Le 4 mars 2016, le groupe Kaynak Holding, dont le chiffre d’affaires annuel atteint 1,5 milliard de dollars, a vu 19 de ses 30 sociétés placées sous tutelle par la justice turque. La holding rassemble notamment des maisons d’édition, des librairies, un réseau de distribution et le groupe de médias Feza qui englobe les journaux Zaman et sa version anglaise, Today’s Zaman, ainsi que la plus grande agence de presse privée, Cihan. Kaynak Holding est soupçonnée de financer le mouvement Gülen, lui-même accusé de « terrorisme » . Cette puissante organisation religieuse, fondée par l’iman Fethullah Gülen, réfugié depuis 1999 aux Etats-Unis, a été longtemps un soutien de l’AKP, avant d’adopter progressivement, depuis 2011, une attitude de plus en plus critique envers le pouvoir turc. Les révélations dans les colonnes du journal Zaman sur les affaires de corruption touchant des proches du président Erdoğan ont été le point de rupture. Déjà, en octobre dernier, en pleine campagne électorale des législatives, Kopa-Izek, un important groupe de medias, avait été mis sous tutelle, les deux chaînes télévisées de cette holding, Bügun TV et Kanal Türk, n’étant pas assez dociles aux yeux du président.
La décision de la mise sous tutelle a été rendue par le 6è juge de paix d’Istanbul, Fevzi Keles, connu pour s’opposer systématiquement aux demandes de remise en liberté des journalistes. Elle permet au gouvernement de faire nommer par une justice complaisante des administrateurs dociles. C’est le cas notamment pour Zaman ( « Le Temps » ), considéré par le président Erdoğan comme le bras médiatique du « groupe terroriste FETÖ » . La ligne éditoriale a changé du jour au lendemain : la « une » du quotidien présente avec un « enthousiasme historique » le président Erdoğan. Rappelons que ce quotidien de centre-droit est, avec un tirage de 650 000 exemplaires, le premier quotidien en termes de diffusion. L’intervention, musclée de la police turque a fait des dizaines de blessés parmi les centaines de manifestants rassemblés devant le siège du quotidien Zaman à Istanbul.
Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans Frontières (RSF), après avoir rappelé que la Turquie se classe au 149e rang du classement mondial de la liberté de la presse 2015 établi par RSF sur 180 pays, exprime son indignation :
coutumier du fait, le président Recep Tayyip Erdoğan a encore frappé ce vendredi 4 mars en téléguidant le placement sous tutelle judiciaire du grand quotidien Zaman par un tribunal d’Istanbul. L’ingérence du pouvoir présidentiel turc dans les médias est encore montée d’un cran. Il est absolument illégitime et intolérable que, pour tenter de liquider la base politique de la communauté Gülen, Erdoğan instrumentalise la justice pour placer un grand journal sous tutelle. Cette opération idéologique et contraire au droit illustre le fait qu’on passe, avec Erdoğan, d’une dérive autoritaire à une véritable spirale despotique. Non content de jeter des journalistes en prison pour « soutien au terrorisme » ou les faire condamner à de lourdes amendes pour « insulte envers Erdoğan » , le président turc repousse une fois de plus les limites en prenant le contrôle du plus grand quotidien d’opposition du pays.
Jean-Marc Ayrault, le ministre des Affaires étrangères, a jugé lundi 7 mars que la prise de contrôle vendredi dernier par les autorités turques du journal Zaman, principal quotidien du pays et jusque-là critique du pouvoir du président Recep Tayyip Erdogan, n’était « pas acceptable » , rapporte l’agence Reuters :
Jean-Marc Ayrault a déclaré que la mise sous tutelle de Zaman n’était pas acceptable. On ne peut pas vouloir se rapprocher des standards européens et ne pas respecter le pluralisme de la presse. C’est une évidence et on le dit très clairement aux Turcs, a affirmé le ministre français des Affaires étrangères sur France Inter.