Bretagne. Le Général l’approuve tacitement. Il refuse toujours d’arbitrer devant témoins ou préfère décider seul.
Pour Debré, nier, uniformiser et suspecter permet de diviser puis régner : « J’évoque la longue tradition, d’abord monarchique et ensuite républicaine. Par des revendications d’ordre économique, par l’appel à des souvenirs d’histoire le plus souvent injustifiés, par l’ardeur de certaines minorités à cultiver des différences déraisonnables, une coalition se forme en vue d’affaiblir l’État. Cette coalition trouve des appuis, et d’abord à l’étranger, pour saboter l’indépendance et la capacité de la France » se justifie-t-il, le consignant dans ses Mémoires. (in: Trois républiques pour une France, tome 2)
En 1956, l’énarque Serge Antoine, 28 ans, employé à la Cour des comptes, est chargé par l'Etat français d'un projet d’uniformisation des limites des régions. Elles doivent avoir une fonction administrative et technique, surtout pas politique, dans le sens de pouvoir régional élu. La cohérence historique, économique et culturelle en est exclue. En 1959 et 1960, le travail technocratique de Serge Antoine est terminé mais doit être validé politiquement par Michel Debré, pour lequel l’unité de la Bretagne est « une trahison ! »
Car la vision de Michel Debré est viscéralement absolutiste : « La centralisation est chez nous le garant de l’unité et de la puissance, donc de la liberté. Le mot de région ou de province est écarté de la nouvelle Constitution. De ce débat, il demeure une trace dans la rédaction de l’article 72 de la Constitution où, après avoir énuméré les collectivités territoriales de la République, communes, départements, territoires d’outre-mer, il est ajouté : Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. » La personne morale « Bretagne » sera ignorée et divisée, Michel Debré ayant même inventé l’étrange vocable d’ « extrême ouest » pour la nommer, préfigurant un « grand ouest » pour noyer son identité.
Lors d’une conférence en Bretagne, le 1er mars 1960 à Rennes, l’ancien fonctionnaire de l’Etat collaborateur de Vichy martèle à nouveau sa doctrine centraliste, avant la création de la région administrative amputée dite « Bretagne » : « Je ne vais pas vous parler de la politique bretonne de la France : je vais vous parler de la politique française et de son application particulière dans quatre départements. » (in: L'épopée du CELIB, de Joseph Martray) Fondateur du Comité d'étude et de liaisons des intérêts bretons (CELIB), Joseph Martray résuma ainsi l’attitude du Premier Ministre Debré : « Nous fûmes tous confondus dans une accusation à peine voilée d’autonomisme. » (in: Debout Bretagne, de M. Phlipponneau) Debré va par tous les moyens saboter puis annihiler l’action du CELIB, unité territoriale comprise.
Mais, sitôt promulguée, la nouvelle Constitution est contournée. Les treize départements composant l’Algérie française d’alors relèvent tout autant de l’article 72 de la Constitution mais le ministre de la justice Edmond Michelet déclare en pleine guerre d’Algérie : « La constitution unitaire de la Cinquième République n'est pas un obstacle à une sécession algérienne. Tout est dans le processus. » (in: Les porteurs de valise, de H. Hamon et P. Rotman)
Onze ans plus tôt, en 1947, Michel Debré n’était aucunement dans la logique de respecter l'unité d’un Etat, voulant détacher la Sarre de l’Allemagne occupée en se justifiant ainsi : « Les Alliés, au lendemain de la guerre, voulant une Allemagne faible, ont insisté sur l’importance des Länder » , Debré appuyant ses revendications sur les annexions françaises en Sarre de 1680 à 1815. « Une annexion par la France est justifiée et il convient d’y préparer les esprits. » Mais la nouvelle République Fédérale d’Allemagne, créée en 1949, s’opposera à ses sinistres plans. En 1955, les Sarrois s'expriment par référendum et la Sarre sera réunie à l’Allemagne en 1957. Son unité territoriale est depuis respectée.
En 2016, le Conseil de l’Europe réprimande la France en lui indiquant que la fusion des régions, qu’elle a opérée sans consultation ni concertation en 2015, est illégale, car elle viole la Charte européenne de l’autonomie locale. Cette charte est un traité international, de fait supérieur aux lois nationales, ratifiée par l’État français en 2007 et qui vise à garantir les droits des collectivités locales et de leurs élus.
Le Conseil de l’Europe, fondé en 1949, est une organisation intergouvernementale dotée d’une personnalité juridique reconnue en droit international public. Le Conseil de l’Europe invite alors la France à « revoir le processus de consultation des représentants directs des collectivités locales et régionales pour toutes les décisions les concernant » , mais cette dernière ne s’engage nullement à prendre les mesures préconisées par le Congrès européen.
Ainsi, l’État français reste juge et partie pour la Bretagne, qu’elle a amputée de la Loire-Atlantique en édictant pas moins de quatorze décrets et arrêtés concernant les régions françaises (en 1919, 1926, 1938, 1941, 1954, 1955, 1956, 1959, 1960, 1964, 1972, 1982, 2015, 2016), sans jamais avoir consulté la population des cinq départements bretons, issue d’écoles où l’histoire de Bretagne n’est pas enseignée. Ce qui fit dire à l’écrivain Morvan Lebesque : « Enfer est privation d’histoire » .
Rien ne se passe dans les urnes, tout est décidé entre les murs du pouvoir centralisé de l’État parisien. Le pouvoir de l’Etat français reste régalien. En 2014, son président a décrété la réunification de la Normandie, tout en niant à nouveau le droit légitime à la Bretagne d’être traitée comme une région normale, avec une cohérence historique, économique et culturelle.
Pour tous les citoyens bretons, quelle que soit leur condition, se présente ou non le devoir et le courage de la doctrine du philosophe Henry David Thoreau, dans son essai sur « Le devoir de désobéissance civile » : « Faites de votre vie le bâton dans les roues qui arrêtera la machine. Je dois faire en sorte de ne pas prêter main forte, en aucune manière, au mal que je condamne. »
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